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Chroniques des lettres
Chronique de l’an X (1)
Chronique de l'an X (1)
par Gérard-Georges Lemaire

 
Où et quand ? Berck, Sophie Calle, Actes Sud.


Avec Sophie Calle, on ne s’ennuie jamais. Elle prend le train et, ô surprise, elle rencontre un ami par hasard (comme toujours) et cet ami c’est justement Jack Lang qui passait par là. N’est-ce pas drôle ? Tout cela pour nous raconter qu’elle se rendait à Berck pour consulter une voyante. On voit des photographies du buste et des mains de la voyante qui manipule les cartes et on lit le merveilleux récit de ce voyage émaillé de surprises. C’est tout ? Oui, c’est tout.

Pompei métamorphose du portrait, Claude Mollard, Editions du Très Grand Véda.


Claude-Charles Mollard poursuit sa quête des Origènes, ces visages humains qu’il traque son appareil photographique à la main, dans le règne végétal ou dans le règne minéral. Cette fois, l’essentiel de sa recherche s’est effectué dans les ruines de Pompéi. C’est une quête métaphysique, qui s’interroge sur les moments de l’esprit humain (il a d’ailleurs disposé une bonne partie de ses oeuvres sur trois rangées pour symboliser les trois temps qui vont de l’apparition à la disparition dans un cycle philosophique). Ce sont là des créations intrigantes, qui ne cessent de nous interroger qui montrent de quelle manière il a voulu développer depuis ses débuts d’artiste tels qu’on peut les voir dans l’ouvrage publié au Cercle d’art et présenté par Christine Buci- Glucksmann. Ce petit volume contient des écrits de Claude-Charles Mollard, de Michel Sicard et de Pascal Lismonde.

Permanenza,
Robero Mangu’,
SHINfactory.


Dominique Stella, Guen Garnier-Duguy, Alain Santacreu et Philippe Daverio rendent justice à l’oeuvre de Roberto Mangu’ qui n’est pas suffisamment connu à mon goût en France. Ce grand volume bilingue permet de se familiariser avec cette recherche originale, menée en dehors de toute mode et à l’écart des écoles des décennies précédentes. C’est la grande force de l’artiste qui peut jouer sur n’importer quel registre plastique en toute impunité, passant librement du plus abstrait au plus figuratif, en créant des figures de caractère énigmatique, comme s’il décrivait une mythologie intérieure. Mangu’ privilégie les figures légendaire, comme cet homme noir à la tête d’animal et aux bras démesurés (l’Ombre du début II, 2007). Ceux qui connaissent son parcours se souviendront de son triptyque baptisé Corpus Mundi (1991) : il n’a pas dévié sa route esthétique, ne faisant que lui donner plus d’ampleur et la vivant comme un combat inlassable avec le visible.

Istanbul, Orhan Pamuk, traduit du turc par S. Demirel, V. Gay-Askoy & J.-F. Pérouse. Folio 4798.

L’Amour au temps des révoltes, Ahmet Altan, traduit du turc par Alfred Depeyrat, Actes sud.

Le Pantin, Ahmet Ümit, traduit du turc par Noémi Cingoz, Editions du Rocher.




