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Chroniques des lettres
Chronique de l’an V
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EN FRANÇAIS DANS LE TEXTE (suite...)
Les cinq et une nuit de Shahrazade
Editions de la Différence
A retenir aussi la fiction de Mourad Djebel, Les Cinq et Une Nuits de Shahrazède (La Différence). Voilà un livre ambition, riche, qui utilise le modèle (lointain) des Mille et Une Nuits pour pouvoir tracer les routes tortueuses et imprévisibles du picaresque.

L’auteur profite de sa Shéhérazade (qui s’appelle en réalité Loundja) pour évoquer la relation complexe privilégiée que cet homme entretient avec elle et qui va l’interroger comme la pythie, mais aussi pour parler de la poésie, de l’Orient, du conte (en somme, de l’art de la narration), de la mort. Cette femme se métamorphose sans cesse au fil de ces cinq longues et riches nuits : elle peut être Psyché ou le double féminin d’Orphée.
C’est un roman intense, exigeant, qui parvient a associer la plus haute gravité et un humour mordant, qui est une sorte d’Odyssée moderne et aussi un livre des morts car l’écriture est pour l’auteur c’est le levier grâce ququel il peut décrypter le monde et ensuite le représenter.
Retour en URSS avec André Gide
Gaston Bouatchidzé
Editions Hermann


Gaston Bouatchidzé, auteur du bel Anneau à chiffres (Hermann, 2004) vient de publier un ouvrage qui mérite le détour. Il l’a intitulé Retour en URSS avec André Gide. Il refait par l’imagination le périple que Gide a entrepris en 1936, la désillusion qui en a suivi et la publication d’un récit de voyage qui fut un véritable pavé dans la mare.
L’auteur est soucieux de la vérité historique. Il ne fait que la transposer, lui donnant une dimension romanesque (très originale et très subtile soit dit en passant). Et il le fait aussi de telle manière qu’on pénètre encore plus profondément dans la réalité de cette affaire, qu’on la perçoit aussi du côté soviétique. Car cette visite n’a pas été sans conséquences.
Il démontre en tout cas que l’on peut faire des roman historique qui peuvent être à la fois d’une parfaite justesse mais qui peuvent aussi ouvrir des horizons spéculatifs inédits. Voilà encore un des beaux livres de cette rentrée, qui n’aura peut être pas les louanges de la critique si peu critique, si peu curieuse. Espérons qu’il parvienne à toucher les lecteurs qu’il mérite.
Notre aimable clientelle
Emmanuelle Heidsieck
Editions Denoël


Il existe en France un nouveau courant littéraire qui affirme avec aplomb un réalisme qui est sans doute loin du naturalisme d’Emile Zola ou de la littérature engagée des années trente. Au fond, il ne se recommande d’aucune école du passé, même s’il en reprend certains traits de caractère. Emmanuelle Heidsieck, avec Notre aimable clientèle (Denoël) fait une description redoutable de l’administration française en un de ses récents moments de mutation.
Du service public, elle est en train de passer au « service de la clientèle », ce qui, dans le cas de l’Assédic, prend une tournure presque surréaliste. Pour représenter ce microcosme qui serait risible si l’existence de tant de personnes n’en dépendait pas, Emmanuelle Heidsieck a choisi de mettre en scène un de ses employés, Robert Leblanc, quarante-deux ans, divorcé et père de deux enfants. Ce Leblanc n’a rien de particulier si ce n’est une vie sentimentale assez maigre et une vie professionnelle un peu trop pleine et qui ressemble à un parcours du combattant qui ne connaît jamais de trêve.
La charge est féroce, sans concession. Et à ce jeu pervers, notre héros se perd et se retrouve à l’hôpital psychiatrique. Et il n’a plus l’intention de la quitter, se trouvant heureux dans le commerce pacifique qu’il a avec le médecin qui le suit. Ce qui frappe, au-delà de ce cette parabole vériste, c’est d’abord le style de l’auteur, précis, frappant, juste, avec cette pointe d’ironie cruelle qui rend cette « tranche de vie » non seulement exemplaire, mais aussi amèrement comique.
French Dream
Mohamed Hmoudane
Editions de la Différence


Dans une optique assez comparable, French Dream de Mohamed Hmoudane (Editions de la Différence) raconte les mésaventures et les désillusions d’un jeune Marocain qui tente de s’en sortir en émigrant en France. Il vit ce que vivent la majorité de ces candidats au départ, pris en tenaille entre la vie misérable dans leur propre pays et l’humiliation, la plongée dans un univers où il ne peuvent subsister qu’en pointillé. C’est un livre qui ne manque pas son but, mais qui reste trop dans les généralités de la question, c’est-à-dire sa sociologie.
La nuit du peyotl
Jean-Marc Tisserant
Editions de la Différence


Les Editions de la différence viennent de rééditer un livre devenu mythique de Jean-Marc Tisserant, La Nuit du peyotl. Il s’agit du journal de la fin des années 70 d’une série d’expériences hallucinogènes, menées avec différentes substances.

