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Chroniques des lettres
Chronique de l’an VI(3)
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Moralès, 50 ans de peinture,
Aubel Art Foundation
Le Musée du Montparnasse a présenté une exposition rétrospective de l’artiste espagnol José Morales Tejero. Il est né dans la région de Cordoba en 1933. Son oeuvre est intéressante car elle présente différents aspects qui résument l’histoire de l’art espagnol, passant de la figuration la plus acide à l’abstraction. Son oeuvre récente tente une conciliation entre les deux domaines avec une indéniable dimension parodique et auto parodique et par conséquent une relative tension intérieure. Un important catalogue avec des écrits de Sylvie Buisson, Angel Luis Pérez Villén et Luciano Caramel restituent ces riches et complexes cinquante années de peinture menées dans une solitude soigneusement cultivée.
Guerres du milieu,
Ipoustéguy, La Différence

Ipoustéguy - Chirurgie,
Françoise Monnin, La Différence


Disparu voici peu à l’âge de quatre-vingt-six ans, le sculpteur Ipoustéguy a laissé derrière lui quelques surprises. La première est livresque puisqu’il a écrit trois nouvelles au milieu des années quarante qui ont pour dénominateur commun de parler de la dernière guerre ou, plus généralement des malheurs de la guerre. Ce livre s’intitule Les Guerres du milieu et est frappant pour son mélange gênant de surréalisme et de réalisme cru. Et puis, on découvre que cet artiste a également été peintre – et un peintre tout à fait original. A la fin des années soixante, il a réalisé une importante suite de tableaux à l’huile (mais ce sont d’abord des assemblages) baptisée Chirurgie. Pourquoi diable ce titre ? Déjà parce que le blanc est la couleur dominante – un blanc qui évoque les hôpitaux. Et puis Ipoustéguy s’est servi du blanc pour faire apparaître un monde de mutilés et de gueules cassées, un monde effroyable avec une grande quantité de portraits d’hommes les yeux bandés et dont les membres sont parfois mutilés. Françoise Monnin a écrit une préface bien documentée et très vivifiante qui fait découvrir toutes sortes de facettes méconnues de ce créateur.
L’Excès et le reste,
tome 3, Régis Durand,
“Les Essais”, Editions de la Différence


Régis Durand vient de publier le troisième tome de l’énorme somme qu’il a écrite sur la photographie, L’Excès et le reste. D’un côté, il a rassemblé des écrits qu’il a consacrés à des artistes contemporains (Jean-Luc Tartarin, Orlan, entre autres). D’autre part, il poursuit une interrogation passionnante sur ce médium qui est entré de force dans le domaine de l’art au début du XX e siècle et a même tendance aujourd’hui à détrôner les genres anciens. Ces essais bien conçus et bien écrits, sont incontournables pour tous ceux qui souhaitent étudier ces mutations dont la photographie a été l’objet. Son étude sur la relation entre la peinture et la photographie est indispensable pour se pénétrer des enjeux actuels, qu’on y adhère ou non.
Mikio Watanabé,
Manière noire,
Gilbert Lascault, Fragments Editions


Les gravures du japonais Mikio Watanabé sont se situées au-delà du temps. Quand il représente des insectes, de petits animaux des étangs ou encore des oeufs en train d’éclore, on éprouve la sensation singulière qu’il détourne des planches scientifiques du XVIII e siècle. Ses nus féminins sont encore plus déroutants car ils paraissent être, à première vue, des photographies en noir et blanc avant qu’on ne les découvre avec plus d’attention et qu’on comprenne qu’il s’agit toujours de gravures. Ce travail qui n’est pas dépourvu de qualités (je veux dire : de savoir faire) joue malgré tout sur des ambiguïtés un peu forcées.
Shingu,
Peter Buchanan,
Editions Cercle d’Art


Autre artiste japonais de notre temps, Shingu, est sculpteur. Son esthétique est en accord parfait avec l’esthétique industrielle. Il se sert essentiellement de lames d’acier découpées pour construire son langage qui s’inspire d’une part des voilures des navires d’autrefois et, de l’autre, des moulins à vents ou à eau. C’est donc une vision plutôt aérienne et en tout cas liée aux éléments que Shingu a développé au fil du temps. Sa grammaire se rapproche de ce qu’on a pu appeler ici les structures frêles et en tout cas de la phase ultime du constructivisme russe des années vingt. C’est à la fois conceptuellement habile et techniquement très au point. Quant à sa portée esthétique, disons qu’elle s’inscrit – de manière littérale – dans l’air du temps.
Doucet,
Jean-Clarence Lambert,
Fragments Editions


Ami des peintres de Cobra, Jacques Doucet fait partie de ces peintres qui se sont affirmés dans l’après-guerre. Il a choisi de tourner le dos à l’abstraction lyrique pour une abstraction qui s’ancre plus dans la matière. On est frappé qu’à ses débuts il ait eu un parcours somme tout un peu parallèle à celui de Jean Dubuffet avec l’emprunt de figures enfantines ou d’une esthétique dérivée de celle des graffitis. Ses huiles et ses collages jouent pour l’essentiel sur le fil du rasoir entre la forme et l’informe, n’ayant jamais pour mobile une conception rigide de l’abstraction. C’est ce qui fait la singularité et le charme de cette oeuvre que Jean-Clarence Lambert défend avec conviction.
Une vie pour l'art,
Patrice Trigano,
La différence


Depuis Ambroise Vollard, les marchand de tableaux ont souvent écrits leurs mémoires avec des résultats bien divers. Pierre Nahon a laissé une trace profonde ces dernières années (toujours publié par La Différence). Le livre de Patrice Trigano raconte avec beaucoup de simplicité et sans trop de mégalomanie (un mal professionnel) ses relations avec les artistes sans aller au-delà de sa position, ce dont on lui sera reconnaissant. On croise dans son ouvrage Max Ernst et Beuys, Malaval et Pommereule, en somme une foule de figures plus ou moins illustres que le marchand a croisé au gré de sa carrière.
En dehors de ces anecdotes, il évoque aussi les collaborations qu’il a pu envisager avec d’autres confrères, ce qui nous permet de pénétrer dans un univers assez confidentiel. Le seul regret que j’ai eu en lisant cet ouvrage c’est qu’il parle aussi peu de Catherine Lopès-Curval, peut-être que c’est sans doute la benjamine de sa galerie…
Albert Camus versus Franz Kafka
Œuvres complètes,
tome 1 & tome 2,
sous la direction de
Jacqueline Lévi-Valensi,
Bibliothèque de la Pléiade,
NRF, Gallimard
La parution des OEuvres complètes d’Albert Camus dans la Bibliothèque de la Pléiade a le mérite de nous faire relire des écrits dont on avait oublié l’existence ou dont l’existence était devenue relative, sinon labile. En ce qui concerne le petit essai dont je veux vous entretenir, j’en avais relu des bribes à la faveur d’un petit colloque sur Kafka que j’avais organisé avec Jean Blot et qui eut lieu au musée du Montparnasse en 2002. Et puis, le temps passant, je l’avais de nouveau oublié, ou presque. Alors le voici de nouveau sous mes yeux.
J’apprends que Camus l’avais retiré dès la première édition du Mythe de Sisyphe en 1942 pour le remplacer par une méditation sur Dostoïevski. Qu’est-ce qui a bien pu pousser l’écrivain ? On sait que l’après guerre a été marquée en France par un véritable engouement pour Kafka qui s’est traduit par des débats ou des enquêtes ; comme celle publiée en 1945 dans la revue Action (cf Métamorphoses de Kafka, Éric Koehler éditeur). Camus, comme Breton, Bataille, Blanchot et autres penseurs et écrivains éminents, s’est emparé de l’écrivain pragois pour s’en servir comme d’un cheval de Troie pour véhiculer sa conception du monde. Et ce texte repose sur une dialectique bizarre : celle de l’absurde et de l’espoir. Il explique à son lecteur qu’il y a « dans la condition humaine, c’est le lieu commun de toutes les littératures, une absurdité fondamentale…» : que l’oeuvre de Kafka est « absurde dans ses principes » ne paraît plus insensé. Soit. Mais quand il affirme que «plus tragique […] est la condition rapportée par Kafka, plus tragique et provoquant devient cet espoir », là, on touche vraiment à l’absurde. Il comprend pourtant que cette oeuvre échappe a toute interprétation, il comprend aussi que tout échappe à une saine logique dans la démarche de Joseph K. et enfin il comprend qu’il n’y a souvent pas de commencement et de fin dans ses histoires, il s’enferre dans un paradoxe lui aussi absurde, pour de bon.

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mis en ligne le 07/06/2006
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