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Disneyland à Venise
Les artistes et les expos - Thierry Laurent
Mais la réalisation la plus surprenante est sans doute celle de l'artiste Shu-min Lin, réalisée pour le pavillon de Taiwan: Glass ceiling rappelle à certains égards Floor de Do-Ho Suh. Un dallage où les visiteurs sont invités à s'aventurer laisse apercevoir en hologramme au gré des éclairages des visages d'hommes et de femmes effarés qui semblent surgir brutalement au moment de notre passage et nous crier un message que nous n'entendons pas. Comme des morts s'égosillant à nous avertir en silence de l'imminence d'un danger. Parcours qui évoque la descente aux enfers d'un Ulysse rendu sourd aux cris des ancêtres.

L'installation devient donc le maître-mot de l'art d'aujourd'hui et il faut bien reconnaître qu'elle bouleverse les données de la perception et le mode de fonctionnement de l'œuvre d'art. Le spectateur cesse de regarder une œuvre de loin, il est au contraire invité à pénétrer à l'intérieur, car l'œuvre contemporaine, d'objet à regarder, s'est muée en espace à parcourir, à expérimenter, à habiter. Le phénomène n'est certes pas nouveau si l'on se souvient du fameux Merzbau de Kurt Schwitters ou du Cabinet logologique de Dubuffet espaces en forme de grotte que le visiteur est amené à explorer. Le corps du visiteur est dorénavant impliqué dans sa totalité et ce sont tous ses sens qui désormais sont sollicités: la vue, l'ouie le toucher, l'odorat. L'œuvre est mise en spectacle dans un espace scénique où sont requis comme moyens d'expression autant les sons que les lumières, autant les effets tactiles que les parfums. L'œuvre d'art devient, pour paraphraser Baudelaire, "une forêt de symboles, où les parfums, les couleurs et les sons se répondent".

Do-Ho Suh, Public Figures, 1998, 173 x 275 x 285 cm, Resin, glass fiber, steel structure.
Dans cette optique d'un art-environnement, la vedette est revenue cette année au pavillon allemand, avec l'installation de Grégor Schneider, Dead House Ur, gratifiée du Lion d'or de la meilleure participation. À l'extérieur, rien qu'une porte banale, assez étroite, par laquelle les visiteurs sont admis par petit nombre, d'où l'obligation de faire la queue pendant trois quarts d'heure pour être admis à séjourner dans le pavillon allemand. Séjourner est le terme adéquat, car il s'agit bien ici de l'intérieur d'une maison, entièrement reconstituée à échelle normale - escalier d'entrée avec rampe, chambre à coucher, débarras, cuisine, cave - mais l'atmosphère y est glauque et fantômatique. Une maison délabrée, abandonnée, pourvue de dédales, de corridors étroits, de recoins dérobés et plâtreux. Ici, tout est sordide, étouffant, carcéral et dévasté. Les quelques meubles sont défoncés et un désordre de maison abandonnée, de squat ravagé et jonché de gravats règne en maître. Aucune fenêtre n'ouvre sur l'extérieur et la lumière est parcimonieuse. Les visiteurs qui tour à tour se perdent, se cherchent et se retrouvent, errent au hasard d'un parcours non balisé, se hasardent à pas hésitants dans un huis clos silencieux. Petite ironie de l'artiste: tout au fond du dédale, dans une pièce exiguë une boule de boîte de nuit fait tournoyer ses reflets argentés. L'explication d'une telle déambulation, outre le plaisir du spectateur de se perdre, de s'accorder quelques frayeurs sans danger, de se remémorer les jeux de piste de son enfance, de se laisser surprendre par une cache inattendue? L'artiste affirme que l'œuvre ne doit pas être comprise en termes de « visible et de non visible, mais davantage en termes de perception consciente ou inconsciente ». Autre explication cette fois-ci donnée par le commissaire de l'exposition: la maison symboliserait la complexité des méandres de l'ego humain. I1 est un fait que le misérabilisme étroit du lieu finit par provoquer un malaise, pire un mal être, comme si le lieu déclenchait une sonnette d'alarme qui nous alertait des dysfonctionnements du monde extérieur. Vertige du banal ?