Avec Istanbul, Orhan Pamuk n’a pas écrit le plus beau roman sur Istanbul, mais sans nul doute l’autobiographie la plus touchante d’un Istanbuliote qui raconte sa ville telle qu’il l’a vécue depuis son enfance. Il la voit se transformer, se métamorphoser, s’enlaidir et faisant ainsi disparaître les signes tangibles de ses jeunes années et de l’histoire de sa famille. Dans ce grand livre qu’il a souhaité illustrer de photographies anciennes, il nous fait vivre le sentiment de l’hüzün, c’est-à-dire d’un spleen très particulier qui s’attache à ce lieu et à nul autre. Et, aux yeux de Pamuk, cette grande cité, ancienne capitale de l’Empire ottoman (elle tient la place de Saint-Pétersbourg en Russie) a été aussi une création littéraire, celle surtout d’Ahmet Rasim, de Resat Ekren Koçu, de Tampinar et de Yasha Kemal, auteurs connus ou désormais oubliés (c’est ce qui s’est passé pour Kemal), mais aussi celle de Nerval et de Flaubert. Personne n’a écrit ces dernières décennies livre aussi beau sur Paris (Paris est-il mort avec Léon-Paul Fargue ? qui sait ?) En tout cas, cet Istanbul est un enchantement parce que le récit privé et le récit plus vaste de la culture de l’ancienne Constantinople conquise par les Turcs y font corps et sens. L’Amour au temps des révoltes d’Ahmet Atlan est un roman qui sort tout à fait de l’ordinaire. Il nous ramène aux années 1908 et 1909, dates décisives pour la chute de l’Empire ottoman : en 1908, des foules menées par le parti des Jeunes Turcs se soulèvent pour exiger une constitution et la fin du pouvoir absolu du sultan. Un an plus tard, le 31 mars, des religieux fomentent une révolte pour rétablir le sultan dans ses droits au nom de l’Islam. Cette insurrection échoue, mais laisse une marque profonde dans les esprits. Dix ans plus tard, l’Empire ottoman avait cessé d’exister.

Cette période troublée est la toile de fond sur laquelle se joue le destin d’hommes et de femmes proches du pouvoir, mais animés par des idées plus libres. Alors que souffle le vent dangereux de l’histoire, Hikmet Bey est prisonnier de ses sentiments et tente de se suicider par amour : sa femme, Mephare Hanim, l’a trompé. Il se remet peu à peu de cette crise, mais souffre d’une profonde nostalgie. Il vit à l’écart d’Istanbul fans une solitude recherchée jusqu’au jour où son père, médecin personnel du sultan, décide de lui offrir une compagne. Il s’agit d’une toute jeune fille que Hikmet baptise, à sa demande, Hediye. Il entretient avec elle une relation intense et sans cesse plus profonde. Mais sa blessure ne s’est pas refermée. Pour sortir de l’impasse où il se trouve, peu après la mort de son père, il se résout à se remarier. Hediye s’empoisonne.

Cette histoire chargée d’angoisse et de douleur ne fait que donner plus de résonance aux événements qui ont cours et qui sapent jusqu’au fondement d’un empire et d’une forme de civilisation. C’est une pure merveille. Le roman labyrinthique et pléthorique d’Ahmet Ümit, le Pantin, est un excellent exemple de ce que la Turquie moderne peut produire dans le domaine de la fiction. D’une part, il souffre, à nos yeux d’Occidentaux, d’un manque évident de structure, d’architecture portante de l’intrigue complexe qui se déroule sous nos yeux. C’est là l’héritage de la littérature turque ancienne, qui reposait sur bien d’autres principes que les nôtres. De l’autre, il joue sur des thèmes et des ressorts dramatiques très modernes, c’est ce qu’il puise en Occident. La très longue et très pathétique histoire de ce journaliste qui mène une vie pleine d’insatisfactions, bascule quand il revoit son demi-frère, qui était censé être décédé depuis un certain temps. Ce dernier est mêlé à des affaires peu recommandables et le malheureux journaliste est pris dans les rouages d’une mécanique implacable qui l’entraîne dans un jeu mortel où il ne peut plus se fier à rien ni à personne. Il découvre à la fin que toutes les ficelles de ce drame sont tirées par un groupe d’hommes de l’ombre qui constituent l’« État profond ». La lenteur de la narration, le temps qui n‘en finit jamais de peser sur le récit, ajoutent à l’angoisse qui monte de manière inéluctable à mesure que notre pauvre héros, Adnan Sözkmen, tombe de plus en plus dans le fond de la nasse et finit par tuer son frère pour que les choses reviennent à peu à près à la normale.

Poèmes d’amour et de gloire, Gabriele d’Annunzio, préfacé et traduit par Muriel Gallot, Cahiers de l’hôtel de Gallifet.
Cela fait longtemps que l’oeuvre de d’Annunzio a été discréditée. Par chance, Jean-François Bory a fait une magnifique traduction du Nocturne, qui aurait pu changer le mode de lecture du Vate en France. Mais peu de monde l’a lue. Cette édition parcellaire (hélas) de la poésie de ce dernier a le mérite tout de même de nous introduire à son art, d’autant plus que l’édition est bilingue. Le recueil contient, entre autres, l’Alcyone (1903). Il y a là des textes superbes comme « le Soir, à Fiesole » ou « La Pluie sur les pins », où d’Annunzio joue merveilleusement de pures sonorités et du rythme de la pluie inscrite dans la scansion des vers. Ce livre est la réfutation de tous les préjugés qui pèsent sur sa mémoire : une écriture, souple, limpide, musicale, moderne, « debussienne » oserais-je dire. Le lecteur pourra découvrir un auteur qui manie les mots avec une dextérité inégalable et qui est capable de moduler des sentiments et des pensées avec un raffinement et une force (un couple en général inconciliable) peu commune. Il faut donc regarder ces Poèmes d’amour et de gloire comme la meilleure introduction possible à un poète disparu.

Tant et tant de guerre, Mercè Rodoreda, tr Bernard Lafargue, « L’imaginaire », Gallimard.

La Mort et le printemps, Mercè Rodoreda, tr. par C. Maintenant & C. Breton « L’imaginaire », Gallimard.



Deux volumes de l’écrivain catalan Mercé Rodoreda, disparue en 1983, viennent d’être réédités chez Gallimard. Le premier d’entre eux, Tant et tant de Tant et tant de guerre, Mercè Rodoreda, tr Bernard Lafargue, « L’imaginaire », Gallimard. La Mort et le printemps, Mercè Rodoreda, tr. par C. Maintenant & C. Breton « L’imaginaire », Gallimard. guerre, ne peut manquer de faire songer à la guerre civile en Espagne. Mais rien ne l’indique vraiment en dehors de l’origine de l’auteur. Tout y est traité de manière métaphorique. Dans sa préface, Rodoreda fait allusion à la Colonie pénitentiaire de Kafka et à un poème célèbre de Baudelaire, « Caïn », et à la Légende dorée de Voragine : il en est issu un roman picaresque qui raconte les aventures d’un jeune garçon qui erre dans un monde rural qui paraît archaïque. Il fait des rencontres, certaines heureuses, d’autres tragiques au milieu de combats sporadiques. Si rien de permet de s’accrocher à des événements concrets, le récit n’en est pas moins intense et prenant. Il donne une idée du temps de la guerre qui est d’abord un moment d’anarchie et de triomphe de Thanatos. Très décevante en revanche la Mort et le printemps, un livre qui n’a pas vraiment d’histoire. C’est un chant d’amour qu’un adolescent adresse à sa terre natale. On y retrouve des échos lointains de Barrès et Giono, pas tant dans le style mais dans les thèmes fastidieux qui s’attachent à ce genre de choses. Tous les poncifs du genre y passent, jusqu’à un roman des origines avec une montagne qui se fend en deux et s’effondre. Trop de métaphore, trop de poésie bucolique, trop de symboles, oui, vraiment trop.
Szczygiel, traduit du polonais par Margot Carlier, Actes Sud.

La première des nouvelles réunies dans ce volume s’intitule « Pas un pas sans Bata » et est dédié au grand écrivain et journaliste Egon Erwin Kish. Ce n’est pas un hasard : l’auteur se réfère ici à une forme de littérature qui est issue de la grande période de la presse culturelle autrichienne qui a eu ses émules en Bohème. L’auteur nous raconte la saga de la famille Bata. Ce fut une réussite industrielle mémorable. Mais elle a commencé par un désastre. Tomàs Bata a monté une affaire avec son frère et sa soeur et se retrouve couvert de dettes. Il part aux États-Unis et découvre les nouveaux principes de fabrication. Revenu dans son pays il se lance dans l’aventure. La guerre lui permet de faire fortune. Avec l’indépendance de la Tchécoslovaquie, les affaire de Bata sont florissantes. Peu à peu se précise le portrait de cet homme qui est à la fois un philanthrope et un tyran, un homme prêt à donner la possibilité à ses ouvriers de faire des études et de se constituer un pécule. Il meurt dans un accident d’avion et son fils, Tomik, prend la relève. Contre vents et marées, l’empire Bata ne cesse de se consolider dans le monde : ni la crise ni la guerre qui pousse Tomik a l’exil ne parviennent à le mettre à mal. Avec un humour subtil, l’auteur révèle les aspects cachés de cette histoire légendaire. Szczygiel nous dépeint des figures pragoises en butte avec les avanies du système communiste et exploite de manière délicieuse les mésaventures de ses héros qui sont aussi tragiques que comiques. Une petite merveille !

