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[verso-hebdo]
20-11-2014
La chronique
de Pierre Corcos
Fascinantes hétérotopies
Pour qu'il y ait de l'art, on pourrait à la limite se passer des collectionneurs, des marchands, des écoles, et de tous les intermédiaires. Mais en aucun cas des créateurs... Il existe un art de créateurs radical, qui n'a pas plus derrière lui d'école et modèles que d'un besoin de reconnaissance ou d'intentions mercantiles devant lui. C'est un art dense, compact, cathartique, halluciné, d'une urgence nécessaire, à la fois hors normes et singulier. C'est un art brut. « Nous entendons par là des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en oeuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d'écriture, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l'art classique ou de l'art à la mode. Nous y assistons à l'opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l'entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l'art donc où se manifeste la seule fonction de l'invention, et non, celles constantes dans l'art culturel, du caméléon et du singe » : cette définition célèbre, magistrale, subversive de Jean Dubuffet date de 1949, et méritait une citation complète.

On mesure le chemin parcouru, inverse, par le monde artistique contemporain : propagation massive de la culture esthétique par les nouveaux médias, rôle fréquent de la citation impulsé par le post-moderne, déclin de la « fonction expressive » du langage artistique (cf. les fonctions du langage chez Jakobson) au profit de sa « fonction conative » (produire des effets multiples chez le récepteur : scandales, amusement, excitation, etc.), à quoi s'ajoutent le rôle croissant des modes et, bien sûr, une acquisition béotienne, par un marché spéculatif et financiarisé, d'une partie de cette production... Jean Dubuffet a dû tellement se retourner dans sa tombe que sa stèle en fut sérieusement affectée !

Cinquante ans après la définition cardinale de Jean Dubuffet, l'association abcd (art brut connaissance et diffusion) était créée par Bruno Decharme (un cinéaste de métier, ayant notamment réalisé l'excellent documentaire, Rouge Ciel, sur ces artistes « hors normes »), une association oeuvrant à faire mieux connaître l'art brut, en se référant à la collection impressionnante (plus de 3500 pièces) constituée par le même Bruno Decharme, accessible à Montreuil et mise à l'honneur, présentement (et jusqu'au 18 janvier), à la Maison Rouge.
Nous avions déjà vu, dans ces murs, il y a une dizaine d'années, une autre collection intéressante d'art brut, celle de l'artiste Arnulf Rainer... Mais l'un des intérêts de cette nouvelle exposition consiste dans le parcours thématique qu'elle propose aux visiteurs. Ce parcours, on l'espérera vécu par eux comme une étrange odyssée (douze « îles » fantasmagoriques à découvrir, parmi lesquelles : « ricochet solaire », « hétérotopies scientifiques », « anarchitectures », « sang et fureur », « épopées célestes »...) bien plus que comme un pèlerinage de plus pour admirer les icônes de l'art brut, les Wölfli, Corbaz, Wilson, Lesage, Gill, etc.
Les textes, qui sont aussi de Bruno Decharme et accompagnent ces regroupements, contribuent à dégager par des mots justes la spécificité de l'art brut. Une spécificité, qu'avec les meilleures intentions du monde peut-être, tous les décloisonnements et mixages finissent par menacer. Car, au-delà de la lettre, il y a bien un esprit de l'art brut, magnétisant le spectateur, se manifestant comme un puissant pôle idéique, pour reprendre l'expression de Jean Dubuffet... Qu'il soit permis, dans les lignes qui suivent, de dégager quelques attributs de cet art saisi par la rupture sociale et entraîné dans la folie, ces deux termes étant pris dans une interaction. On pressent, au vu de certaines productions, que le créateur s'est totalement absorbé dans sa création, annulant la distance esthético-critique propre à la majorité des artistes professionnels. Voici des connections directes psychisme en fusion/feuille blanche : urgence, nécessité de l'exutoire... On voit ici, selon les formules de Gilles Deleuze, différents devenirs comme des « devenirs-machines » ou « robots », le créateur se faisant parfois machine à coudre (dentelles de traits), machine à répéter indéfiniment un stéréotype décoratif. Certaines productions évoquent des mantras graphiques, comme pour accéder enfin, au-delà d'une intolérable souffrance, à un précaire nirvâna. Cette densité luxuriante, pléthorique, étouffante, qui stupéfie le visiteur, témoigne d'une expérience psychique dans laquelle « ça crée » bien plus que « je crée » ; voire d'une expérience corporelle où l'organisme s'est fait autre. Aloïse Corbaz : « J'ai vu ce corps vivant et j'ai dit : sortez de ce cadre ».
Des bornes interactives renseignent sur le vécu dramatique, rencontrant la folie, de maints créateurs (Émile Josome Hodinos, par exemple, a vécu dans un hôpital psychiatrique de 23 ans à sa mort, à 52 ans), dont un certain nombre sont restés anonymes. Pour beaucoup, pas de gloire, richesse ou même reconnaissance. Mais juste le privilège, chèrement payé, d'avoir pu dévoiler d'autres lieux d'où créer, d'autres topos d'où délirer.
De quelles fascinantes hétérotopies, en effet, Zdenek Kosek produit-il ses extraordinaires mathématiques ou bien Raphael Lonné, Peter Kapeller ces substances graphiques inconnues ? D'où tout ça vient ?
Pierre Corcos
20-11-2014
 
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Verso n°136

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