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[verso-hebdo]
18-12-2014
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Jacqueline Delubac, le choix de la modernité, Actes Sud/musée des Beaux-arts de Lyon,  240 p., 29 euro

Ce catalogue est remarquablement bien fait. Il est agréable à consulter et se présente plus comme un livre que comme les habituelles publications qui accompagnent les expositions. Jacqueline Delubac (1907-1997) travaille très tôt pour le théâtre et le cinéma. Elle sait non seulement jouer la comédie, mais a des dons pour le chant et la danse. Elle se fait vive connaître et rencontre le succès dans des revues et puis avec ses interprétations des ouvrages de Marcel Achard. Sa carrière cinématographique commence en 1931. Elle rencontre Sacha Guitry en 1931 quand elle joue dans sa pièce Villa à vendre. Elle l'épouse en 1934 quand celui-ci se sépare d'Yvonne Printemps. Elle va alors avoir une place prépondérante dans toutes ses comédies et ses films. Mais elle se lasse de son comportement tyrannique et de sa boulimie de travail. Elle divorce en 1939. C'est à ce moment-là qu'elle décide de commencer une collection d'oeuvres d'art. La première oeuvre qu'elle acquiert est de Raoul Dufy : L'Atelier aux raisons. Puis elle décide de mettre chez elle Poisson dans une assiette de Pierre Bonnard. Elle va acheter, avec un rare discernement, des tableaux de ses contemporains, à commencer par Picasso, dont elle possède plusieurs baigneuses sur la plage dans sa phase surréalisante (parmi les plus belles compositions de ce genre). Puis elle s'intéresse à Braque et à Fernand Léger. Après la guerre, elle commande son portrait à Bernard Buffet. Elle fait l'acquisition de toiles de Fautrier. et Mais elle a une passion pour les oeuvres de Wifredo Lam. Plus tard, encore, elle se passionne pour Dubuffet et surtout pour Francis Bacon. De surcroît elle hérite de la belle collection d'impressionnistes et de statuettes de Rodin de son second mari, Myran Eknayan. Ce qui est plaisant ici, c'est de suivre la carrière, assez bien remplie, de cette comédienne de talent, et de voir comment elle a construit sa collection avec une liberté d'esprit totale, toujours dans l'idée de s'intéresser aux créations les plus récentes.




Poétique du banc, Mikael Jacob, Editions Macula,  200 p., 26 euro

Etrange idée que de concevoir un livre sur ce thème. Et puis, si l'on y réfléchi un peu, l'idée n'est pas si absurde qu'il ne le semble à première vue. En fait, l'auteur nous faire l'histoire d'un mobilier urbain des plus communs et pourtant qui offre une histoire qui a son charme. L'auteur nous chante les louanges des bancs qui se trouvaient en Toscane au pied des façades des palais. La place italienne de la Renaissance est une mise en scène de la cité. Et alors le banc fait partie d'une histoire plus vaste, celle d'un monde en mouvement, celle de la ville qui n'a de laisse de se transformer de croître. Il sait très bien parler de ce meuble public où l'on se rencontre ou, au contraire, l'on savoure sa solitude et lit son journal ou un livre. Son originalité réside dans la manière de tisser tous les réseaux de connexion entre les différentes significations de l'objet. Il y a une sorte de nostalgies des Mythologies quotidiennes de Roland Barthes. Et, au fond, on ne joue plus assez avec les données les plus anodines de notre réalité (sans doute parce que l'électronique a envahi l'espace social). C'est un ouvrage qui commence par laisser perplexe et qui, à mesure qu'on le découvre, ouvre des perspectives innombrables et excitantes. L'auteur a su nous donner l'envie non seulement de le lire, mais de compléter son livre. Je ne peux m'empêcher de songer à mes années d'étude où j'allai, sur un banc du Luxembourg, bavarder avec une jeune femme, qui commençait ses études et, sous prétexte de discuter d'une question d'histoire de l'art, de mettre en oeuvre les lentes stratégies d'approche sentimentales ! Il évoque les bancs des hommes célèbres, le banc que les clochards s'approprient, le banc des amoureux, le banc des vieilles personnes qui s'immergent dans la contemplation de la fin. Et la peinture est pleine de bancs, de Manet à Renoir. En définitive, un livre délicieux, qui donne envie de rêver et qui, en même temps, ouvre bien des horizons de la connaissance.




