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Réflexion critique
Pour une sexuation de l’Image dans Les Bonnes et Le Balcon de Jean Genet
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André Salmon est l’un des grands mémorialistes français du XX ème siècle. La réédition récente de Montparnasse chez Arcadia en est la démonstration. Après sa disparition en 1969 (il avait alors quatre-vingt-sept ans), on a commencé peu à peu à l’oublier. Son œuvre poétique et son œuvre romanesque disparaissent des rayons des libraires. C’est sans doute l’intérêt que s’est fait jour depuis quelque temps pour l’Ecole de Paris et pour la bohème artistique et littéraire de Montmartre au carrefour Vavin qui nous vaut cette réédition tant attendue. Car cette somme est une mine inépuisable d’anecdotes et de portraits. Tout ce qui a compté dans le microcosme de la culture des années glorieuses du cubisme, de l’orphisme, de l’abstraction, du surréalisme et du retour à l’ordre est présent dans ces pages. Grâce à Salmon on s’introduit dans l’atelier de ces peintres et de ces sculpteurs qui ont révolutionné l’esthétique moderne, on se retrouve à la terrasse du Dôme ou dans une salle de la Rotonde, on découvre ce fantastique paquebot de la nuit qu’a été alors la Coupole. On entre dans la confidence de Pascin et de Foujita, de Kisling ou d’Ortiz de Zarate, on est assis devant un guéridon en compagnie de Picasso, on participe aux soirées de Paul Fort à la Closerie des Lilas. On croise Apollinaire et Marinetti, nous faisons la connaissons des égéries de ce temps de légende, à commencer par Kiki, on reste bouche bée quand Jean Moréas déclame ses poèmes au Café Vachette et on est à l’écoute d’André Derain. Avec Salmon, porté par une écriture savoureuse, c’est un univers immense, inépuisable, fascinant qui est évoqué devant nous, c’est une fresque animée qui se déroule sous nos yeux comme une épopée sans autre bravoure qu’une toile emblématique ou un poème qui marque autant l’esprit qu’une des chansons à la mode qui trotte dans la tête. A l’inverse de ce qu’il avait fait pour sa biographie de Modigliani qui, c’est vrai, a contribué à fonder les bases d’un mythe tragique, mais au prix d’une distorsion de la réalité, Salmon nous offre dans ces pages la fable de toute un époque où l’on croyait aux lendemains qui chante et au dernier tableau de l’histoire de l’art.
Souvenirs sans fin, André Salmon, Gallimard.


Depuis ses débuts en littérature chez Christian Bourgois, Yves Buin s’est affirmé comme un écrivain qui, sans faire de drame ou de scandale, continue son chemin à contre-courant. Il reste indifférent aux débats sur le roman " moderne " et sa vraie passion est l’œuvre romanesque et poétique de Jack Kerouac, dont il s’est révélé un excellent préfacier dans l’édition qu’il a dirigée dans la collection Quarto chez Gallimard. L’Oiseau Garrincha n’est pas un roman à proprement parler, mais une suite de portraits qui représentent autant de façon de considérer le monde. Les personnages que dépeint Yves Buin ne sont pas des héros, mais plutôt des perdants, des être blessés et brisés, ou encore des camarades d’université qui n’ont pas su réaliser leurs rêves de jeunesse. Et il a ici l’ambition de faire l’apologie de la banlieue, tellement méprisée par l’élite et qui constitue le quotidien de son expérience de psychiatre. Et, à ses yeux, ces " périphéries " ne sont que les lieux où émergent des figures sans gloire mais qui prennent sous sa plus une dimension nouvelle. Il faut saluer le courage de cet auteur original de sacrifier les effets à la nécessité de parler avec justesse de ceux qu’il rencontre dans le temps vécu. Le premier chapitre, qui remémore un célèbre joueur de football brésilien, Garrincha, est remarquable. Il raconte la jeunesse de François Melville, dont le père, passionné par ce sport, tente de lui transmettre cet amour immodéré pour les demi-dieux du stades. L’adolescent, captivé par cet univers, s’identifie à ces figures mythiques et trouve en elles un accomplissement fantasmatique. Avec humanité, Yves Buin est allé jusqu’au bout d’une conviction qu’il a fait devenir un idéal littéraire.
L’Oiseau Garrincha, Yves Buin, préface de Bernard Kouchner, Le Castor Astral.


