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[verso-hebdo]
15-01-2015
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Michel-Ange sculpteur, sous la direction de Christoph Luitpold Frommel, Hazan, 312 p., 75 euro

Le titre de ce livre est un peu trompeur : il ne s'agit pas d'un ouvrage général sur la sculpture de Michel-Ange, mais une étude très détaillée d'un de ses plus grands projets : le tombeau du pape Jules II à Rome. Si l'accord entre le souverain pontife et l'artiste a été conclu en 1503, la réalisation de cette oeuvre monumentale s'est étendue sur plusieurs décennie (elle ne sera achevée qu'en 1550), interrompu par d'autres grands travaux, comme la chapelle Sixtine, et elle a été souvent modifiée. D'abord destiné à la basilique Saint-Pierre, elle sera en fin de compte édifiée comme cénotaphe au sein de l'église Saint-Pierre-aux-Liens. Et elle ne sera jamais tout à fait terminée. A l'origine, c'était Bramante, l'architecte de la basilique qui devait s'en charger et aurait dû se trouver là où se trouve le baldaquin du Bernin. L'enquête menée par l'auteur permet de rétablir la chronologie détaillée et assez compliquée de cette entreprise colossale. L'un des fleurons de ce travail de Titan est sans conteste le célèbre Moïse que l'artiste a achevé en 1545. Ce qui fait tout l'intérêt de ce bel ouvrage, richement illustré, c'est que nous pouvons y voir les croquis et les plans orignaux, tous les documents afférents à son histoire, les écrits qui ont été faits de son temps, en particulier ceux de Vasari, erronés en partie dans la première édition et corrigés dans la seconde édition, les deux hommes s'étant rencontrés et ayant noué des relations amicales. Le projet initial était colossal : il comprenait trois étages et devait accueillir quelques quarante personnages ! Jules II meurt en 1513 et son successeur, Léon X, change aussitôt les termes de la conventions (qui n'était d'ailleurs pas écrite) : il demande remaniement de l'ensemble, le remplacement du marbre de Carrare par de la pierre et le nombre de statues est réduit à douze. Trois ans plus tard, le pape veut supprimer l'étage supérieur avec une Vierge à l'Enfant couronnant le tout. Quand Adrien VI succède à Léon X en 1523, il veut tout redimensionner. Avec Clément VII sur le trône pontifical en 1532 tout change encore : il veut enlever le Moïse, exige la présence de quatre esclaves ; de plus, le lieu où le tombeau sera placé n'est plus la grande basilique, mais Saint-Pierre-aux-Liens. En 1542, les anciennes conventions sont toutes annulées à l'exception du Moïse. En fin de compte, le tombeau ne comprend plus que le Moïse, Léa et Rachel. Les autres oeuvres se trouvent au palazzo Vecchio de Florence ( La Victoire), deux esclaves, au musée du Louvre et les autres esclaves à la Galleria dell'Accademia de Florence. La Contre-Réforme, les variations du goût et les conflits entre les familles pouvant prétendre à la papauté ont contribué à ces modifications incessantes et à l'inachèvement qui aurait pu être l'opera omnia de Michel-Ange. Ce livre nous révèle tous les détails de cette histoire dont on peut enfin connaître tous les arcanes.




La Peinture des lumières, de Watteau à Goya, Tzvetan Todorov, Seuil, 216 p., 45 euro