Ange Leccia, Fabien Danesi, Editions du Regard,  400 p., 39 euro

Ange Leccia est sans doute l'artiste français qui a su le mieux surfer sur toutes les formes de l'art contemporain. Il n'est pas un seul registre qu'il n'ait pas utilisé. Dans ce fort volume, il réunit un nombre impressionnant de photographies et de cuts de vidéos, qu'il a prises dans les circonstances les plus diverses. Cela donne l'aspect d'une maquette de revue de mode sans légendes. Si l'on en croit le préfacier l'idée serait de remettre en cause l'image qu'on a tendance à identifier au monde visible. Le monde visible tel que le perçoit l'artiste est un monde qui échappe à la vision, se décompose et se recompose sous d'autres traits, échappe à l'analyse, donc à la raison, mais aussi à la pure perception. C'est la négation de tout ce qui a été et reste notre façon de structurer le monde qui nous entoure. Avec lui, nous avons l'impression de dériver dans un univers où plus rien n'est structuré. Le problème que pose ce genre de travail est qu'il rappelle les premiers films psychédéliques, qui tentaient de se rapprocher de l'expérience éprouvée lorsqu'on prenait du LSD. Mais avec cette substance, il existait des moments de cristallisations et pas seulement un flux d'images déformées ou indéchiffrables. L'absence totale de logique, qui est la volonté du créateur, nous donne l'impression de feuilleter un album fait de documents photographiques pris au hasard (ce qui, en plus, n'est certainement pas le cas, mais en crée l'artifice). Le succès qu'Ange Leccia a connu depuis ses débuts n'est pas dû qu'à son habilité de monter dans le bon train et de descendre à la bonne gare : c'est aussi de savoir gérer l'ingérable, c'est-à-dire de prendre l'ombre pour la proie et de nous conduire à considérer comme expérience esthétique un chaos grouillant de mille choses diverses et plus ou moins intelligibles qui sature le champ de la vision. A ce stade, tout est permis. Cela fait longtemps que bon nombre d'artistes qui utilisent la vidéo ou la photographie s'amusent à rendre le monde sensible incompréhensible ou dénaturé. A quelle fin ? J'attends la réponse.




Les Rouart, de l'impressionnisme au réalisme magique, Dominique Bona, Gallimard,  166 p., 35 euro

On a d'abord considéré la famille Rouart pour son goût pour la collection d'oeuvres d'art. Aujourd'hui, on s'y intéresse comme artistes. Il faut d'abord précisé qu'il ne s'agit par des Brueghel ni des Van Loo. Mais Henri et Ernest mérite d'être vus et reconnus. Je laisserais le cas d'Augustin de côté, préférant ne pas me prononcer. La très belle idée de l'auteur est d'avoir adjoint des textes d'amis d'Henri Rouart et non des moindres. Paul Valéry le connaît très bien puisqu'ils étaient ensemble au lycée et qu'ils sont restés amis. Quant à Léon-Paul fargue, il présente Ernest d'abord comme le fils du grand collectionneur Henri Rouart : « Il me souvient [...] du jour de ma jeunesse où je fus admis, rue de Lisbonne, à regarder la célèbre collection. Ce fut, pour le garçon de vingt ans que j'étais, le paradis des enfants de la peinture, un pays de cocagne à faire battre tous les sens. » Et il se souvient aussi des rencontre avec un petit mode d'artistes et d'écrivains qui était tout autre que mondain (de Berthe Morisot à Maurice Denis en passant par Valéry). Il insiste sur le fait qu'il s'est beaucoup occupé des autres peintres et moins de son oeuvre, qu'il a peu montrée. Fargue se félicite qu'il ait pu réaliser ce rêve quand Il écrit ce petit texte. Et il faut reconnaître que ses toiles ont du charme. Bien sûr, elles arrivent tard dans l'histoire de l'art impressionniste. Mais elles ne déméritent pas. Son père Henri, était aussi peintre, et lui aussi a suivi les pas de ses modèles, Monet, Degas, Renoir, Pissarro. Valéry a dit de ses peintures : elles « se sentent des qualités sérieuses, delà sincérité, et presque de la rigueur de l'esprit de l'artiste. » L'écrivain a bien défini les limites de ce travail, qui reste malgré tout celui d'un discipline et non d'un créateur, mais qui n'en sont pas moins de valeur.




