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Dossier Anne Gorouben
Extraits de la correspondance entre Philippe Garel et Mlash
(recueillie et commentée par Alexis Pelletier)
Dossier Philippe Garel _ Extraits de la correspondance entre Philippe Garel et Mlash (recueillie et commentée par Alexis Pelletier)
Philippe Garel, Nymphéas. Huile. 2007. 130 x 180 cm. Coll. privée.
Lettre n° 4. Philippe Garel à Mlash (1981) :

Je vois que tu veux absolument me faire parler de Cézanne, cher Mlash. Et je crois qu’il me faut dissiper un malentendu entre nous. Tu ne me verras jamais exprimer l’énormité que tu voudrais que je dise sur lui. C’est un excellent peintre et j’ai le souvenir d’avoir trouvé, quand je faisais les Beaux-Arts, des phrases entières de sa correspondance qui, si elles ne m’émerveillaient pas toutes, me donnaient à réfléchir.
La question de l’émotion, que tu évacues de mon travail, mériterait qu’on s’y arrête pourtant. J’ai en tête une phrase de Cézanne mettant sur le même plan la sensation de la nature et la maîtrise des moyens technique du travail (1).
Mais ce n’est pas le moment, sans doute, et j’en suis bien incapable de toute façon de faire une dissertation sur cette phrase… Autant en venir à l’objet de ton interrogation. Cézanne est un grand peintre que j’admire, comment pourrait-il en être autrement ? Comment te dire, néanmoins ?… Je suis horrifié par la fortune de la phrase sur « la vérité en peinture ». Je n’y vois absolument aucun intérêt. Est-ce que Cézanne dit qu’il parle avec son pinceau ? La métaphore, dans ce cas, serait plutôt réduite. Et si j’avais quelque chose à dire, je chercherais à devenir écrivain.

Ce qui m’agace un peu, ce sont les admirateurs de Cézanne. On veut nous faire croire que le vingtième commence avec lui, qu’il y a une filiation avec Matisse et qu’après eux, il y a le groupe Support/Surface. Je préfère pour ma part être le groupie de Rembrandt (2). Mais laissons cela, si tu veux bien, je n’ai pas l’âme d’un polémiste.
Je suis content de ce que tu dis de mes fusains. Eh oui ! le noir est une couleur, n’en déplaise à une définition plus scientifique de sa valeur ; et l’opposition entre la couleur et la forme, je suis de plus en plus persuadé que c’est une des propositions qui résument l’Histoire de l’art en Occident, mais n’est-ce pas toi qui m’as soufflé cette idée ?
Amitiés à toi. P.

(1) Il me semble que la phrase mentionnée par Philippe Garel provient d’une lettre que Cézanne adressa à Louis Aurenche, le 25 janvier 1904 : « Vous me parlez dans votre lettre de ma réalisation en art. Je crois y parvenir chaque jour davantage, bien qu’un peu péniblement. Car si la sensation forte de la nature – et certes je l’ai vive – est la base nécessaire de toute conception de l’art, et sur laquelle repose la grandeur et la beauté de l’oeuvre future, la connaissance des moyens d’exprimer notre émotion n’est pas moins essentielle, et ne s’acquiert que par une très longue expérience. » La lettre est citée par Lionello Venturi, dans son livre Cézanne, Skira, 1978, p. 105.
(2) À ma connaissance, la première mention de Rembrandt, dans l’oeuvre de Philippe Garel, se trouve dans le catalogue qui accompagnait une exposition de fusains à la galerie Albert loeb, en 1981. Philippe dit notamment dans un entretien : « lorsque l’on représente un personnage dans un tableau on fait en sorte de le montrer, encore que Rembrandt s’arrangeait toujours pour introduire une petite lumière sur l’épaule ou sur le menton faisant du coup disparaître toute la partie centrale. » Les premiers Hommages à Rembrandt datent de 1988. Faut-il parler d’une intuition de Philippe Garel ? Ou bien constater que les idées, le fatras de l’inspiration n’est souvent que la formulation consciente de ce que l’on porte depuis longtemps ?
A. P.


Lettre n° 5 (octobre 1981)
Philippe Garel, Devanture. Pastel. 2002. 120 x 160 cm. Coll. privée.

Cher Mlash, il me semble que la discussion sur le noir, nous la poursuivons depuis longtemps. Le carton que je t’envoie pour la prochaine expo, à la galerie Loeb, prolonge peut-être ce qu’on a déjà dit. Et ta dernière lettre – à combien de mois remonte-telle ? – insistait sur la valeur symbolique de cette couleur.
Mon premier mouvement est d’être en désaccord avec toi. Le noir nourrit les fantasmes, le noir fait peur, le noir fait penser à la mort. Dans un premier temps. Oui, mais après ? De dire ceci, de l’écrire même, je me rends compte que ça n’apporte pas grand chose à ce que je fais et surtout que ça ne correspond à rien.

Je suis assez séduit lorsque tu écris que le noir est un « point de rencontre ». La formulation possède un rien de désinvolture qui touche, je crois, à ce que beaucoup de gens perçoivent de ma façon de travailler. Le point de rencontre serait ici ce qui permet, comme tu l’écris aussi, de faire le lien entre les différentes formes que je travaille, les objets, la sculpture, le dessin, la peinture… Tout part du noir et pour ainsi dire s’y rejoint. C’est étonnant comme, sur un fond, par exemple, une tache de noir permet de créer de la tension là où elle manque. Mais je ne fais pas ici l’apologie de la tache, je laisse aux peintres abstraits le soin de la faire !

Point de rencontre, oui. Tout vient et tout retourne au noir. Et c’est certain qu’il faut éviter d’être trop mystique quand on dit cela, parce que tu es poussière et tout ce qui suit, ça empêche de voir.
Ce que j’aime particulièrement dans le noir, ce sont les problèmes techniques qu’il pose : question d’apparition, de disparition, de grattage, de transition vers le blanc aussi. Mais la technique aussi n’est bonne que parce qu’elle est ce qui doit finalement disparaître. Et en fait, ce que j’essaie de donner à voir, je crois, c’est ce qui m’échappe et qui retourne au noir.
Tu ne seras sans doute pas là pour le vernissage, mais tu sais que ton regard fait partie de ceux qui me sont précieux. Bien à toi.

Philippe
recueillie et commentée par Alexis Pelletier
mis en ligne le 01/04/2008
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Dossier Philippe Garel

Avant-propos.
Garel ou la réalité fictive par Jean-Luc Chalumeau
Notes sur la peinture de Philippe Garel
par Joseph Assouline
Extraits de la correspondance
entre Philippe Garel et Mlash
Notice biographique de Philippe Garel