Appréhender le travail de ChantalPetit
à travers une galerie de 17 images.
Dossier ChantalPetit : Dans l’arche du monde par Belinda Cannone
Dossier ChantalPetit
Dans l’arche du monde
par Belinda Cannone

L’Autre


      ChantalPetit utilise les médiums classiques : peinture et sculpture. Pour ses tableaux, elle emploie les outils et les supports les plus simples, toile blanche déjà tendue sur des châssis au format assez grand (à la taille de son corps et plus), peinture achetée ou par elle fabriquée. Peintre classique ? Elle a grand soin de distinguer maîtrise et habileté : c’est pourquoi il lui est arrivé de peindre avec des coton-tiges ou de dupliquer le même sujet avec la main gauche. Mauvais outil et mauvaise main : dans les deux cas, il s’agissait de contrarier ce que la main pouvait avoir acquis d’habileté, de créer pour elle une surprise en utilisant l’Autre, la gauche, la malhabile, ou en renonçant au trop commode pinceau. Les « Peintures jumelles », de 1990 (aussi appelées « Peintures en coin » car installées dans les coins de murs), peintes sur carton, sont réalisées simultanément avec les mains droite et gauche : le peintre a arrêté la série quand les deux peintures étaient identiques. Car il faut sans cesse éviter de tomber dans l’esprit de système, et c’est pourquoi ChantalPetit recherche toutes les pratiques qui lui permettent de se surprendre, de s’électriser, de faire fonctionner d’autres circuits mentaux. Dans les « 366 portraits de Personne » (1986-87), où l’on retrouve la volonté de totalité (une année complète et même bissextile, des visages de tous les peuples, toutes les races, peints selon tous les styles), c’est la rapidité d’exécution qui semble avoir mis au défi l’habileté du peintre. Dans tous les cas, par toutes sortes de procédés, le peintre essaie de convoquer une sorte de double, de « voyant » qui échapperait au contrôle de ChantalPetit. Tant il est vrai qu’il ne saurait y avoir de grande œuvre sans susciter les ressources obscures de l’être, celles où se nouent les articulations inédites et les visions fabuleuses : car il s’agit, encore et toujours, de plonger dans l’Inconnu pour trouver du nouveau.

      Et n’est-ce pas où elle a voulu nous emmener, dans ces « Nuits obscures » (1989-92), grandes toiles qui renouvellent le défi : si le peintre n’a pas de sujet, que peindra-t-il ? Non seulement la nuit, mais encore obscure. Il peint cette ombre qui est comme l’opposé du visible, qui l’amenuise et le contrarie. Car « la nuit est beaucoup plus le contraire du jour que le jour n’est le contraire de la nuit. En vérité, la nuit n’est que l’autre du jour… » (Gilbert Durand). C’est ici, dans ces profondeurs, que le peintre a cherché cet Autre, dans le fond d’un vase ou dans l’enclos d’une muraille, comme si la nuit obscure était non seulement ce regard autre porté sur eux, mais aussi une dimension des objets. Elle a parfois peint, pour chacune de ces grandes toiles, un double, exécuté à la main gauche, et même un troisième élément, peint yeux fermés.

      Regard porté sur les objets : la plupart du temps, chez les peintres anciens, le tableau s’offre dans une simultanéité de la proposition – sur chaque plan, tout nous est donné à voir avec la même précision, chaque détail est peint avec à peu près la même exactitude et le regard s’y promène, sélectionnant un élément et négligeant provisoirement les autres parties de l’œuvre. Chez ChantalPetit, au contraire, le tableau restitue le travail de la conscience qui discrimine, qui ne saisit pas tout du réel avec la même acuité. Il présente les blancs et les flous du regard, aussi bien que sa concentration. Admirable est son art d’utiliser la réserve, d’effleurer la toile d’un trait de dessin qui est tantôt ébauche, tantôt fine élaboration, d’emprunter comme rêveusement une figure connue (on reconnaît un visage, un détail, une position, c’est elle et ce n’est pas elle, comme dans le songe), ou de charger de peinture telle autre partie pour figurer l’intensité de l’observation. Ainsi tous les degrés de l’attention sont-ils manifestés sur la toile même.

mis en ligne le 11/07/2010
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