Un loup aux aguets,
Abbas Kiarostami,
tr. N. Tajadod
& J.-C. Carrière,
La Table Ronde.



On ne peut qu’être séduit par ce poète iranien, qui est aussi cinéaste et photographe. Ses poèmes sont brefs, ramassés dans une poignée de mots et ne vise que l’essentiel. Ce sont des pensées ou des images fortes qui traverses les quelques lignes qui sont imprimées dans le livre. Parfois, on glisse dans l’imagerie d’Épinal persane quand il nous dit : « La lune éclaire/Le visage maquillé/D’une vieille prostituée ». On pardonnera au poète des fautes de goût et des close-ups intellectuels un peu à l’emporte-pièce…

En français dans le texte
OEuvres complètes, II & III, Albert Camus, sous la direction de Raymond Gay-Crosier, Bibliothèque de la Pléiade, NRF, Gallimard. Je ne ferai pas à mes lecteurs l’injure de disserter sur l’Homme révolté, qu’ils auront tous étudié en classe terminale. Jean-Jacques Brochier répétait à qui voulait bien l’entendre que Camus était un écrivain pour les lycéens. Il n’avait pas tout à fait tort. L’intérêt de ces deux tomes est de nous rappeler l’attachement de l’auteur pour le théâtre, où il adapte un certain nombre d’ouvrages étrangers, les Possédés de Dostoïevski ou Requiem pour une nonne de William Faulkner (sans doute sa tentative la plus intéressante). Il adapte aussi Pierre de Larivey, Calderon et Lope de Vega. Tout cela est bien scolaire et ne démontre pas un sens de la scène très poussé. C’est du théâtre à texte et à thèse, sans aucune invention ni dans la langue ni dans l’idée dramatique. C’est bien fait, bien écrit, intelligent, mais ne semble mériter qu’une interprétation radiophonique. En revanche, ses commentaires sur des sujets éthiques (Réflexion sur la guillotine, rédigé à quatre mains avec Arthur Koestler) et ses nombreux articles sur la situation en Algérie dénotent ses qualités d’observateur subtil et soucieux de la vérité et de la justice. Sans doute pourrait-on l’accuser d’un certain angélisme car la crise algérienne avait des causes qui remontaient au début de la IIIe République, qui avait oublié le projet beaucoup plus ambitieux formulé par Napoléon III (il voulait donner un pouvoir réel au bey d’Alger). De surcroît, il ne pouvait ignorer que bon nombre de colons n’auraient pu admettre une égalité de droit avec les « musulmans ». Mais il tient des propos qui auraient dû plus sensibiliser ses contemporains d’une rive à l’autre de la Méditerranée. Son courage, sa liberté de ton, son engagement moral doivent néanmoins être salués. Et ses écrits de circonstance sont curieusement plus mémorables que d’autres ayant une ambition littéraire. L’Été demeure un texte tout à fait lisible, bien qu’il ait eu la tendance énervante à rendre la vie par des tournures de langage journalistiques. Camus voulait trop plaire et être apprécié du plus grand nombre. Il était consensuel en tout, même en littérature. Comme Le Clezio il avait toutes les qualités pour faire un bon Nobel - probité, défense des droits de l’homme, indépendance d’esprit, etc., sans parler d’une littérature passe-partout. Mais, comme l’auteur du Procès verbal, il lui manquait une profonde originalité comme créateur.



