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[verso-hebdo]
29-04-2021
La chronique
de Pierre Corcos
Dessins après traumas
Le disque porte la marque du choc reçu et le saphir ne peut glisser normalement sur le sillon. La musique est alors interrompue, et le même son revient, continuellement... Le sujet victime d'un état de stress post-traumatique revit en boucle son trauma. Et même dans sa production artistique, s'il crée, cette récurrence anxieuse reste perceptible. On a vu par exemple des figures effroyables revenir sans cesse dans les dessins de guerre d'Otto Dix. Leur répétition témoigne, autant que les scènes montrées, de l'horreur qu'a endurée l'artiste dans les tranchées de 14-18... Alors l'appréciation des oeuvres produites compulsivement après une terrible épreuve doit prendre en compte cet aspect obsessionnel qui vient bloquer le libre envol de la créativité artistique. D'ailleurs ceux qui regardent ensuite les oeuvres nées du trauma ne sortent pas indemnes de l'expérience.

Visibles avant le confinement, 28 gravures et 16 dessins impressionnants du syrien Najah Albukai sont exposés à la galerie Fait et Cause - 58, rue Quincampoix Paris 4ème - jusqu'au 30 avril. Ils montrent des rassemblements d'hommes chétifs, dénudés, terrorisés dans l'espace sombre, poisseux et confiné de geôles. Certains de ces misérables, agenouillés, les mains ligotées, vont s'écrouler d'épuisement et désespoir. Dans d'horribles cours se déchargent des cadavres, transportés dans de crasseux suaires. Quelques sbires à la face de dogue, une matraque à la main, commandent ces lugubres transports. L'artiste reproduit sans cesse la même scène, jusqu'à même une stéréotypie dans l'attitude, très bien saisie, des détenus contraints à cette activité... Elle est peut-être le seul moment d'animation dans le quotidien prostré, étouffant, surpeuplé de ces malheureux croupissant jusqu'à la mort, jusqu'à l'oubli, dans le centre 227 des services de renseignements syriens. Enfermé et torturé là, à plusieurs reprises entre 2012 et 2014, l'artiste Najah Abukai, au départ professeur de dessin dans une université syrienne, n'était ni un rebelle ni un djihadiste : il avait juste participé, comme bien d'autres détenus, à quelques manifestations pacifiques contestant la violence autocratique du régime de Bachar El Hassad. Il a pu s'échapper de là, rejoindre le Liban, puis venir en France. Ses souvenirs le taraudent comme un cauchemar et le dessin, tracé d'une plume ou d'une pointe véloces, incisives, témoigne, autant par son grouillement que par ses pathétiques récurrences, de ce qu'il a subi avec ses compagnons de malheur. « Mes dessins n'étaient pas destinés à être exposés ou publiés. En arrivant en France en 2015, j'ai dessiné sur tout ce qui me tombait sous la main (dos d'affiches, bouts de papiers en tous genres...) pour ne pas oublier. Oublier ces prisonniers maigres, blessés, ces corps qu'il fallait décharger, la promiscuité des prisons, la torture... », confie Najah Albukai. Pas d'appareil photo dans cet enfer caché. Il n'y a que les yeux, la mémoire, et la main qui dessine au service du témoin (étymologie de « martyr » = témoin), mais il faut qu'il puisse s'échapper, ou au moins faire sortir ses dessins. Alors, devenus tous témoins, nous ne pourrons plus plaider l'ignorance... On sait que de rares dessins ont pu être réalisés dans les camps d'extermination nazis, puis être discrètement évacués. Leurs auteurs ont rarement survécu. Avec pour seul bagage sa mémoire visuelle mobilisée par une observation de l'horreur, Najah Albukai a pu s'échapper, ses dessins en lui. Comme l'écrit Jérôme Godeau, commissaire d'exposition, « À la bestialité de l'informe et du chaos, il oppose l'humble puissance de la plume, du crayon qui témoigne. La douleur infligée, la fureur des tortionnaires, rien ne peut faire qu'elles n'aient été sous l'attention absolue de son regard ». Doit-on parler encore ici d'« art », au sens d'artifice, d'apparence qui vient nous ravir et nous combler ?

Outre l'exposition des dessins et gravures de Najah Albukai à la galerie Fait & Cause, la parution du livre Tous Témoins, Dessins de prison Syrie, octobre 2015 - juin 2020, il y a un mois et demi aux Éditions Actes Sud et Pour que l'Esprit Vive, offrit l'occasion à une vingtaine d'écrivains d'exprimer leur révolte, leur indignation face aux horreurs perpétrées par le régime d'El Hassad, ou encore face à ce qui fut appelé la « syrianisation » de notre monde surinformé et cependant atone devant cette tragédie collective. On y trouve les dessins de Najah Albukai d'un côté, et les contributions de Philippe Claudel, Marie Desplechin, Laurent Gaudé, Nancy Huston, Wajdi Mouawad, Olivier Py, Sebastião Salgado, Elias Sanbar, pour ne citer que ces noms, ainsi que de nombreux textes syriens, de l'autre. Enfin une soirée à la Maison de la Poésie, le 20 mars dernier, en diffusion sur Youtube et Facebook... Dessins, textes, paroles, musiques : du symbolique ténu, précaire, peut-être dérisoire en face de l'écrasante brutalité du réel, de son abjecte indifférence. Mais le tyran étant toujours là, et ses bourreaux continuant à massacrer, torturer avec l'intention d'occulter leur infamie, il faut bien que l'énorme dossier d'accusation soit instruit, chargé de tous les témoignages possibles, dessinés ou écrits. Voilà pourquoi, au-delà de l'esthétique, le douloureux travail de Najah Albukai garde à l'évidence, comme effroyable pièce à conviction, une portée éthique, juridique et politique. Insoutenable miroir de la barbarie, que la « Realpolitik » ne cesse hypocritement de voiler. Depuis 10 ans que cette révolution pacifique syrienne a commencé, dans le contexte global du Printemps arabe en faveur de la démocratie.
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
29-04-2021
 
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Verso n°136

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