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[verso-hebdo]
12-06-2025
La chronique
de Pierre Corcos
Les rendre visibles...
Il y a quelques années un rapport du CREDOC, intitulé La France des invisibles, dégageait - à propos de toute cette population mal couverte par les statistiques, ignorée par les politiques publiques, méconnue, abandonnée - la notion d'« invisibilité sociale »... Un ouvrage collectif, La France invisible (Éditions de La Découverte), désignait également ces populations qui, malgré leur nombre, sont masquées par le droit, le discours politique, les représentations médiatiques, des catégorisations obsolètes, etc. Bien entendu l'« invisibilité » est dans ce contexte une métaphore. Car tous ces gens ont un corps, un visage, une matérialité. Mais, dans une civilisation de l'image (photos, films, vidéos, etc.), l'invisibilité signifie une sous-représentation, voire une non-représentation. On pourrait dire (en détournant des qualifications photographiques) que là où certains sont surexposés, d'autres, bien plus nombreux, restent largement sous-exposés. Et donc on ne les voit pas, ces invisibles de France... ou d'Amérique. À propos de sa série emblématique In the American West (exposition jusqu'au 12 octobre à la Fondation Henri Cartier-Bresson), le photographe Richard Avedon déclarait : « Mes sujets sont ces êtres que personne ne regarde. Mais ce sont pourtant eux qui font marcher le monde. Ils font le travail ».

Entre 1979 et 1984 et à la demande de l'Amon Carter Museum of American Art de Fort Worth au Texas, Richard Avedon (1923-2024) sillonne l'Ouest américain, 21 États, et, accompagné de deux assistantes et d'une photographe coordinatrice, Laura Wilson, il photographie en noir et blanc un millier d'habitants. Ce sont des anonymes, des inconnus, majoritairement des travailleurs de la classe ouvrière ou des paysans. Aucune profession de prestige, aucun statut envié. On peut ainsi voir un bouvier, un fossoyeur, un porcher, une serveuse, un forain, un mineur, un détenu, une ouvrière, etc. Ils sont photographiés de face, torse et visage, seuls en général, parfois en couple ou en petits groupes, sans lumière artificielle, sur un fond blanc qui fait ressortir leurs traits et leur expression. Ils ne cherchent pas à plaire, ni à jouer à ce qu'ils ne sont pas. Sous la photographie, un texte indique le nom de la personne et son métier, quelquefois sa situation (chômeur, immigré, sans domicile fixe), son lieu de vie, enfin la date à laquelle la photo a été prise. L'âge ne figure que si le sujet est jeune. Par exemple la photographie qui a servi à l'affiche de l'exposition In the American West et à la couverture de l'ouvrage éponyme est ainsi légendée : Sandra Bennett, twelve years old, Rocky Ford, Colorado, August 23, 1980. Sauf exceptions, comme cet apiculteur nu, complètement chauve et glabre, couvert d'abeilles, les 103 sujets que nous rencontrons et qui composent l'ouvrage, publié en 1985, et l'exposition, marquant le 40e anniversaire de sa parution, n'ont rien d'extraordinaire... Ils ne sont ni beaux ni laids. On remarque juste le sérieux et même la gravité de leur expression. Ils nous fixent et se présentent. Ils présentent leur vérité sociale dans leur habit ordinaire ou de travail, souvent maculé. Leur regard attentif par réciprocité nous invite à les examiner, à les considérer. À les prendre en considération, c'est-à-dire à les prendre en compte... Et c'est là sans doute l'essentiel du message éthique et politique sous-jacent à l'entreprise de Richard Avedon, allant bien au-delà, par le travail et le temps consacrés, de la commande initiale.

Toutes celles et ceux pour qui Richard Avedon est un maître de la photographe de mode, ayant travaillé vingt ans à Harper's Bazaar (haute couture, prêt-à-porter), puis à Vogue jusqu'en 1990 (en 1985 il est également le photographe exclusif du magazine Égoïste), pour qui les plus célèbres photographies seraient Dovima with elephants (1955), photographie de mode la plus chère de l'Histoire, ou celle des Beatles (1967), ou encore de Andy Warhol and Members of the Factory (1969), ou enfin celle de Nastassja Kinski and the Serpent (1981), bref de ces mortels « surexposés », ne comprendront sans doute pas ce que notre photographe starifié du gotha mondain est parti chercher chez tous ces invisibles du Wyoming ou du Montana, ces laissés-pour-compte de la désindustrialisation et de la politique néolibérale de Ronald Reagan... Que diable allait-il faire dans cette galère sociale ? Pourquoi passer de la mode à la mud, selon la bonne formule du critique d'art Andy Grundberg ?... Réponse : d'une part ne pas se laisser enfermer dans un genre photographique, et d'autre part exprimer une fois encore ses préoccupations éthiques et politiques : en effet Richard Avedon ne s'était-il pas déjà investi dans le mouvement des droits civiques dans le sud des États-Unis ? N'avait-il pas photographié des malades dans les hôpitaux psychiatriques, des activistes de la contre-culture, des victimes de la guerre du Vietnam (cf. Victime du Napalm 1975), et exposé au MoMA de bouleversants portraits de son père démoli par un cancer ? ... S'absentant de la « société du spectacle », créant un lien privilégié avec ces « invisibles », leur offrant ce qu'il y a d'irréfragable dans une réelle présence, ce portraitiste majeur va aussi, à travers ses photos percutantes, nous signifier ce qu'il pense. Avedon : « Le moment où une émotion ou un fait est transformé en photographie, il cesse d'être un fait pour devenir une opinion ».
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
12-06-2025
 

Verso n°136

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