Je dois saluer Tzvetan Todorov pour la clarté et la lucidité de sa préface. Il y affirme une chose essentielle : que l'art, et donc la peinture, participe du mouvement des idées d'une époque donnée. Ce n'est pas uniquement une question de style, de forme, de technique. Ce sont des idées qui sont déposées sur la toile. Ensuite, il regarde la période des Lumières comme celle de l'affirmation de l'homme dans les tableaux. Et là aussi il a raison. Bien sûr, la religion a conservé son pouvoir et l'Eglise, étant l'un des grands commanditaires des oeuvres, impose la représentation de la transcendance. Mais d'autres genres ne tardent pas à s'imposer comme les fêtes galantes (qui 'aurait imaginé) et la nature morte en France, qui sort du registre mineur en France avec Chardin. L'auteur commence par les frères Le Nain, ce qui est une bonne idée car même s'ils appartiennent au siècle de Louis XIV à sa période faste (donc pas la dernière), ils introduisent le vernaculaire : ils donnent leur dignité à tous ces paysans qui ont vu leurs conditions s'améliorer. Après quoi, il parle d'Antoine Watteau et de Jean-Honoré Fragonard, deux grands créateurs qui se situent aux deux pôles du XVIIIe siècle, l'un le commençant et l'autre le terminant. Watteau est un homme de théâtre. Il veut restituer l'étrangeté de ce monde factice et le rend presque réel et ce faisant, d'autant plus étrange. Il poursuit la tradition, bine consolidée au siècle précédent d'utiliser la scène théâtrale comme paradigme de la scène picturale. Quant à Fragonard, il met l'accent sur les sens et leur intelligence, le plaisir charnel, bien sûr, mais qui va de paire avec la musique. Voici deux artistes qui ont dévoyé leur art en lui attribuant d'autres lettres de noblesse. Mais l'auteur se trompe entre considérant le portait comme un genre inférieur : ne pas appartenir au grand genre (la peinture d'histoire), ne veut pas dire est nul et non avenu ! Mais, quoi qu'il en soit, l'art du portait évolue et tient à se rapprocher du mieux de la réalité du modèle. Il choisit de beaux exemple : Rosalba Carriera et le savoureux Jean-Etienne Liotart. Puis il passe au paysage. Ce genre n'a pas été méprisé car il était l'équivalent dans les arts plastiques de la pastorale antique. Quant au paysage, dont il parle trop peu à mon sens, il en trouve l'origine dans la réflexion du néerlandais Gaspar van Wittel et en montre les deux aspirations : celle de Venise, surtout en la personne de Guardi, et en Angleterre avec Gainsborough. Il fait l'impasse sur Simon Mathurin Lantara et surtout sur Claude Gellée dit Le Lorrain et sur Hubert Robert, deux acteurs incontournables de cette renaissance de l'art du paysage. S'il examine la folie et l'imaginaire (avec Piranèse), puis l'érotisme (chez Boucher et tant d'autres), il se consacre essentiellement à des figures atypiques de cette période, qui se trouvent un peu en marge des Lumières, comme le Génois Alessandro Magnasco, qui a peint des scène entre le réalisme forcé et le fantastique (il n'est que de voir Le Peintre pauvre parmi les bohémiens et les musiciens, 1735-1738), qui est vraiment cas unique dans la peinture de son temps, ou William Hogarth qui cultive la veine satirique et enfin, au bout de son histoire le cas Francisco Goya -, une éternelle énigme encore de nos jours. On ne pourra pas reprocher à Todorov des erreurs et des manquements : ce n'est pas un historien d'art et il ne prétend pas l'être. De plus, il n'a pas souhaité décrire l'esprit des Lumières, mais montré ce que cette époque a apporté et a voulu réaliser. En ce sens là, c'est un ouvrage qui mérite d'être lu et qui peut apporter beaucoup en ouvrant de larges horizons théoriques.




Bon Boullone, un chef d'école au Grand Siècle, Musée Mangin/RMN, 146 p., 35 euro

Il y a un peu plus d'une décennie, a Commencé en France la réhabilitation des peintres du XVIIe siècle. Le Sueur au musée de Grenoble, les pièces de réception de l'Académie royale de peinture et de sculpture justement à Dijon, dans ce même hôtel particulier. Cette fois, c'est Bon Boullone (1649-1717) qu'on célèbre. Ce nom n'est familier que des spécialistes du Grand Siècle. Fils d'un peintre très prisé, chez qui il apprend le métier et avec lequel il la galerie des glaces de Versailles, il révèle très tôt talent et originalité. Il se rend à Rome de 1670 à 1675. Il est de nouveau employé à la décoration des appartements du château de Versailles et enseigne à l'Académie à partir de 1681. Dès lors, les commandes vont affluer et sa notoriété grandit. En dehors des portraits d'aristocrates et d'ecclésiastiques, il compose de nombreuses scènes mythologiques (Comme Vénus à sa toilette et Mercure, La Naissance de Jupiter), des épisodes de l'Iliade (L'Enlèvement d'Hélène) et, bien sûr, des épisodes bibliques, tel Tobie soignant son père. Toutes ses peintures montrent qu'il a eu un grand sens de la synthèse des courants s'affirmant à son époque. Il n'a pas la rigueur et l'imaginaire d'un Poussin, mais il ne tombe pas dans les pièges d'un certain conformisme qui s'est installé en France à cette époque. Si ses tableaux d'histoire sont lyriques ou théâtraux, c'est toujours avec un sens très aiguisé de la mesure. Bon Boullone a beaucoup de liberté dans son style et son expression et aussi assez de retenue pour ne pas verser dans la grandiloquence. Une oeuvre comme Zéphyr et Flore le démontre avec éclat. Du charme, mais pas de la joliesse, des harmonies suaves, mais pas trop prononcées, et une économie de moyen qui compense le trop plein lyrique de ses figures mythiques.