L'Almanach Zingaro 1984-2014, Actes Sud,  64 p., 29 euro

Aujourd'hui la troupe de Zingaro est une institution sise au fort d'Aubervilliers. Le chemin a été long (la compagnie existe depuis 25 ans), mais très vite couronné de succès. Il faut dire que Bartabas a eu l'idée géniale de retrouver les racines du cirque, qui était exclusivement un spectacle équestre réservé à un public d'élite. Les artistes de la période impressionniste et de la Belle Epoque ont aimé peindre ces évolutions avec des belles écuyère, bientôt rejoint par des clowns qui animaient les exercices savants. Mais Bartabas n'a pas adopté une attitude nostalgique. Il a imaginé au début un cabaret équestre, qui s'est vite transformé en théâtre et en opéra équestre. Plus il avançait dans sa réflexion et plus ses spectacles étaient sophistiqués. Il voulait parvenir à une sublimation absolue de la relation du cheval et du cavalier. De surcroît, il a souhaité instaurer ce rapport qui devait être de pure fusion au sein d'une culture sophistiquée. Ses spectacles se ressemblent tous et pourtant montrent de grandes différences : chacun d'entre eux est la représentation d'une mythologie qu'il s'est construite avec le renfort de l'art, de l'histoire et de la littérature. Mais reste toujours l'essentiel : l'art équestre, en soi et pour soi. C'est une quête de la perfection qui est hors de portée même du plus brillant cavalier. Mais cette quête l'a amenée à donner au public une idée ludique et en même temps quasiment religieuse de ce qu'un homme peut faire avec un animal lorsqu'il en connaît les possibilités et les humeurs. Cet almanach raconte cette histoire fabuleuse. Bartabas, flegmatique, avec son prodigieux talent, a été le premier à transformer le cirque, depuis longtemps devenu tout autre chose, proche de la fête foraine, en un lieu artistique au plein sens du terme, un peu comme l'avait fait Max Ophuls dans son merveilleux film (son dernier), Lola Montes (1955). Il avait eu cette même intuition, mais dans un tout autre registre. Bartabas rêve et son rêve nous ramène aux centaures des légendes grecques. Au fond, avec la tauromachie qui est aussi un art équestre (une redécouverte elle aussi assez récente), Zingaro est l'apothéose d'une histoire qui remonte loin dans le temps. Le dressage n'est plus réservé aux spécialistes ou aux compétitions sportives : il est entré de plain-pied dans notre esthétique actuelle et a fait de l'art équestre un art pur.




Mémoires d'un touriste, Stendhal, préface de Dominique Fernandez,  « Folio  classique »,   848 p., 10 euro

