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Chronique de l’an IV (3)
Chronique de l’an IV (3) par Gérard-Georges Lemaire

Né à Amsterdam après la Grande Guerre, Constant Nieruwenhuijs
étudie à l’Académie des beaux-arts au début de la guerre suivante. Il fait un voyage à Paris en 1946 et y fait une rencontre déterminante : celle d’Asger Jorn. A la fin des années quarante, il s’est déjà forgé un univers composé d’animaux fantastiques qui le met en relation avec le groupe Cobra. Son histoire épouse alors celle de ce mouvement nordique et ensuite avec la fondation du Mouvement pour un Bauhaus imaginiste, puis avec celle de l’Internationale Situationniste. Mais il s’en exclue et change les perspectives de son œuvre. Son œuvre gravée prouve à quel point Constant a tenu à être libre de toute influence et de toute contrainte, n’hésitant pas à conjuguer abstraction et figuration, et payant son tribut à l’expressionnisme flamand qui a eu de superbes développements
aux Pays-Bas.
Constant graveur, Philippe Dagen, Editions Cercle d’Art.


Philippe Forest a réalisé une très honnête étude sur Raymond Hains – sans doute un peu boursouflée quand on contemple l’ensemble de l’œuvre de celui-ci, qui s’est affirmé avec l’affichisme sous la férule de Pierre Restany. Hains est un homme sympathique, intelligent et inventif. Mais depuis les temps lointains des palissades, on reste un peu coi devant ses petites mises en scène mi-surréalistes mi-conceptuelles.
Raymond Hains un roman, Philippe Forest, « Arts et Artistes », Gallimard.


On le sait, depuis déjà pas mal d’années Michel Nuridsany a exploré les pays d’Asie, en particulier la Corée du Sud et la Chine.
De la connaissance de ce dernier pays, il a pu produire cet Art contemporain chinois qui est constitué d’un choix de trente créateurs représentatifs d’une nouvelles culture. On est loin des pitoyables simulacres de peintures traditionnels qu’on trouvait dans la revue officielle Littérature chinoise pendant la Révolution culturelle. L’aspect positif de l’ouvrage est que nous découvrons des propositions plastiques qui n’ont rien à envier à l’Occident (et qui se révèlent parfois même un peu plus originales), avec, en plus, un caractère « local » pour reprendre la terminologie de William Carlos Williams et une critique acerbe et directe (ce qui est courageux) du système communiste. L’aspect négatif est qu’on a ici la confirmation de la « globalisation « de l’art dans notre monde. Ce que j’ai vu à Prague, à Bratislava ou à Budapest au début des années 90, on le retrouve ici : une sorte d’homologation généralisée avec des formes de langage qui sont interchangeables si l’on fait exception de détails exotiques ou événementiels. C’est inquiétant. En tout cas, si vous désirez découvrir les nouveaux artistes de la Chine moderne, cet ouvrage est incontournable.
L’Art contemporain chinois, Michel Nuridsany, Flammarion.


Qui aurait jamais pensé que Paul Facchetti allait créer une des galeries les plus importantes de l’après guerre à Paris. Sa passion, c’était la photographie et ses premières manifestations sont consacrées à cet art. Ce n’est que peu à peu que la peinture envahit son univers. Et la galerie Facchetti, au gré de ses divers déplacements dans la capitale, montre les œuvres de Pollock, de Mathieu, de Degottex, de Fautrier, d’Aeschbacher, de Bryen, de Wols, de Michaux, d’Appel, de Dubuffet et de tant de créateurs qui, d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique, transformaient l’esprit de l’art de la seconde moitié du XXe siècle. C’est Georges Mathieu qui l’a introduit à l’art informel auquel il va longtemps rester fidèle, sans aucun esprit de chapelle. Un esprit qui a permis de faire de sa galerie l’un des hauts lieux de la modernité pendant les années cinquante et soixante.
Paul Fachetti, le Studio, Frédérique Villemur & Brigitte Pietrzak, Actes Sud.


La France est sans aucun doute le pays où il y a la plus grande inflation de monographie d’artistes contemporains. Celle de Marc Desgranchamps en est la preuve manifeste. Le travail de ce dernier mérite-t-il un ouvrage aussi considérable. N’est-il pas un peu trop tôt ? L’avenir devrait nous apporter des grandes et sérieuses études sur des créateurs avant qu’il ne fassent quoi que ce soit. Ainsi personne ne sera déçu…
Marc Desgrandchamps, Flammarion.