Les Borgia et leur temps, Gallimard/musée Maillol, 188 p., 35 euro

Au temps des Borgia, Marie Viallon, « Hors série Découvertes », Gallimard, s. p., 8,90 euro


Il y a quelques années, une grande et riche exposition redonnait à la famille Borgia sa véritable place dans l'histoire. Toute une légende s'était construite sur elle, en faisant une entité monstrueuse, prête à toute pour assurer leur pouvoir à Rome. Victor Hugo avec sa grande pièce Lucrèce Borgia créée en 1833 et Gaetano Donizetti s'est emparé aussitôt du sujet pour composer un mélodrame lyrique joué à la Scala la même année ; Alexandre Dumas l'a suivi avec son roman en 1839, suivi par le feuilletoniste Zévaco et surtout Guillaume Apollinaire. La famille Borja s'est affirmée à Valence, dans le royaume d'Aragon, à partir du XIIIe siècle et a déjà donné un pape à la chrétienté, avec Alfonso Borja, qui est devenu Calixte III. Celui-ci adopta le jeune Rodrigo e lui donna une éducation soignée. Il monte sans difficulté les degrés de la hiérarchie ecclésiastique et est fait cardinal en 1456 puis camerlingue de Sixte VI Della Rovere. Il est élu pape en 1492, ayant sans doute acheté plusieurs voix (mais cette pratique était déjà courante à cette époque). Le choix du nom d'Alexandre a aussi soulevé bien des discussions car Alexandre VI était considéré comme un antipape (il avait déposé Benoît XII et Grégoire XII sans succès, devenant ainsi un troisième pape !). Il a du prendre de nombreux décisions politiques, comme celle du partage de l'Amérique latine entre l'Espagne et le Portugal a du faire face à la rébellion de Girolamo Savonarole à Florence. Il a tenté de chasser les Français d'Italie en créant une vaste ligue et aussi de consolider et même d'étendre le territoire du Saint-Siège, confondant souvent leurs propres possessions et celles de la papauté. Avec son fils César a été le gonfalonier, c'est-à-dire bras armé de ces campagnes militaires qui devaient lui assurer la royauté de toute l'Italie. Ce dernier a étudié avec Michel-Ange la disposition de nouvelles fortifications. On a affirmé qu'Alexandre VI avait autorisé l'esclavage sur lequel le pape Eugène IV avait jeté un anathème. Rien n'est plus faux. Ce que nous fait découvrir l'exposition et ce catalogue, c'est qu'Alexandre VI a été un très grand mécène. Il fit décorer ses appartements par Pinturicchio et le sculpteur Andrea Bregno. Son fils a employé les talents de Léonard de Vinci pendant dix ans. Machiavel ayant été un an le secrétaire de Cesare, on croit que c'est lui le modèle du prince dans son célèbre essai -, il est vrai que l'écrivain relate sa conquête de la Romagne. Mais Louis XII avec lequel il a été allié pour que le souverain français voit son mariage annulé afin d'épouser Anne de Bretagne, peut fournir lui aussi un excellent paradigme. L'ambition politique des Borgia a fait oublier que le pape Alexandre VI est à l'origine de la grande Renaissance à Rome et qu'il a redonné son lustre à la vieille capitale, longtemps négligée à cause du transfert du siège pontifical à Avignon. L'exposition nous montre que les sciences et les arts ont été considérablement développés sous son règne. On peut voir, parmi mille choses passionnantes, un dessin de Francesco Colonna, l'auteur du célèbre Songe de Polyphile (1499), qui peut être vu comme la maquette de la statue du Bernin devant l'église de la Minerve à Rome !