Ron Mueck, Untitled (boy), 1999, 4,9 x 4,9 x 2,4 m, Mixed media.
Bien souvent l'installation se veut copie du réel, et s'il fallait trouver un paradigme pour la définir, ce serait celui du studio de cinéma. Street Market des Américains Barry Mc Gee, Stephen Powers et Todd James est la reconstitution grandeur nature d'une rue commerçante typique d'une ville moyenne américaine. Imbrication d'échoppes chamarrées, de boutiques surmontées d'enseignes lumineuses, de magasins ornés de panneaux publicitaires, sans oublier les innombrables graffitis qui courent sur les murs et les stores. Certes, les marques annoncées sont ici de pure invention et l'on se rend bien compte que l'esprit du lieu est à la parodie. D'autant que face à ce décor d'inspiration Pop et annces 1980 une série de camions renversés, de taille imposante, offre un spectacle de châssis, de tuyaux d'échappement, de roues caoutchoutées tournant presque encore sur leur axe. Affrontement entre les vertiges amnésiques d'une société de consommation et son échec latent symbolisé par les poids lourds couchés sur leur flanc, qui semblent avoir été abattus par un récent séisme. La rue est déserte d'ailleurs. Aucun consommateur n'est présent pour remplir ces lieux. Métaphore d'un univers d'abondance matérielle et de solitude humaine ?

L'installation peut aussi s'éloigner du réel pour recréer un univers inédit, nourri de fantasmes et d'imaginaire. Avec l'installation au titre évocateur Walking in Venus Blue Cave, le Brésilien Ernesto Neto nous offre un univers de tulle et de gaze transparente où l'on pénètre comme dans les méandres d'une grotte, dont les parois sont constituées de volumes malléables, épousant les saillies du corps comme une seconde peau. Univers voluptueux, ressemblant à un océan de nuages, où le corps flotte comme en apesanteur. Le visiteur a tous les droits: il peut se vautrer à loisir, accomplir des cabrioles, deviser, s'adonner à une sieste roborative, s'oublier dans un confort absolu. Autre œuvre d'Ernesto Neto, visible à l'Arsenale, employant les mêmes matériaux, mais cette fois-ci pour contenir des amas de graines odorantes qui par leur poids donnent au tulle la forme de pesante et sensuelle stalactite exhalant des fragrances épicées.

L'installation va jusqu'à proscrire toute matérialité pour ne viser qu'à provoquer des effets de pure atmosphère. Au pavillon nordique, il n'y a presque rien à voir, hormis quelques parois blanches posées à intervalles réguliers et quelques fils métalliques tendus face à un mur blanc, évoquant par ce procédé le givre. Mais le " spectacle " est ailleurs, car l'œuvre ici n'est pas à voir mais à entendre, mieux à vivre: de puissants haut parleurs diffusent un bruit de tempête de neige et de vent, et nous voilà transportés des rives estivales de l'Adriatique sur la banquise hivernale du Groenland. L'art de l'installation n'est pas destiné à satisfaire la vue ou un sens en particulier, mais à créer une qualité particulière d'atmosphère, suffisamment convaincante pour nous extraire du lieu où nous sommes. Dans le même ordre d'idée, le pavillon autrichien propose l'expérience psychédélique de la Rave. Le groupe Granular = Synthésis a disposé face à face deux écrans vidéo qui mitraillent dans le noir des flash de lumière pendant qu'une musique tonitruante nous percute l'estomac d'ondes de choc. Esthétique de la pure sensation, de l'oubli de soi, de la transe, pour peu qu'on veuille bien se prêter au jeu.
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mis en ligne le 28/11/2001
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