Dossier Pierre Marie Lejeune
Pierre Marie Lejeune ou le dévoilement d'un monde
par Jean-Luc Chalumeau

Il y a style lorsque je discerne, par exemple devant Mega Hop, 2008, un simple tronc de chêne dont Pierre Marie Lejeune s'est emparé en lui adjoignant une pièce d'acier, un miroir sur deux faces et un peu de peinture polyuréthane, lorsque je discerne une certaine relation vivante de l'homme au monde. L'artiste m'apparaît alors comme celui par qui existe cette relation, non parce qu'il la suscite, mais parce qu'il la vit.
On pourrait dire que les objets esthétiques signés PML traduisent une relation au monde, un « style de vie » : ses schèmes techniques ne sont pas seulement des moyens de faire l'œuvre, mais de dire un monde. Son « métier » est une signature, il explique une certaine ressemblance entre des pièces pourtant très différentes, il n'efface jamais le style. Nous touchons au mystère de ce que Bergson appelait  la ressemblance qu'ont forcément entre elles les œuvres d'un même artiste. C'est que toutes les œuvres de PML nous apparaissent comme des « fragments d'un même monde », pour reprendre la jolie observation de Marcel Proust faite à Albertine : « