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Dossier Michel Tyszblat
Pourquoi nous avons besoin de Tyszblat
Dossier Michel Tyszblat : Pourquoi nous avons besoin de Tyszblat par Jean-Luc Chalumeau
par Jean-Luc Chalumeau
Michel Tyszblat, Dialogue, 2003. Huile sur toile.En écoutant les propos tenus aujourd’hui par Michel Tyszblat après quarante année de questionnement de la peinture, en regardant l’essentiel de son oeuvre à l’occasion de sa rétrospective à la Villa Tamaris de La Seyne-sur-Mer, on mesure à quel point ce peintre de haute exigence s’est trouvé impliqué – parfois douloureusement – dans une réflexion sur l’essence de son art qui rejoint me semble-t-il, par-delà l’espace et le temps, celle d’un Kie Tseu Yuan Houa Tchouan : « La difficulté est mauvaise, la facilité est mauvaise. Les uns considèrent comme noble d’avoir de la méthode, les autres comme noble de ne pas avoir de méthode. Ne pas avoir de méthode est mauvais. Rester entièrement dans la méthode est encore plus mauvais ». L’histoire de la peinture de Tyszblat est en effet celle de la recherche constante d’un juste équilibre entre le « trop » et le « pas assez » dans tous les domaines, avec par dessus le marché l’intuition que cet équilibre lui-même, dont il a tôt compris qu’il ne saurait être une fin en soi, doit à son tour être combattu.
Chaque tableau de Tyszblat pose la question du sens de la peinture en tant qu’elle n’est nullement une « interprétation du monde » par le peintre (lieu commun inusable de la culture bourgeoise) mais au contraire une contradiction du monde ordinaire et la suggestion d’un monde autre. Constatons tout d’abord que l’univers formel de Tyszblat vient de la ville et des objets de la civilisation industrielle, non de la « nature ». L’art de Michel Tyszblat est bien un art des villes, et l’homme qui les traverse de temps à autre est sans nul doute un citadin, si bien que l’on pense irrésistiblement à ce que Mondrian disait de son art : nieuwe beelding – die neue Gestaltung, que l’on a trop vite et trop schématiquement traduit en français par "néo-plasticisme".
Michel Tyszblat, Sarabande 3, 2002. Huile sur toile.La peinture de Tyszblat, comme celle de Mondrian, apparaît comme une synthèse plastique d’éléments inspirés par l’univers urbain et l’industrie. Comme Mondrian, Tyszblat ne procède pas par abstraction à partir du réel, mais il inscrit sur sa toile des utopies formelles dont l’observation de son environnement lui a seulement donné de fragiles points de départ. Ainsi des postes de télévision des années soixante qui ne sont en rien des descriptions des appareils visibles à ce moment, mais bien plutôt des anticipations fulgurantes des formes des ordinateurs des années 2000. Tyszblat, qui n’a eu qu’une brève période expressionniste abstraite au début de sa carrière, est rapidement devenu un peintre figuratif ne procédant pas principalement par simplification des éléments du visible, mais plutôt par invention de formes nouvelles à partir de ce qu’il peut observer autour de lui.
Sans le vouloir expressément sans doute, il a construit une oeuvre que l’on peut qualifier de néo-plasticienne, s’il est vrai que le peintre de cette obédience est essentiellement celui qui est davantage concerné par les moyens de l’art et moins par ses ressources expressives. Néo-plasticien en ce sens précis, Tyszblat n’est certes pas allé jusqu’à renoncer à la forme et à limiter ses tableaux à des rapports de positions ou de situations réciproques, c’est-à-dire à la seule composition. Des formes demeurent et s’affirment, qui s’organisent à partir d’un centre de manière centripète : il ne s’agit jamais d’un essai d’organisation, centrifuge celui-là, de l’espace environnant (on se souvient que Mondrian fixait sur le mur de son atelier new yorkais des petits panneaux de couleur qu’il déplaçait en cherchant à révéler le vide qui leur servait de fond).
Mais autour de ce centre, les formes sont soumises à des sollicitations contradictoires car le peintre, comme disait André Lhote (qui fut pendant quelques mois décisifs le maître de Tyszblat) est « cet animal complexe qui, d’une façon peut-être plus étroite qu’aucun autre artiste, doit obéir dans la même mesure aux sollicitations successives de la matière et de l’esprit ». Lhote n’était sans doute pas lui-même un très grand artiste mais, bon pédagogue, il se gardait d’enseigner des théories intangibles à ses élèves ; il savait bien que la loi doit être méconnue à un certain moment « afin d’être avec émerveillement retrouvée un jour ».
Michel Tyszblat, La naissance, 2004. Huile sur toile.Tyszblat, de ce point de vue, est toujours demeuré un fidèle disciple de Lhote : il n’a pas cessé de cheminer entre des interrogations multiples, des options inconciliables, des alternatives inquiétantes, jusqu’à régulièrement faire surgir sous son pinceau les solutions plastiques qui étaient, en même temps, redécouvertes de la théorie. Figuratif venu de l’abstraction, Tyszblat ne s’arrête jamais à l’apparence littérale des objets mais il s’intéresse à ce que Kandinsky appelait leur apparence « littéraire ». Il entame à chaque tableau un dialogue avec eux qui ressemble fort à un résumé d’un pan entier de l’histoire de la peinture. Tyszblat a peint beaucoup de tableaux, il en a vu et étudié infiniment plus encore ; il est pétri de culture artistique, et bien entendu tout cela lui est de peu de secours pour mener l’oeuvre à son terme. Il est toujours tenté de demander « faut-il ? » (à lui-même, ou à d’autres, comme en témoigne l’importance, dans son parcours, de ses conversations avec Martin Barré). Mais Kandinsky a toujours été là pour le ramener à l’essentiel : « Il n’y a pas de il faut en art. L’art est éternellement libre. L’art fuit devant les impératifs comme le jour devant la nuit. »
Il est certainement difficile de comprendre que l’extraordinaire liberté dont témoigne le parcours plastique de Tyszblat est payée du prix de tous ces « faut-il ? » qu’il lui est impossible de ne pas poser. La liberté conquise à force de travail et de méditation pourra paraître arbitraire à quelques uns. Ceux, très exactement, qui ne sont pas et ne seront jamais sensibles à la résonance intérieure de la forme. Pour reprendre un vocabulaire cher à Kandinsky, Tyszblat est typiquement un peintre qui a choisi de soumettre sa création à la « Nécessité Intérieure » dont on sait qu’elle se décompose en trois étapes.
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Jean-Luc Chalumeau
mis en ligne le 10/05/2005
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