Passages d’encre, Édouard Graham, préface de Gérard Macé, avant-propos de Jean Bonna, Gallimard.

Ce livre est superbe. On pourrait croire qu’il ne s’adresserait qu’aux bibliophiles endurcis. Il n’en est rien. Il s’adresse à tous ceux qui se passionnent pour la littérature. Le contexte est celui d’une bibliophilie exclusive : le grand collectionneur Jean Bonna ouvre sa bibliothèque à Édouard Graham et le laisse « jouer » avec les livres, les manuscrits, les envois, les dédicaces, les ex libris, pour établir de savantes correspondances entre les écrivains, leurs amis, leurs éditeurs, leurs critiques. Hugo, Nerval, Verlaine, les Goncourt, Villiers de l’Isle Adam, Flaubert, Fromentin, Mérimée, Mallarmé, Huysmans, Zola : voilà la distribution de ce drame qui se joue dans cette bibliothèque inouïe. L’auteur fait revivre ces textes et ces lettres, tous ces manuscrits et ces titres imprimés qui semblent désormais appartenir à un passé mortifère. Il reconstitue, autour d’une oeuvre, non seulement ce qu’elle contient, mais les liens qu’elle tisse autour d’elle et ce qu’elle suppose dans la vie de l’écrivain. C’est absolument passionnant. La lecture de ce gros volume peut être aléatoire, ou l’on peut s’en servir comme d’une encyclopédie. Mais les innombrables renvois à d’autres écrivains, à d’autres ouvrages a quelque chose de borgésien et de bouleversant. Ces Passages d’encre devrait figurer dans les rayons de la bibliothèque de tout honnête homme.
Alias, Maurice Sachs, « L’imaginaire », Gallimard.

Je n’avais pas ouvert un livre de Maurice Sachs depuis très longtemps. J’en avais conservé un bon souvenir même si je n’avais pas été ébloui. Le relire aujourd’hui est plutôt décevant. Comme tous les romans à clefs, l’intérêt s’émousse avec le passage des ans à moins que les personnages soient toujours présents à notre esprit. Arrivée à la trentaine, l’auteur a écrit ce premier livre, qui n’est pas vraiment un roman et pas vraiment non plus une autobiographie. Il se sert d’un héros diaphane qu’il baptise Blaise Alias. Cet orphelin vient d’avoir seize ans et a reçu une belle somme d’une tante péruvienne et excentrique. Il se retrouve sous la tutelle d’un homosexuel, M. Adelair. Il préfère aller vivre chez l’oncle d’un de ses amis, Montcalm. Et, avec lui, il fréquente le salon de Mme Charpon, qui se pique de culture. Il égratigne toutes ces figures un peu ridicules et installe l’histoire dans l’optique du microcosme des folles. Tant et si bien que le parent de Mme Charpon, un monsignor, l’envoie au couvent. La tante arrive soudain en France, et prélève le jeune Blaise de son couvent pour l’emmener à Juan-les-Pins. À ce moment, il fait la connaissance d’un peintre célèbre, un juif nommé César Blum (!). Celui-ci a vécu les heures héroïques du Montparnasse de Picasso, de Derain et de Max Jacob. Il tente de séduire l’adolescent en vain. Mais il le prend tout de même en affection et lui conseille de devenir marchand de tableau… Cet ouvrage paru en 1935 a pris beaucoup de rides car Sachs, en dehors du fait qu’il fut un être immonde, n’a jamais eu de grandeur littéraire.
Le Génie du lieu 3, OEuvres complètes VII, Michel Butor, Éditions de la Différence.


Matière de rêve, OEuvres complètes VIII, Michel Butor, Editions de la Différence.