La Très Grande Bibliothèque a sans aucun doute faussé l’image qu’on peut avoir de Dominique Perrault. L’apparition spectaculaire de ce jeune architecte chargé du plus important projet parisien du second mandat de François Mitterrand a fait de lui une comète dans le ciel médiatique. Qu’il soit aussi un artiste est alors passé inaperçu. L’excellente monographie de Gilles de Bure montre qui a été ce jeune architecte qui, de projet en projet, a affirmé avec audace sa double appartenance, n’hésitant pas à présenter le pont Charles de Gaulle comme l’entrecroisement de deux extenseurs ou à penser l’Institut français de mécanique appliquée comme un assemblage à dominante métallique. Par la suite, il conserve cet état d’esprit, mais l’applique dans une autre perspective comme le prouve le vélodrome et la piscine olympique de Berlin (1992), qui consiste en deux bâtiments géométriques simples (un cercle et un carré) alors que l’aménagement se révèle une complexe texture de verre et d’acier. Perrault se passionne pour les nouvelles techniques et les nouveaux matériaux et il manifeste une incroyable dextérité (et aussi une grand inventivité) dans l’usage de mailles métalliques, comme il l’a fait pour les Archives départementales de la Mayenne. Il conserve aussi une insolente volonté de rupture avec le passé avec des projets téméraires comme celui de la Fondation Pinault sur l’île Séguin ou l’opéra de Saint-Pétersbourg, qui tranche violemment avec l’architecture de la ville. A titre personnel, je ne sais pas si je lui pardonnerai la nouvelle Bibliothèque nationale, qui est un désastre à bien des points de vue. Mais je tiens à louer le travail de Gilles de Bure, qui sait faire valoir le meilleur de la démarche d’un architecte très doué et encore marqué par l’esprit maléfique du modernisme, avec lequel il joue et, parfois, dépasse.
Dominique Perrault, Gilles de Bure, Terrail/Vilo.


Henri Michaux et ses purgatoires artificiels

Quand on prend connaissance de ce troisième et dernier tome des œuvres de Michaux, on s’aperçoit en fin de compte que la poésie (du moins dans le sens convenu du terme) passe au second plan. Non qu’il tourne le dos à la poésie, mais il entend l’envisager différemment. Dans la version inédite d’Emergences-Résurgences, il indique : « J’avais pris quelques années, l’époque aussi avait pris quelques années. Les reproductions d’idéogrammes, pictogrammes et graphies de langues étrangères étaient venues en beaucoup de mains, si bien que ce qui vingt ans plus tôt avait paru dépourvu de raison d’être, était regardé maintenant d’un autre œil, éclairé par des comparaisons. Valeur du signe renouvelée. » Et il se passionne pour ces écritures qu’il peint et qu’il expose à partir de 1957 à la galerie Daniel Cordier puis, quand ce dernier ferme, dans d’autres lieux comme Le Point Cardinal où, lycéen, je le découvris pour la première fois. Il illustre parfois ses textes de dessins à la plume, comme Emergences-Résurgences (1972) ou Par la voie des rythmes (1974). Parallèlement, Michaux explore les univers que lui ouvrent les substances hallucinogènes. Comme l’avait fait Ernst Jünger avant lui, il tâte de toutes les drogues possibles pour en éprouver les effets. Ces expériences, il les consigne dans l’inestimable Connaissance par les gouffres (1961-1967). Et il va jusqu’à tourner un film, images du monde visionnaire, où il tente de reproduire à cru les effets de la psilocybine, de la mescaline ou du cannabis. Enfin, il reprend une vieille tradition des lettrés, de Jean Paul à Kafka, qui consiste à consigner ses rêves. Il fait plus que ça : il s’efforce de saisir, dans leur fugacité, des genres différents de rêves, sans élargir la définition. Façons d’endormi, façons d’éveillé est un véritable voyage de géographe dans des territoires encore mal connus. En sorte qu’il quitte les sentiers ordinaires de la création poétique pour aller là où le langage existe toujours au pluriel et sous des formes imprévues et aléatoires.
Œuvres complètes III, Henri Michaux, édition de Raymond Bellour avec Ysé Tran et la collaboration de Mireille Cardot, La Pleïade, Gallimard.
Façons d’endormi, façons d’éveillé, « L’Imaginaire » Gallimard.

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Gérard-Georges Lemaire
mis en ligne le 02/17/2004
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