L’héroïne de Dieu a égaré mon numéro de téléphone, Hope Vogel, fréquente un étrange magasin de réparation que tient son ami Georg. C’est là que se réunissent différentes personnes qui ont en commun leur originalité et leur absence de conformisme. Il suffit de songer à cet artiste d’origine cubaine, Battalà, qui vient d’achever une œuvre intitulée La plus ancienne dictature du monde, une pyramide renfermant une grande quantité de pendules indiquant l’heure de La Havane. Le projet d’exposition est un vrai casse-tête pour eux car ils n’arrivent pas à convaincre un sponsor de la financer. La nuit, notre héroïne ne trouve pas le sommeil. Elle se sent proche du personnage de Kafka, l’artiste de la faim, de la nouvelle homonyme : elle est devenue un artiste de l’insomnie. Elle pense à son frère Arthur, un drôle de frère, qui est parti aux Etats-Unis pour dialoguer avec ses figures les plus illustres, George Washington, Lincoln, Sitting Bull, Mark Twain, Edith Warthon, et d’autres encore. Elle prend alors la décision d’aller le rejoindre à New York. Une fois arrivée, elle décide de rendre visite à son père, un professeur d’économie à la retraite. Ces relations familiales prennent aussitôt une tournure fantasmatique. Elle associe cette histoire personnelle pour le moins difficile avec un spectacle théâtral qui raconte l’histoire de Jacob et de son frère Esau. Ce récit biblique passablement retouchés se termine avec l’arrivée du Golem qui fait fuir tous les protagonistes. Quand elle retourne à Paris, marquée par ces expériences étranges, elle retrouve Georg qui lui expose son grand projet de créer le Circus Insomnia. Alors que l’apparition brusque de sa mère la replonge dans son passé (elle apprend alors la véritable histoire de ses parents), le cirque de Georg prend forme et elle assiste à une représentation hallucinante où elle voit, entre autres choses, son père et sa mère juchés sur le dos d’une éléphant, puis son frère qui porte le président Lincoln sur ses épaules… Dans cette fiction complexe et prismatique, Patricia Reznikov est parvenue à imposer un imaginaire dense et chargé de réminiscences et de bribes de rêves. C’est une œuvre curieuse et prenante, qui échappe aux poncifs de la littérature actuelle. Avec des tonalités tantôt surréalistes, tantôt expressionnistes et des références à l’esthétique post-moderne, l’auteur a su inventer un microcosme où la fascination et l’extravagance s’allient pour fonder une esthétique pleine de paradoxe.
Dieu a égaré mon numéro de téléphone, Patricia Reznikov, Mercure de France


Il faut reconnaître aux Editions Al Dante d’abord du courage et ensuite une belle persévérance. Depuis quelques années, elles ont décidé de publier les œuvres de Bernard Heidsieck. Non pas que ce poète soit un inconnu. Il fait désormais parti, à juste titre de notre panthéon moderne. Mais sa publication demande non seulement une mise en page assez compliquée, qui correspond aux voix simultanées (enregistrées ou non) qui font de ses poèmes des polyphonies vocales, mais aussi parce qu’elle nécessite d’être accompagnée de disques, ce qui est une opération onéreuse et posant toutes sortes de problèmes. Le dernier volume paru, Derviche /Le Robert, comprend trois CD qui donnent au lecteur l’intégralité de la lecture de ces textes. En deux mots, rappelons que Bernard Heidsieck est un des pionniers de la poésie sonore en France. Son atout majeur est de ne pas avoir succombé à l’attrait général de la poésie purement phonétique héritée de dada et du futurisme italien et qui a été surexploitée par les lettristes et tous ceux qui les ont suivis. Heidsieck raconte quelque chose, mais il le raconte en faisant ressortir toute la richesse de la langue. Ces deux dernières œuvres mettent en évidence l’incroyable intensité de la recherche poétique de Bernard Heidsieck et ses jeux sémantiques avec le dictionnaire et la grammaire sont d’une virtuosité étourdissante mais aussi d’une incroyable efficacité. Après Le Carrefour de la Chaussée d’Antin (2001), Canal Street (2001), La Poinçonneuse (2003), ce nouvel ouvrage prouve, si besoin est, qu’il représente aujourd’hui l’une des figures les plus passionnantes de notre poésie. Et la production du CD avec l’enregistrement de la magnifique Lettre à Brion Gysin doit être saluée comme un événement, tout comme celle du livre et du disque de Démocratie II, avec une merveilleuse mise en espace de son texte. Il faut saluer la belle constante de l’éditeur, qui vient consolider la réputation d’un grand poète.
Le Derviche, Le Robert, Bernard Heidsieck, Editions Al Dante. Niok, Editions Léo Scheer.
Lettre à Brion Gysin, Bernard Heidsieck, Al Dante.
Démocratie II, Bernard Heidsieck, Al Dante.