Il faut saluer le courage des Éditions de la Différence d’avoir entrepris la publication des oeuvres complètes de Michel Butor. Les deux tomes qui viennent de paraître, par rapport aux précédents, apportent une certaine déception. Pourquoi ? Simplement parce que l’écrivain s’est vraiment égaré pendant une bonne décennie. Transit (Gallimard, 1992) est constitué de notes érudites alternantes avec des impressions de voyage, des réminiscences et des fragments de poèmes. On a le sentiment que c’est un gigantesque brouillon en vue d’un travail romanesque jamais accompli. Dans Transit B, on trouve un travail un peu plus cohérent avec les « Vingt-et-un classiques de l’art japonais », des 53 étapes du Tokaido jusqu’aux Cent vues du Fuji. Cette réflexion se poursuit avec le Japon depuis la France, publié chez Hatier en 1995. L’année suivante, il achève le Gyroscope, le 5e et dernier volume du Génie du lieu. Il renoue avec une forme particulière de fiction (même si elle est fragmentée) dans Troisième dessous, Quadruple fond et Mille et un plis. Si l’on fait exception de ces dernières oeuvres, ces deux ouvrages renferment une phase de recherche de Butor qui ne débouche sur rien de probant. C’est un chantier immense, pléthorique, bavard et souvent stérile, l’auteur semblant hésiter entre deux chemins : celui de la connaissance et celui de la création. Mais la rédemption viendra ensuite avec ses superbes études sur Balzac.
Zone, Mathias Enard, Actes Sud.



Je me souviens d’un excellent roman de Mathias Enard baptisé la Perfection du tir, paru en 2003 et qui était l’histoire d’un sniper. C’est une fiction passionnante puisque son auteur s’est littéralement mis dans la peau de franc-tireur. Dans ce nouveau roman, beaucoup plus ambitieux, il raconte l’histoire d’un homme qui ne vit que par la fiction et la pensée de la guerre. Il s’est surtout illustré dans l’ex- Yougoslavie, participant aux combats dès le début. Au cours d’un voyage qui l’emmène de Paris à Milan, puis de la capitale lombarde à Rome. Il voyage par l’esprit en tout point de la Méditerranée, de Beyrouth à la Croatie là où il a des souvenirs, et semble embrasser cette région de notre globe par sa seule présence. Plus nous le suivons dans ses pérégrinations et aussi son savoir sur l’Europe (il évoque, par exemple, la division SS Deutschland, mais aussi la bataille des Dardanelles et le camp de la Risiera à Trieste). On se perd souvent dans les méandres de ses réminiscences et de ses entreprises guerrières. Mais on en ressort néanmoins fasciné devant un être inconnu et pourtant si proche. Le voyage est pour lui l’évocation de ces grands drames qui nous ont faits et que nous cherchons à oublier. C’est un livre surprenant qui repose sur l’enchevêtrement incessant de tous ces thèmes déployés dans l’espace et le temps. Il y a fait une description superbe de la bataille de Lépante où les navires de Don Juan d’Espagne ont défait la flotte ottomane – un vrai tour de force.
Sortilèges,
Michel de Ghelderode,
« L'imaginaire »,
Gallimard.



Le célèbre dramaturge belge a aussi écrit des textes en proses. Ce recueil de nouvelles met en évidence sa verve surréalisante. La première d’entre elles raconte l’histoire d’un homme qui entretient une relation pour le moins étrange avec un mannequin de cire qui tient lieu d’écrivain. Il ne va plus le voir pendant un certain temps et quand il veut lui rendre visite, il ne trouve plus qu’un pauvre pantin démantibulé sous un drap. Le Diable à Londres est écrit dans la même optique avec un Méphisto qui s’introduit dans la vie quotidienne du narrateur. Quant au récit qui a donné son nom au livre, il raconte une relation très spéciale que le héros entretient avec une dame en gris et à une fille très malade. Mais tout ce monde n’est qu’illusion et voué à la destruction. Peut-être n’a-t-il jamais existé. L’affaire de l’Amateur de reliques est tout aussi confondante avec cet antiquaire qui propose à un client une reliquaire remplie d’hosties consacrées, qui serait un ciboire volé par un Juif en 1269. Plaisantes à lire, ces histoires demeurent un peu tirées par les cheveux.
Poésie, Michel Waldberg, Editions de la Différence.

Ma Boîte verte, Michel Waldberg, « Minos »,
La Différence.