L'Atelier d'Aldo Crommelynck, de Picasso à Jasper Johns, BNF/musée Soulages, 126 p., 32 euro

Il est bien rare que l'on rende hommage aux maîtres artisans qui ont fait naître les gravures des peintres et des sculpteurs. Il arrive parfois que l'artiste se contente d'un dessin et que le graveur s'occupe de son agrandissement et de sa réalisation, le créateur ne faisant qu'approuver l'épreuve. Aldo Crommelynck a été à la tête d'un atelier qui a vite attiré les grands d'artistes à partir de 1956 : Braque, Arp, Magnelli, Tal Coat, Hartung, Giacometti, Masson, pour ne citer qu'eux. Il n'a pas tardé à se faire une grande réputation à Montparnasse. Puis sa rencontre avec Picasso est décisive puisqu'à partir de 1963, il s'installe aussi à Mougins où il travaille presque exclusivement pour ce dernier. En 1969, il déménage à Paris et va rue de Grenelle. Là, il a de plus en plus de relations avec des artistes étrangers, en particulier Richard Hamilton, David Hockney et Jasper Johns. Il s'établit à New York en 1986 en collaboration avec la Pace Gallery. Il grave les oeuvres de Dan Flavin, de Clae Oldenburg, de Robert Morris, pour ne citer que ceux là. Jim Dine expose ses gravures réalisées par Aldo Crommelynck à la Bibliothèque nationale à Paris en 2007 et l'intitule « Aldo et moi ». Ce grand maître décède l'année suivante. C'est ce parcours hors du commun que racontent cette exposition et ce beau catalogue, qui nous laisse un peu sur notre faim, car on aurait aimé un peu plus de reproduction. Mais c'est déjà un document appréciable.



Pierre Jahan, à l'ombre des rois de la photographie, Editions Loco/Saint-Denis musée d'Art et d'Histoire, 120 p., 24 euro

Le titre se justifie pleinement : je n'avais jamais entendu parler de Pierre Jahan, je l'avoue. Mais je suis aussi relativement ignorant dans ce domaine précis. Il faut reconnaître que c'est une révélation. Au début, ce photographe né en 1909 à Ambroise, se passionne très tôt pour cet art. En 1933, il vient à Paris et collabore à l'Illustration. En 1936, il est un des fondateurs du groupe Rectangle. Il fait différentes campagnes de reportages sur les bateliers, puis sur les écrivains du Palais-Royal en 1941. Puis il s'intéresse au sort des statues déboulées et vouées à la fonderie, ce qui lui fournit l'occasion de témoigner du vandalisme des Allemands, mais aussi de faire des composition de caractère étrange, sinon surréaliste. A la Libération, il s'intéresse aux gisants puis réalise des tableaux vivants sur ce thème avec des nus féminins et masculins. Après, il montre Paris la nuit, très sombre, comme la capitale le restera encore pendant plus de quinze ans, la vie des bateliers de nouveaux et puis les marchés aux puces. Enfin, on découvre des exemples de son travail dans le registre publicitaire. En somme, il ne s'agit pas là de la découverte d'un génie, mais d'un photographe qui a montré les choses beaucoup de talent et parfois avec poésie et imagination. Le seul regret que j'ai, c'est que le beau témoignage de Jean Ristat ait été placé à la fin : il aurait du servir de préface !




Romans, Jean Galli de Bibiena, Edition de Francesca Pagan, Classiques Garnier, 1080 p., 59 euro