En général, une préface est une invitation à la lecture, offrant des informations sur l'auteur et sur l'oeuvre et donnant des clefs pour sa lecture. Dominique Fernandez fait l'inverse : il nous égare. Il ne cesse de dire que cette un livre à lire par fragments, et répétant tout le long de son texte que nous devons « picorer ». En fait, c'est une haute trahison de ce qu'a entrepris l'auteur. Celui-ci s'étonne du petit nombre de voyages en France écrit en son temps. Ce n'est pas tout à fait exact, car des étrangers l'ont fait. Mais peu importe. Il entreprend ce périple qui passe par des petites villes, parfois des villes sans intérêt. Et, à chaque étape, il rappelle un souvenir historique, ou littéraire, ou architectural, rapporte une anecdote, fait des considérations sur le paysage, l'habitat, les moeurs. En fait, Stendhal s'est mis en tête, sous la forme plaisante du voyage, d'un portrait de la France et des Français. Et cela est de toute évidence signifie un projet bien précis parler d'un pays sans parler de sa capitale qui attire à elle presque toutes les énergies vives du pays, dans la culture, les sciences, l'éducations, la politique, etc. C'est sans doute le plus beau livre de voyage de l'auteur du Rouge et le Noir. Il est de loin plus passionnant que ces voyages en Italie qui se limite à Milan, Florence, Rome Naples et qui parle surtout d'opéra et d'histoire (en plagiant quelques auteurs du cru, car Stendhal était un plagiaire de première classe -, son Histoire de la peinture italienne en témoigne). Donc lisez attentivement ce voyage où il n'est pas rare qu'il ne se asse rien ou presque. Mais de page en page se construit ce visage de ce qu'on appellerait aujourd'hui la « France profonde ». En dehors de ses oeuvres romanesques et De l'amour, c'est mon livre préféré. Il est subtil, il nous mène par le bout du nez là où il veut, c'est-à-dire dans un coin reculé, ignoré de dieux et des hommes, du pays qui révèle beaucoup de la vérité de l'hexagone.




Leopardi, Piero Citati, traduit de l'italien par Brigitte Férol,  « Le Proneneur »,  Gallimard,  542 p., 28 euro

Vous rêvez de vous plonger dans une grande et belle biographie ? Je ne vois qu'une seule solution : acheter celle que Piero Citati a consacrer à Giacomo Leopardi. Grâce aux éditions Alia, nous avons aujourd'hui une bonne connaissance en français de ce magnifique auteur qui a eu une vie si courte. Elle est sérieuse, réfléchie, mais aussi écrite avec esprit et pénétration. De plus, Citati l'a magnifiquement introduite par l'histoire don son père dont les mariages ont été des événements assez curieux, vous le verrez ! C'est une entrée en matière très amusantes et éclairantes sur ce que sera l'enfance du poète. En effet, les marottes du père, endetté, sauvé par le Saint-Siège (Recanati se trouvait alors au sein des Etats pontificaux), laissant à sa seconde épouse le soin de gérer la maison et même les affaires, se consacrait à édifier une bibliothèque d'érudit ! Et le jeune Giacomo a fait de cette bibliothèque son territoire d'élection, qu'il gardait avec un soin jaloux. Il n'a jamais quitté sa petite ville natale dans les Marches jusqu'en 1822 (il était né en 1798) ! Il savait, à force de lecture tout du monde, de la philosophie, de la littérature, mais ne savait rien ne serait-ce que de l'Italie ! Il écrit le fameux Zibaldone, une somme admirée par Chateaubriand, en trois ans à peine plus de vingt ans ! Leopardi était un garçon étrange, boulimique de connaissances, un peu renfermé malgré une apparente prolixité, joyeux parfois à l'excès mais profondément mélancolique. Petit à petit, il montre de quelle façon ce jeune homme évolue, s'affine encore, devient d'une intelligence prodigieuse en plus de son érudition rare, mais aussi comment il parvient à se forger une pensée personnelle, qui veut percer jusqu'au tréfonds des choses. Et il le fait dans son oeuvre réflexive, mais encore plus dans sa sublime poésie, l'une des plus belle et attachante du XIXe siècle. « L'Infini » est pour moi l'un des grands poème de cette époque. Et l'on sent Citati capable de le suivre dans cette marche intérieure avec le souci non de nous fournir mille détails secondaires comme dans la majeure partie des biographies, mais en montrant de quelle manière il entre dans les méandres labyrinthes les plus secrets de l'âme et de l'art de méditer sur l'univers. C'est écrit de manière telle qu'on a ne peut plus lâcher cette vie, car il rend cet homme tel qu'en lui-même, et le rend proche de nous, sans faux semblants, avec une véritable capacité de nous faire découvrir ce qui en lui était d'une originalité absolue. Un livre à lire sans attendre.




La Pensée du roman, Thomas Pavel,  « Folio   essais »,   672 p., 10 euro

Ce n'est pas à proprement parler une bible, mais c'est un ouvrage de référence qu'il est indispensable d'avoir à porter de la main. Il doit s e trouver avec le gros Littré en sept volumes et l'indispensable Grévise. De quoi s'agit-il ? Tout d'abord, de comprendre le rôle qu'a pu joue (et joue encore, peut-être de façon diverse de nos jour) l'art romanesque. Ce n'est pas un genre fixe, mais une posture de l'homme dans la culture occidentale : comment représenter le monde dans des termes qui soient à la fois plaisant (et par plaisant j'entends : passionnant, discursif, critique, apologétique, galant, selon les mille cas qui s'offrent). Les hymnes homériques sont devenus l'Iliade d'Homère. Et cela vaut pour la Torah de la même façon : ce sont différents livre qui ont été rassemblés et sans cesse complétés pour constituer Le Livre. Mais ce qui fait la richesse de ce livre de Thomas Pavel, c'est qu'il montre comment un écrivain pense un personnage et à quelle (ou quelles) fin(s). Le roman n'a cessé de se différencier au fil du temps. Mais il demeure toujours des fils d'Ariane et des genres qui subsistent, même s'ils sont largement remaniés (je pense à la pastorale par exemple). Les grands ouvrages du passé sont examinés de telle sorte que nous pouvons observer les relations d'un héros ou d'une héroïne face au monde. Et là, nous apprenons beaucoup avec l'auteur, qui est capable de condenser en quelques pages ce qui fait l'essence de cette relation souvent complexe, contradictoire ou même incompatible. Don Quichotte est l'expression même de la difficulté d'un homme d'abandonner une grande part de sa culture pour en aborder une autre : avec lui, c'est la grande tradition du roman chevaleresque qui sombre. Et même la littérature qui en est issue (Le tasse, l'Arioste par exemple). Le roman moderne, pour Cervantès, c'est l'aventure d'une perte et la création d'un genre, qui passe par la parodie et le tragi-comique. Si l'on va regarder du côté de chez Henry James, on se rend compte que l'action n'est plus la dimension la plus prégnante, mais les conditions d'émergences des efforts désespérés de ses personnages d'échapper à leur condition contraignante et donc à leur sort. Si l'on fait exception de la partie finale consacrée au siècle dernier, ce livre est une merveille, qui réveille sans cesse notre appétit de lecture et modifie aussi la vision qu'on peut avoir de la grande saga du roman.




Tympans et portails romans, Michel Pastoureau, photographies de Vincent Cunillere, Seuil,  216 p., 45 euro

C'est vraiment un livre magnifique. La passion qu'inspire l'art roman en France depuis longtemps n'est pas ici l'objet d'une étude savante, mais, au contraire, d'une approche quasiment pédagogique (ce qui n'empêche que nous bénéficions des connaissances de l'auteur). C'est avec beaucoup de talent, de clarté, de discernement et de concision que l'auteur nous explique quelle est la spécificité des tympans de cette longue période architecturale du Moyen Age. La méthode qu'il a choisi d'employer est simple : après un bref rappelle de la naissance du terme « roman » et de son développement dans l'histoire de l'art depuis le XIXe siècle et puis une explications très bien faite de l'iconographie de ces morceaux d'architecture qui accueillent le fidèles à l'entrée du lieu saint, il nous présente, avec de superbes documents photographiques des exemples caractéristiques de tympans d'églises, comme, par exemple, pour parler d'un endroit que je connais bien, Beaulieu-sur-Dordogne. Chacun des tympans étudiés permet à Michel pastoureau de nous indiquer la nature de cette imagerie qui s'est développée alors et qui disparaît ensuite avec la suprématie de l'art gothique. Nous y trouvons le Christ en gloire (un Christ Pantocrator, mais assis) entouré des angles en adorations ou jouant d'instrument de musique, avec de petits personnages aux expressions les plus diverses en bas qui sont les croyants et qui témoignent de sa puissance salvatrice, sans compter les apôtres qui apportent leur parole. On y découvre aussi un monstre (les monstres sont typiques de cette iconographie) et la tentation du Christ dans le désert, et même un Atlante, résurgence de la mythologique païenne ! La richesse de toutes ces scènes distinctes qui finissent par former un tout manifeste la grande richesse et le sens du pittoresque et de l'imaginaire de cet univers sculptural. Après, l'auteur nous entraine à l'église Sainte-Foy de Conques, où Soulages a fait ses célèbres vitraux. Le tympan est là divisé en deux parties : le même genre de Christ et aussi une foule de saint et d'élus. Dans la partie inférieure, on discerne la résurrection des morts, le Paradis, la Jérusalem céleste, l'Enfer, avec une infinité de détails souvent divertissants et curieux. Le livre est une invitation au voyage. Nous allons d'Autun à Arles en passant par Saintonge. Et nous découvrons les points communs de ces créations, mais aussi l'immense liberté des artistes qui n'ont pas laissé de noms à la postérité. En somme, c'est un livre très beau, très bien conçu, magnifiquement illustré et présenté




