Dossier Groborne
Quelques mots échangés avec Robert Groborne le 15 octobre 2011

par Gérard-Georges Lemaire

mis en ligne le 28/12/2011

Viviez-vous la peinture comme un plaisir ou une quête douloureuse ?
On me dit souvent : quelle chance vous avez de faire ce qui vous fait plaisir. Non, ce n’est pas vrai. Ce n’était pas un plaisir. Pas du tout. De temps en temps, j’ai l’impression d’avoir touché quelque chose. C’est bien. Mais je ne travaillais pas et je ne travaille pas dans le bonheur. C’était une nécessité, rien d’autre. Une nécessité exclusive. Et rien ne peut m’en distraire. Par exemple, je ne peux pas écouter de la musique en peignant. J’ai besoin du silence. Je laisse ma porte ouverte quand je suis dans mon atelier et le bruit qu’il peut y avoir dans la cour ne me dérange pas. Mais la musique, ou la radio, c’est impossible. Si j’écoute de la musique, je ne peins plus. Les bruits de la vie ne me gênent pas.

Avez-vous besoin d’alimenter votre travail par des lectures, comme c’était le cas pour Eugène Delacroix ?
Il y a-t-il une réciprocité au cours d’un travail ? Je ne sais vraiment pas. J’ai oublié. Je lisais beaucoup de choses qui n’ont rien à voir avec ce que je faisais. C’est encore ainsi aujourd’hui. Non, je me nourrissais plus volontiers en allant au Louvre ou je passais dix minutes, un quart d’heure. C’était toujours rapide, au pas de course. Au hasard souvent. Je le fais toujours. C’est de cette façon que j’ai eu la révélation de Poussin : je passais dans la Grande galerie du Louvre, que je n’aimais pas, je trouvais qu’elle n’était pas faite pour la peinture et je la traversais toujours très rapidement. Il y avait Nicolas Poussin au fond de cette galerie, le portrait de Louis XIV par Le Brun et puis on pénétrait dans les salles de Rubens. Donc j’allais tout droit, sans m’arrêter. Et un jour j’ai vu L’Inspiration du poète du coin de l’œil. Je ne le regardais pas. Mais j’ai vu alors en coup de vent la composition de cette peinture et je me suis arrêté. J’ai découvert Poussin que j'aime beaucoup, comme ça. Je connais très mal la peinture italienne parce qu’elle était dans cette galerie ! C’est drôle, mais j’aime bien, par exemple, passer des antiquités orientales au XVIIIe siècle, j’aime bien ce genre de croisement. Un jour, je suis allé voir les salles assyriennes – très belles -, puis je suis passé par un petit escalier en colimaçon qui, des salles égyptiennes débouchait sur Fragonard. Je m’arrêtai alors devant une de ses toiles, La Chemise enlevée ou Le feu aux poudres, je ne sais plus. Il y a chez Fragonard une liberté dans le geste de peindre qui, ce jour là m'a ébloui moi qui avais alors besoin d'avoir mon projet dans la tête avant de peindre. Fragonard avec son plaisir de peindre évident m’a donné une liberté. Oui, tout d’un coup, je m’étais libéré grâce à lui ! Je suis rentré dans mon atelier, j’ai pris une planche, je l’ai découpée en huit morceaux, j’ai fait huit fois la même chose ou presque – des petits reliefs – et puis, pendant trois jours, je me suis laissé aller au plaisir de faire, de faire sans penser. Ma femme m’avait déclaré : « Si tu étais comme ça tous les jours, ce serait merveilleux ! » Cela va sans dire que je n’ai jamais peint à la manière de Fragonard... Il m’a permis d’oser et c’était énorme.

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