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[verso-hebdo]
23-03-2017
La chronique
de Pierre Corcos
Du théâtre à la vie
L'esthétique voulant rapprocher l'art de la vie, aussi importante mais plus récente que celle qui veut l'en éloigner le plus possible, se retrouve à l'évidence chez Tchekhov. Son écriture, très neuve, inhabituelle à l'époque, mettait en scène des situations banales, en prise directe avec les réalités sociales du moment, et produisait des dialogues simples, d'une fraîcheur extraordinaire. L'action se voit réduite au minimum, l'emphase récusée. Cependant, le non-dit, le hors-champ, le langage silencieux des gestes, des lieux, enrichissent d'une profondeur symbolique, d'un « manque à être » fondamental, également d'une souriante poésie un théâtre au réalisme sans dogme. Tchekhov montre ce qu'il voyait comme médecin itinérant, mais il parle aussi de ce qu'il connaissait fort bien en tant qu'homme de théâtre.
C'est ainsi que, des comédiens et de leur dure condition, des prestiges de la scène et des misères de leurs coulisses, quelques-unes de ses nombreuses nouvelles traitent. Également une pièce, maintes fois jouée, fort appréciée (on le comprend) des comédiens et metteurs en scène : La Mouette.

Jusqu'au 1er avril, à l'excellent Théâtre de la Bastille, on peut voir une nouvelle mise en scène, signée Thibault Perrenoud (compagnie Kobal't), très convaincante, de La Mouette. Dans cette pièce, Tchekhov déconstruit en au moins trois personnages son ego : l'auteur devenu célèbre (Trigorine) et qui prend pour maîtresse une jeune comédienne (Nina), l'auteur débutant, amoureux, idéaliste et innovateur (Treplev), et un médecin de campagne réaliste (Dorn). Il met en scène les illusions ou rêves des jeunes comédiennes (Nina, « la mouette »), l'ironie et l'amertume des actrices vieillissantes (Arkadina). Il nous parle avec justesse de l'écart entre la représentation idéalisée, « romantique », des créateurs à succès et leur véritable condition, taraudée par l'obsession de l'écriture, et où le bonheur amoureux ne peut qu'être fugitif, dérobé... On conçoit facilement la motivation « à creuser le sillon émotif d'une galerie de personnages confrontés à des situations qui nous touchent personnellement, au quotidien », comme l'écrit le metteur en scène Thibault Perrenoud. La mise en scène découle - et c'est son originalité - de l'émouvante proximité entre la vie réelle des comédiens de la compagnie Kobal't et certains personnages de La Mouette... Le résultat théâtral concret donne ceci : les lumières restent allumées, il n'y a pas d'écart scène/salle traditionnel (les spectateurs sont assis autour de la scène complètement dépouillée, parfois font partie du jeu), les comédiens vaquent à leurs occupations, on dirait qu'ils répètent, certains s'interrogent sur l'utilité du théâtre, comme ils le font aujourd'hui, des sièges portent le nom de leur personnage, on fait la cuisine dans un coin, on s'active machinalement ici et là, etc. Et l'on passe insensiblement d'un plateau traversé par les comédiens de Kobal't à la pièce en quatre actes d'Anton Tchekhov... « Les glissements de la vie au théâtre et du théâtre à la vie doivent se faire de manière invisible mais parfaitement orchestrée », déclare Thibault Perrenoud dans sa note d'intention. Et cette exigence tenue, accomplie par les comédiens, contribue à la fidélité de la mise en scène au propos esthétique, rappelé plus haut, de Tchekhov.

Le premier acte montrant la pièce que commence à monter Treplev, son auteur, avec l'apprentie comédienne Nina, inscrit d'emblée La Mouette dans la logique du « théâtre dans le théâtre » qui, paradoxalement, annule l'artifice de la scène au profit de la vie réelle. Si les questions qui se posent à ce moment précis touchent à l'interprétation, au décor, à l'esthétique théâtrale et à la mise en scène, alors se crée un phénomène de distanciation pour les spectateurs. De même que le langage possède une fonction métalinguistique (le langage peut se prendre lui-même comme objet), le théâtre recèle des possibilités métathéâtrales (présentes déjà dans le Hamlet de Shakespeare), dont l'un des effets possibles est d'aller à l'encontre des lois de la scène générant illusion et identification.
Par ailleurs l'absence de « héros » positif dans La Mouette, la minceur de l'intrigue, le bavardage des protagonistes, souvent décalé, peu interactif, la discordance des histoires amoureuses, les ennuis de santé du vieux Sorine nous rappellent le malheur banal de la vie réelle (duquel, en principe, un spectacle est supposé nous divertir), et appellent une mise en scène dont Stanislavski jadis et d'autres metteurs en scène aujourd'hui comprennent qu'elle doit être au plus proche de la vie. C'est-à-dire proche d'un certain chaos, d'une grande mobilité, d'un rythme variable et d'une indécidabilité émotionnelle globale.

L'adaptation et la dramaturgie de Clément Camar-Mercier, si elle ajoute ici des mots d'aujourd'hui et retranche là certains passages, marque cependant une fidélité au propos de Tchekhov : « Il faut tenter de recréer un nouveau texte fidèle à un esprit plutôt qu'à un contenu, fidèle à un sens plutôt qu'à une forme, fidèle à une esthétique plutôt qu'à un discours », écrit le dramaturge. Et cette adaptation converge sans accroc avec la mise en scène de Perrenoud et le jeu « spontané » de la compagnie Kobal't. La fraîcheur, la saveur de l'écriture tchekhovienne nous sont rendues intactes. Et loin de s'annoncer avec de gros sabots, l'émotion nous cueille soudain comme par inadvertance.
Voilà, on oublie le Théâtre. Donc de l'excellent théâtre...
Pierre Corcos
23-03-2017
 
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