Cy Twombly, dernières peintures, Nella Pavlolouskova, Editions du Regard,  200 p., 49 euro

Une exposition présentée à la collection Yvon Lambert à Avignon nous avait fait voir les travaux de Cy Twombly peut de temps avant sa disparition. On se souviendra qu'un petit scandale, soigneusement entretenu, avec la soit disant détérioration d'une toile par une jeune artiste en mal de publicité, avait donné une résonnance à un événement qui n'en avait pas beaucoup. Cy Twombly a sans aucun doute été parmi les plus grands peintres américains de l'après-guerre. Son travail a consisté en grande partie à intégrer l'écriture comme le sujet clef de son art. Il a imaginé des compositions dont l'image disparaissait tout à fait au profit du nom de l'auteur (par exemple : Virgile, Catulle, les plus cités parmi les poètes latins) et les caractères latins sont transformés en graffitis comme ceux que l'on peut voir dans la Rome moderne (et comme il en existait tout pareillement dans la Rome antique). En d'autres occasions, le tableau se changeait en un tableau noir, comme à l'école, et était recouvert de signes et de symboliques, les uns ayant trait à la mathématique, les autres dénués de sens. En somme, il a désiré jouer sur le célèbre défi que Léonard de Vinci à lancer aux poètes à la fin de la Renaissance, dans l'espoir même de les surclasser. Mis à part le grand plafond du musée du Louvre, qui demeure un ouvrage assez structuré (The Ceiling, 2007-2009), ses ouvrages des dernières années ont souvent été des fleurs, peintes sur de grandes toiles (La Rose) ou des scribbles qui envahissent tout l'espace de l'oeuvre. En somme, on assiste au crépuscule d'un grand esprit qui est passé maître dans l'art des paradoxes, et qui s'était engagé dans une voie où les autres peintres américains ne s'étaient pas engagés, en dehors de Tobey, qui, lui, pensait à la calligraphie extrême-orientale. Sans doute il y a-t-il quelque chose d'émouvant dans cette volonté d'aller jusqu'au bout de ses forces. Pablo Picasso l'avait fait, mais avait été en mesure de renouveler la peinture pour sa dernière exposition à Avignon lui aussi. Ses Notes from Salalab sont l'ombre de ce qu'il avait réalisé autrefois avec tant de bonheur. Le livre est superbe et l'hommage qui est rendu à Twombly, touchant. Mais n'est-on pas trop complaisant avec nous-mêmes en voyant un grand homme sombrant dans la sénilité ? Mais je ne peux m'empêcher de songer au pauvre Manet, très malade, qui ne peignait plus que des visages de femmes et des fleurs. Twombly a peint des fleurs et des pastiches de ses écritures. En fin de compte, je suis prêt à accepter cette chute dans son art par amour de tout ce qu'il a accompli et qui m'a toujours enchanté.
Gérard-Georges Lemaire
18-12-2014
 
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Verso n°136

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