Les artistes et les expos

Expérience Pommery 9 , Reims.
« La fabrique sonore »

par Thierry Laurent

Les artistes et les expos _ Daryl Zang : outrement voir ou le silence du corps féminin par Jean-Paul Gavard-Perret
mis en ligne le 18/04/2012

Avec l’exposition « la Fabrique sonore » organisée par deux jeunes commissaires Claire Staebler et Charles Carcopino, il s’agit bien de la production d’une expérience totale, d’une vertigineuse immersion du corps dans un continuum sensoriel, fait de lumières et de sons.

C’est dire que la dernière « expérience Pommery » intègre parfaitement cette conception d’un art qui, loin d’être une collection de concepts destinés à la glose, se veut un territoire où se perdre, un jeu de correspondances et de métamorphoses qui se construisent à travers une déambulation formant un tout autant visuel que sonore.

Bien sûr il n’est pas interdit de procéder à la description individuelle des œuvres tant elles rivalisent d’ingéniosité, d’humour, et d’impact sensoriel, même si au final elles constituent un parcours cohérent et indissociable. La plus fascinante est sans doute celle des artistes Félicie d’Estienne d’Orves et Frédéric Nogray qui par un procédé vidéo sont parvenus à évoquer un astre avec son hydrogène en fusion dans un vacarme de fournaise, le tout dégageant un miroitement affolé, comme une forge de Vulcain. Les spectateurs qui s’approchent de l’œuvre plongée dans le noir ont la surprise de se voir apparaître en ombres chinoises mouvantes et bien distinctes sur fond d’orbe lumineux, et deviennent ainsi acteurs d’une œuvre qui se mue en théâtre d’ombres sur fond chromatique. Les œuvres ici exposées allient souvent des matériaux comme le verre, (Jean Michel Othoniel), les dorures, oui, il y a un délicieux côté kitsch qui rappelle l’agitation des métropoles baroques de l’Asie, comme les lumières acidulées vibrant en rythme des musiques aux sonorités de fêtes foraines, celles que l’on voit dans les films de Fellini. De toute évidence, l’esthétique globalisante ici présentée indique bien que toute dissociation de l’art entre œuvres sonores, lumineuses, picturales, et sculpturales, est devenue obsolète. Un œuvre d’art est un tout musical et sensoriel à expérimenter.

La plus terrifiante des œuvres est celle où des aboiements de chiens de garde se font entendre dans leur inquiétante stridence, alors qu’aucun animal n’est rendu visible. On peut évoquer comme une vision auditive de l’œuvre, une œuvre dont la vision passe par l’ouïe, réactualisant la phrase de Claudel : « l’œil écoute ».

L’excellence de l’exposition résulte tout particulièrement de l’harmonie entre le lieu et des œuvres qui se parcourent comme dans les couloirs d’un train fantôme, où l’explorateur court de surprise visuelle en étonnement auditif. Les œuvres ne s’annoncent dorénavant plus comme objets uniques, voire comme produits commerciaux, monnayables, échangeables, mais comme balises d’un parcours où les sens déboussolés sont requis jusqu’à l’hallucination.

De retour de l’antre de Dionysos le promeneur ne peut s’empêcher d’éprouver comme une heureuse euphorie, et aussi un sentiment de délivrance, tant l’univers mis en scène s’apparente à l’antre d’un alchimiste expérimentant les machines les plus farfelues pour transformer le plomb en or. Un parcours qui ressemble à une sorte de train de fantôme, un train qui zigzague dans l’apesanteur de nébuleuses incandescentes où se font entendre les arpèges d’une symphonie aux sons surréalistes. Une réussite  revigorante.

Thierry Laurent

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