Appréhender le travail de ChantalPetit
à travers une galerie de 17 images.
Dossier ChantalPetit : Dans l’arche du monde par Belinda Cannone
Dossier ChantalPetit
Dans l’arche du monde
par Belinda Cannone

      Regard porté sur soi : dans ses « Autoportraits » (1997), le peintre a surtout insisté sur ses yeux. Grands yeux bleus ou verts qui mangent le visage : et qu’est-ce qu’un peintre sinon celui qui en use plus attentivement que nous autres ? Après avoir commencé à se représenter en se regardant dans une glace, le peintre a continué de mémoire, puis à deux mains, puis à l’aveugle (c’est le cas pour « Ma tête à deux mains », autoportrait « mental »). Car un autoportrait, c’est bien entendu soi… comme un autre. Et l’on comprend que cette série se soit prolongée dans les dessins qu’elle a intitulés « Hölder-Nil », à partir des poèmes de la folie d’Hölderlin, qui se combinaient dans son esprit avec un voyage sur le Nil : la folie, qui révèle toujours l’Autre en soi, est ici figurée par le moyen de dessins faits entièrement à l’aveugle.

      Alors je comprends un peu mieux le pourquoi de cette étrangeté dans les manifestations de ce « cerveau en œuvres », je comprends que j’y décèle le monde singulier d’un peintre, mais encore que ce monde est celui d’un artiste qui ne cesse d’invoquer l’étranger en lui, en nous, qui en appelle inlassablement aux forces obscures qui révèlent des sens inédits, des voies inusitées et des chants inouïs.

 

Sentiment océanique


      Une intuition me vient, dernière tentative pour amenuiser l’écart entre le cerveau de ChantalPetit et le mien. Depuis l’origine, la peinture de chevalet nous propose une situation mentale et existentielle capitale : il s’agit de nous arrêter devant la splendeur du monde vue par l’homme, d’interrompre notre mouvement pour nous recueillir dans la contemplation. La peinture, silencieuse et immobile, répond à cette nécessité du suspens, de l’apaisement du rythme du corps et de l’esprit, de la plongée dans un univers autre – c’est-à-dire recréé par un autre et offert à notre vue. Soit. Mais quand j’entends ChantalPetit, parlant de ses inspirations, évoquer le Nil lent, Noirmoutier où se rejoignent mer et ciel, les montagnes ardentes, je suis surprise par une étrange connivence. Je les connais ces paysages, ou leurs semblables, devant chacun j’ai vécu, pleinement ou fugitivement, à jamais convoitée, l’expérience du monde la plus merveilleuse et la plus éblouissante : la sortie de soi. Devant la sublimité de certaines vues, il arrive, quelques fois dans une vie, qu’on puisse abandonner soudain la position minimaliste, l’être réduit à ses modestes dimensions et à l’enfermement dans le moi, pour se placer à équidistance de soi et de l’univers. Alors on se sait élément de la vastitude, partie du tout, passant de soi-même, du temps et du monde, et l’on est comme saisi d’un ravissement. Il y a, dans la peinture de ChantalPetit, dans l’ampleur de ses suites et l’abondance de ses modèles (extérieurs, intérieurs), dans la profondeur de sa « voyance » et la fertilité de ses manières, il y a dans chaque moment de son œuvre cette invitation à la sortie de soi, cet appel à nous dilater pour occuper l’immensité de la grande arche – immense comme notre espace mental.

Belinda Cannone

mis en ligne le 11/07/2010
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