Après l’échec cuisant de Mardi, Herman Melville a décidé deux romans relativement courts, Redburn (1849) et La Vareuse blanche (1850) qui sont plus des reportages que des œuvres romanesques en bonne et due forme. Le premier raconte quel genre de vie l’on mène sur un navire de la marine marchande, le second dépeint une frégate de guerre américaine, l’Insubmersible. Ecrits dans un moment de grande difficulté financière, ces deux livres représentent une forme de synthèse de ses connaissances sur l’art de naviguer, qui est une technologie complexe, avec sa terminologie. Car c’est là que réside le grand talent de l’auteur qui est capable d’utiliser le jargon des marins (et même d’en fournir une encyclopédie " illustrée ") et de le rendre familier à mesure qu’on progresse dans la lecture. Le portrait qu’il fait de ces hommes de mer, des conditions dans lesquelles ils travaillent, les châtiments corporels qui leur sont infligés (et qui d’ailleurs seront supprimés en 1850 par un vote au Congrès). En dehors de leur valeur intrinsèque – ce sont deux beaux documents sur un aspect du monde américain à cette époque, le huis clos de la navigation permettant de condenser dans un espace réduit des types humains et des relations allant du haut en bas de la hiérarchie sociale. Enfin, on ne boudera pas le plaisir que nous donnent ces ouvrages – sans présenter une véritable intrigue, ils n’en sont pas moins palpitants, et c’est là que Melville excelle.
Redburn – Vareuse blanche, Herman Melville, édition établie par Philippe Jaworski avec la collaboration de Michel Imbert, Hershel Parker & Joseph Urbas, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard.


Bien curieux roman que celui d’Erwin Koch, cet écrivain helvétique de langue allemande dont c’est la première publication en France. Sara danse raconte l’histoire d’une femme, Sara Broffé, mariée et mère de quatre enfants qui, un beau jour, est arrêtée par la police secrète de son pays (on ne nous dit pas lequel, mais on devine vite qu’il s’agit de l’Argentine). Dans une villa où se déroulent les interrogatoires, elle trouve un système de défense particulier : elle prétend savoir des choses très importantes. Et c’est grâce à ce subterfuges qu’elle demeure en vie. Au cours des longues semaines de son incarcération, elle finit par connaître tous ses tortionnaires. Et l’un d’eux s’intéresse à elle, lui parle, la protège aussi. Il s’agit d’un violoniste qui, de fil en aiguille, a échoué au ministère de l’Intérieur dans les services spéciaux de la police chargés de la répression des opposants. Quand il est à son tour inculpé après la chute du régime dictatorial, cette femme (qui, entre-temps, l’a épousé) va raconter son existence et tout faire pour le blanchir. Ce roman singulier frappe par son thème, mais aussi pour son style singulier qui renforce l’étrangeté de ces relations.
Sara danse, Erwin Koch, tr. J. Honnigman, Editions Jacqueline Chambon.


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2) Les Bonnes, mise en scène Bruno Boëglin, Théâtre des Amandiers, septembre-octobre 2004.
mis en ligne le 10/05/2005
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