La réédition récente de la Poupée de Jean Galli Bibiena (1709-1779 ?) avait suscité une légitime curiosité. Descendant de cette grande famille d'architectes et de décorateurs de théâtre (il est le fils de Francesco et le neveu de Fernando), Jean Galli de Bibiena a choisi la France comme résidence et la langue française pour ses romans. Les Classiques Garnier publient aujourd'hui la totalité de son oeuvre romanesque. C'est une initiative qui nous donne une idée de ce qu'a été le passage de la littérature du XVIIe siècle à celle du siècle des Lumières. Son premier roman, les Mémoires et aventures de monsieur de *** traduit de l'italien par lui-même (1735) n'est sans doute pas mémorable. Mais c'est sans l'un des premiers roman de cape et d'épée : l'action se déroule à un rythme vertigineux, elle est brutale, sanglante et narrée sans jamais s'attarder sur les détails. Les passions sont exacerbées et le désordre est prédominant. Ces mémoires d'un vieil homme qui veut être moraliste ne fait que nous faire état de brutalités sans nom ! Si on peut le rapprocher, comme le fait le préfacier à juste raison, des Mémoires et aventures d'un homme de qualité de l'abbé Prévost, publiées en 1718, on a l'impression que l'esprit humain est guidé par des pulsions noires, même dans les domaines les plus insoupçonnables comme la connaissance ! L'Histoire des amours de Valérie et du noble vénitien Barbarigo (1741) est plus structurée et se veut un roman d'initiation (ce qui sera le cas de tous les romans qu'il va écrire par la suite), initiation à la vie sociale et à l'amour. Barbarigo est un homme qui doit défendre ses convictions les armes à la main (il est accusé d'être platonicien et d'être un lecteur de l'Astrée !), s'en prend aux petits maîtres qui se piquent de philosophie et de science et refuse le libertinage, à une époque où il règne en maître dans la haute société. Il est en quête d'une femme idéal. C'est un peu le paradoxe de l'auteur, d'un côté, il reprend un idéal issu de la Carte du Tendre de la Princesse de Clèves et de Mademoiselle de Scudéry, de l'autre, il met en scène l'exaspération des sentiments. On le voit avec la figure du jeune Lisidor dont la mère tente de le jeter dans les bras d'une femme pour apprendre l'amour dans tous les sens. Mais il y échoue et devient une sorte d'exclu jusqu'au jour où il rencontre la belle Hortense et peut partager avec elle une idylle sentimentale digne de ce nom. Le Petit Toutou (1746) est sans doute le plus charmant de ses textes. Un petit chien turc est le témoin des intrigues sentimentales dont il est témoin (en réalité c'est un sylphe). La pudique Artémire est ici le modèle de la jeune femme qui est l'objet de la quête initiatique des plaisirs de l'amour, qu'elle ne connaît pas. Quant à la Poupée (1747), c'est l'histoire d'un sylphe changé en poupée qui commente l'éducation du sentiment. On voit que Bibiena, d'un livre à l'autre, élabore une théorie de la relation entre les hommes et les femmes, relation hautement problématique, qui doit faire l'objet d'une éducation sérieuse. Cette même conception se retrouve dans la Force de l'exemple (1748) et dans le Triomphe du sentiment (1750). En somme Bibiena participe à l'esprit des Lumières en prenant fait et cause pour le sentiment, magnifiée dans la Princesse de Clèves, mais irréalisable, et peu à peu exaltée plus tard par Rousseau et ses disciples. Lui, il joue contre les libertins, en renouvelant des valeurs alors désuètes. Mais il joue aussi contre l'ordre social qui veut plier les sentiments à des impératifs familiaux, religieux, conformistes. Sans doute a-t-il oublié parce qu'il a représenté une transition. Cela étant dit, Bibiena est condamné à mort en 1763 pour avoir violé une fillette de trois ans ! Il est parvenu à s'enfuir à temps et disparaît sans jamais faire parler de lui.




Où êtes-vous Edward Hopper ?, Béatrice Courraud, préface de Claude Ber, Les Cygn&s, 60 p., 11 euro

L'entreprise est hardie, mais tout à fait légitime : l'auteur a désiré partir de tableaux du peintre américain Edward Hopper pour en tirer une vision traduite dans le langage poétique. C'est assez curieux, mais effectuant cette transposition, elle a retrouvé l'esprit de la poésie des rues, surtout celle de Frank O'Hara, qui voulait donner l'impression que son écriture avait mûrie au gré de ses promenades dans les rues de New York. Ici, le sujet choisi établit des contraintes puisque Béatrice Courraud doit demeurer dans le cadre (au sens propre !) des toiles de Hopper. Mais c'est une narration à la fois vive et rêveuse, précise et pourtant toujours saturé d'une imagination fertile. Pas de rhétorique savante : un simple langage parlé, mais épuré et travaillé avec le plus grand soin, tout le contraire en fait de cette forme. L'écriture est tendue, mais sans reposer sur des bases formalistes. Elle parvient ainsi à nous faire voir avec des mots ce que sont les oeuvres de cet artiste. Je retiens sa « traduction » (mais aussi son commentaire) de Sunlight in a cafeteria (une de ses compositions les plus célèbres) comme une merveille car elle nous fournit une façon de pénétrer dans l'univers à la fois banal et merveilleux de Hopper et d'en révéler différentes facettes. C'est une belle et bonne poursuite poétique, risquée sans doute, mais qui ne déçoit jamais. C'est un dialogue fort entre un homme disparu qui nous a légué cet héritage et une femme d'aujourd'hui qui l'accepte et cherche à le comprendre, à le vivre et à en montrer les mécanismes sans jamais extrapoler ou divaguer. C'est un grand exercice d'écriture. Souhaitons qu'elle continue dans cette voie !
Gérard-Georges Lemaire
15-01-2015
 
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Verso n°136

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