A l’instar de Michaux, l’auteur se contente de consigner ce qu’il éprouve, ce qu’il voit, ce qu’il entend, de tenter de traduire par des mots ce monde qui ne cesse de se transformer avec rapidité et violence. Toute la beauté et tout l’effroi de ce commerce sont ici narrés avec la plus grande précision possible. Voilà un document précieux.
De la distraction
Virgile Novarina, Franck André Jamme
Editions Virgile


Virgile Novarina et Franck André Jamme ont réalisé en commun un livre de»correspondances», une page de l’un répondant à l’autre. Ils l’ont intitulé De la distraction. (Editions Virgile).

De quoi s’agit-il. V. Novarina a noté ses impressions immédiatement après son réveil, recueil le mucus de la nuit. Puis, plus tard, il les complète et les amende. F.-A. Jamme a composé des tablettes comme celle des Latins qui en sont comme les échos dans une langue construite. Se faisant, il fait allusion aux formules favorisant le passage dans le monde souterrain et ombragé des morts. Ce livre d’expérience est le jeu de la transition, de ce qui se joue entre l’inconscient et le conscient, dans ce moment qui serait peut-être aussi celui de la création.
La vitesse du sang
Valérie-Catherine Richez
Editions Virgile


Valérie-Catherine Richez, avec un nouveau recueil intitulé La Vitesse du sang (L’Atelier des Brisants) donne une précieuse et impressionnante extension à son univers poétique. Ici, il se divise en deux mondes qui s’interpénètrent, celui du corps et celui du cosmos.

En sorte que dans le corps peuvent se lire les signes du macrocosme. Et cette exploration se traduit par des visions tragiques, douloureuses. Le narrateur est à la recherche des lieux improbables et traverse les territoires peuplés de monstres, d’êtres hybrides et de paysages effrayants : «sanglants visages / aux traits figés / Dans la stupeur / […] Monstrueuses miniatures /aux gueules d’épouvantes…» Cet ouvrage est une sorte de Commedia qui n’est plus le fruit d’une expérience individuelle et qui ne se réfère plus à de grandes architectures théologiques ou philosophiques. Rien que la conscience blessée d’une esprit en quête de sa vérité au prix d’un périlleux voyage dans les tréfonds d’un labyrinthe qui n’est autre que le corps à nu. Cette voix si déchirantes qui tracent ces chemins entre l’abstraction et la figuration est de celles qu’on ne peut oublier.
Les Talibans n'aiment pas la fiction
Liliane Giraudon
Editions Inventaire/Invention


Liliane Giraudon, co-fondatrice de la revue Banana Split, est l’auteur d’ouvrages surprenants et donc marquants parus essentiellement chez P.O.L.
Dans ce récit de voyage en Afghanistan, où l’on ne sait où le réel et l’imaginaire tracent leurs frontières, elle met en relief cette incroyable et délirante irréalité qui se dégage de cette expérience où la beauté d’une culture doit être confronté à son aspect obscur, en particulier le sort fait aux femmes. L’auteur joue avec les mots, mais ne se paient pas de mots, se divertit à noter sur ses cahiers afghans ce qui la saisit le plus dans cette découverte d’un monde qui a conservé son authenticité mais qui est aussi sérieusement sinistré.

Ces pages se terminent par l’autobiographie d’un jeune poète, Nadir Ahmad Nazir, né en 1983 à Logar. Les Bouddhas de Bamiyân, les burkhas des femmes qu’on croise dans les rues comme autant de fantômes bleus, les hommes en armes un peu partout, des odeurs, des sensations, un voyage éprouvant à la recherche du temps courbe d’un conflit qui est le germe de la guerre qui se combat aujourd’hui. Les Talibans n’aiment pas la fiction (c’est le titre de ce petit livre, publié par Inventaire / Invention) : ils l’ont prouvé et ils ont fini par perdre. Un avertissement? Peut-être. En tout cas un moment d’écriture prenant.

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mis en ligne le 28/08/2005
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