Cinquante-huit ans de poésie sont renfermés dans ce fort volume. Un parcours trop mal connu encore (c’est ce que je pense). Il y a plusieurs oeuvres en une, et d’aucunes assez surprenantes. En effet, Michel Waldberg peut tout aussi bien – et sans contradictions profondes – entamer un cheminement mystique (la gnose, le bouddhisme) et réaliser des expériences formelles de caractère oulipien. Aux 40 passages dans la nuit obscure (1976) ont pu succéder les Bouts reliés de remords (1985-1991), qui recueillent des poèmes visuels dignes des futuristes et des dadaïstes, mais qui sont loin d’avoir été composés dans une optique nostalgique. Ces calligrammes dépassés sont de jubilantes digressions plastiques qui prouvent que Waldberg est un écrivain qui sait jouer avec la matière des mots et même des lettres. Il tire profit des divertissements poétiques de ses aînés et pour une bonne part des surréalistes (« Lits monades » nous fait songer à « Lit et ratures »). Mais il apporte une autre vision de ce type de création reposant sur la matérialité de la typographie et du jeu des mots. Le changement permanent de forme n’est pas chez lui le signe d’une instabilité ou d’une valse-hésitation.

C’est une façon de se couler dans des formes en fonction de ce qu’il veut exprimer. Parfois, il a éprouvé le besoin d’adopter le style de la confession et d’autres fois celui de s’amuser sans vergogne avec les sons et les sens, comme dans le Wagon-foudre. D’autres fois encore, dans les Proses du sommeil saint (1985), il fait sa propre campagne de rêve. Ainsi condensée, cette oeuvre révèle sa richesse et son originalité. Lisez-la et quand on vous demandera qui est Michel Waldberg, vous répondrez que c’est un poète digne d’être lu et aimé. Et vous lirez alors la très belle Boîte verte : c’est un récit qu’il avait publié en 1995 et qui est d’abord l’histoire de sa relation avec son père, le grand collectionneur Patrick Waldberg et à sa mère, le sculpteur, Isabelle. C’est une initiation au monde, mais surtout une initiation aux arcanes de la création artistique écrite avec une immense liberté de ton et une grande sensibilité. Pas d’effets, pas de rhétorique, mais un style d’une extrême finesse et, à travers ces réminiscences, un autoportrait d’une vive délicatesse.
La Reconstruction, Eugène Green, Actes Sud.


Un professeur dans la cinquantaine, marié et père d’un enfant, reçoit un coup de fil bien curieux : un correspondant allemand lui demande de le rencontrer. Ce dernier affirme être le fils de Wenzel Launer, un homme qu’il avait connu pendant un voyage qu’il avait fait à Munich et où il avait fait la connaissance de son épouse Jana. Ils se retrouvent au premier étage du Café de la Mairie place Saint-Sulpice à Paris. Puis, peu à peu, on comprend la raison de la profonde mélancolie de cet étranger qui s’interroge sur ses origines. Sa famille vient des Sudètes, la région allemande du nord de la Bohème. Quand les Allemands s’emparent de la Tchécoslovaquie en 1938, les Launas s’installent à Prague. Quand les soldats viennent arrêter des résistants tchèques, le jeune Johann se joint à eux et est fusillé dans la cour. Désespéré, le père adopte un orphelin, qu’il baptise Johann… L’histoire de cet homme est racontée parfois un peu maladroitement. Mais l’auteur a la faculté de nous toucher. Cet ouvrage est riche de promesses et nous fait penser qu’Eugène Green possède un talent qui doit encore prendre son essor.
Laisser venir les secrets, Mâkhi Xenakis, Actes Sud.



Mâkhi Xenakis est artiste et aime Louise Bourgeois. Ce n’est pas une marque de singularité par les temps qui courent, mais plutôt une marque d’adhésion à une reconnaissance internationale. Laisser venir les secrets, Mâkhi Xenakis, Actes Sud. Peu importe d’ailleurs car le problème est tout à fait ailleurs : les deux poèmes réunis dans ce volume sont-ils des poèmes au plein sens du terme ou plutôt des récits lisibles comme des poèmes ? C’est la question qu’on se pose d’emblée avec la Petite fille. L’auteur se raconte enfant et raconte ses peurs, ses jeux, ses fantômes. Dans le texte qui a donné son titre a ce beau volume illustré, elle relate une histoire, l’histoire d’une relation prenant un tour tragique, l’angoisse d’être femme, la peur qui la persécute encore et toujours. Ce n’est pas mal, mais le procédé me semble inutile.

