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Disneyland à Venise
Les artistes et les expos - Thierry Laurent
Ainsi le vidéaste Anglais Mark Wallinger parvient-il à restituer la part de sacré et de religieux que recèle la banalité d'un lieu public comme un aéroport. Threshold to the Kingdom nous montre l'arrivée de voyageurs à un terminal d'aéroport britannique, filmés au ralenti sur fond de musique sacrée, en l'occurrence le Miserere d'Allegri. La scène se mue en une chorégraphie de ballet parfaitement orchestrée, comme si l'aléatoire des gestes et des démarches de tous les jours obéissait à un mouvement d'horloge cosmique. L'aéroport dans sa quotidienneté lugubre prend soudain des allures de cathédrale. Dieu ne serait-il pas l'ordonnateur de nos moindres mouvements ? Autre réalisation assez hallucinante de Marc Wallinger, artiste imprégné de lecture de la Bible et dont la figure d'un Christ en résine synthétique orne le vestibule du pavillon britannique: Angel, vidéo où l'artiste se met lui-même en scène, déguisé en prophète aveugle, lunette noire et canne blanche, récitant en bas d'un escalator de métro les premiers versets de l'Évangile selon Saint-Jean. Seulement voilà: l'Evangile est récité à l'envers et l'artiste est contraint de progresser à reculons pour parvenir à demeurer en place sur les marches descendantes de l'escalier roulant. Manière de révéler l'inanité d'un monde à l'envers, robotisé jusqu'à l'absurde et où les forces se contrariant sans cesse aboutissent à l'immobilité générale.

Do-Ho Suh, Public Figures, 1998, 173 x 275 x 285 cm, Resin, glass fiber, steel structure.
Autre vidéo marquante qui exploite le décalage avec le réel pour mieux en souligner l'absurdité, celle du suisse Ingeborg Luscher, (Fusion) montrant des footballeurs en costumes cravates se livrant aux rituels triomphalistes des matchs de grand soir sur une pelouse de stade vide: l'effet est d'autant plus burlesque que les participants semblent eux-mêmes s'accommoder fort bien de cette dérision. La gestuelle d'une civilisation vouée au spectacle sportif nous apparaît comme les gesticulations d'aliénés échappés de l'asile.

Avec Flex de l'Anglais Chris Cunningham, la vidéo peut allier virtuosité technique et plasticité néoclassique des corps. Chris Cunningham nous montre un corps à corps entre un homme et une femme où la joute amoureuse le dispute à la férocité d'un combat animal dans une atmosphère crépusculaire destinée à indiquer que toute rencontre amoureuse est aussi un affrontement guerrier. L'artiste nous offre une sorte de métaphysique des corps dont les déchirements sanguinaires se terminent par une projection lumineuse dans l'espace intersidéral. Vertige absolu d'un duel charnel qui s'achève dans l'intemporalité du cosmos. Autre prouesse de Chris Cunningham: All full is love nous montre deux robots dont les mécanismes apparents contrastent avec les visages féminins à la peau veloutée. Les deux " femmes " se livrent à des attouchements saphiques d'autant plus troublant que leur univers est celui de la science-fiction.

Ron Mueck, Untitled (boy), 1999, 4,9 x 4,9 x 2,4 m, Mixed media.
Un des thèmes récurrent de la vidéo à la biennale de Venise est sans doute celui de la chute, chute d'Icare, déchéance de Prométhée, chute pascalienne de l'homme qui en voulant faire l'ange se voit condamné à faire la bête. Le " Plateau de l'humanité " voulu par Harald Szeemann ne cesse de se renverser à terre et les personnages se fracassent au fond de l'abysse. Vision désenchantée d'une humanité qui bascule à terre.

Témoin cette vidéo du Suédois Lars Siltberg montrant un homme en combinaison argentée de danseur étoile, les pieds et les mains empêtrés dans des boules volumineuses et qui de ce fait ne cesse de perdre l'équilibre, de tomber à terre lamentablement, de se relever pour choir de plus belle, tantôt ; sur une surface de glace tantôt dans une piscine. Même thématique avec la vidéo de Garry Hill, mais avec la violence en plus et le burlesque en moins: Wall Piece nous montre un homme apparemment enfermé dans une cellule étroite qui s'élance et se cogne, en un flash de lumière, contre la cloison et retombe à terre dans l'obscurité. L'homme réitère à l'infini son saut comme un moustique qui ne cesse de se heurter à une paroi, avec un acharnement désespéré, tel un Sisyphe obstiné.

Même vision dans le film d'animation du scandinave Magnus Wallin. Exit montre l'image sans cesse répétée d'un trapéziste virtuose qui s'envole dans les airs et perd l'équilibre, se fracassant après une chute vertigineuse en mille morceaux épars. Dans le même esprit, mais cette fois-ci sur le mode du vaudeville, l'Américain John Pilson s'amuse à mettre en scène un bureaucrate pressé par un rendez-vous et qui tente sans succès d'enfouir une liasse de dossier dans une mallette qui ne cesse de s'ouvrir malencontreusement et laisse choir épars au sol les documents. La scène visualisée sur plusieurs écrans se répète à l'infini, développant un comique de répétition inspiré des Marx Brothers. Enfin, et pour en finir avec la vidéo à Venise, cette vision sarcastique du Suisse Urs Luthi nous montrant un quinquagénaire bedonnant, sans doute amoureux d'une jeune donzelle, s'acharnant à marcher sur un tapis de gymnastique pour perdre du poids: image d'une humanité qui ne cesse de piétiner sur place, vouée à prodiguer toujours plus d'efforts pour d'improbables mirages.

Autre domaine de prédilection de l'art contemporain à Venise: les installations. Se singulariseraient-elles par une vison plus sereine du « Plateau de l'Humanité » ? Guère !
Force est de reconnaître encore une fois que la surprise est venue d'Asie. On ne saurait rester insensible à l'élégance décorative de ce jeu de lustres qui se balancent sans toutefois s'entrechoquer, conçu par Susann Victor pour le pavillon de Singapour. Dusted by Rich Manœuvre donne l'impression d'un permanent risque de collision entre les cristaux des lustres latéraux qui semblent vouloir percuter le lustre central d'apparence plus fragile. Et le mécanisme qui préside aux balancements évite que la collision secrètement redoutée ou attendue ne se produise.
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mis en ligne le 28/11/2001
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