OEuvre poétique,
André Laude,
avant-dire d’Abellatif Laâbi,
préface de Yann Orveillon, Éditions de la Différence


J’ai bien connu André Laude au milieu des années 70. Puis il a disparu de ma vie la décennie suivante. Puis il a quitté le monde en 1986. Enfin, il a quitté ce monde en 1995. Il a laissé derrière lui une oeuvre poétique beaucoup plus importante que je ne l’aurais imaginé. Son premier recueil, la Couleur végétale, a paru en 1954 aux éditions Terre de Feu. On y sent l’influence des surréalistes (qu’il a d’ailleurs fréquenté). Mais, très vite, la révolte fait une entrée fracassante dans son oeuvre et la modèle entièrement. Le Testament de Ravachol (Plasma, 1975) nous offre des perspectives effrayantes : « La lumière cache des monstres en son sein », nous dit-il. Ailleurs, il écrit : « l ‘herbe rouge disperse les hermines du désespoir ». Il écrit une « Lettre à Che Guevara entre lune froide et fusil » (Vers le matin des cerises). Mais il compose un tout autre genre de poésie, plus intime et particulièrement poignante avant de très belles visions : « Certains soirs Søren Kierkegaard vient prendre le thé dans ma maison/nous parle de choses et d’autres, d’un paysage du Danemark. » Il va même jusqu’à s’inventer un passé dans les 53 Polonaises (Actes Sud, 1982). Il raconte l’histoire d’une mère qu’il s’est imaginée juive, Olga Katz, et qui serait morte à Auschwitz : « A Auschwitz/fument encore les cendres et les os/d’Olga Katz/ma mère. » Sa vraie mère était morte de maladie en 1938… Il n’en est pas moins vrai que la poésie de Laude possédait une authenticité et une intensité incontestables.

Bourlinguer



Le Paris de Zola,
Henri Mitterand,
Hazan.


C’est un superbe volume que nous offre Henri Mitterand. D’une part, il nous fait parcourir le Paris triomphant d’Émile Zola, qui est aussi celui du baron Haussmann, celui des Grands Boulevards et de l’Opéra achevé après la Commune, celui de la misère la plus noire, des champs de courses, du palais des Tuileries, des hôtels particuliers des demi-mondaines et des salons privés des restaurants lancés. Cette découverte s’accomplit par le texte, mais aussi par l’iconographie : l’auteur a en effet fait un choix remarquable de tableaux de l’époque, dont un certain nombre sont assez peu connus (ceux de Giuseppe De Nittis, Jean-Louis Forain, Raffaëlli, Emile Bernard, Maximien Luce, Henri Gervex, James Tissot, pour ne citer qu’eux), et d’autres très célèbres (ceux de Manet, Renoir, Degas…) De nombreux documents (photographies, affiches, périodiques) viennent compléter cette galerie de tableaux. C’est ainsi que nous sommes amenés à relire Zola et à vivre en sa compagnie ce passé qui semble si lointain et qui se situe à peine à plus d’un siècle de nous.


Ce jour-là, Willy Ronis, Folio n° 4801


Le photographe Willy Ronis commente quelques-uns de ses clichés (dont certains des plus connus). Il reconstitue le moment précis où il a pris le cliché, dans quelles circonstances, et en racontant les sentiments qui l’avaient traversé alors. Comme il travaille en réalisant des prises de vue rapides, ces éléments d’information prennent une valeur énorme. C’est un ouvrage qui se lit avec délice et qui permet de partager les pensées d’un photographe en chasse dans les rues de Paris ou dans les campagnes de la France des années 50.

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mis en ligne le 10/12/2008
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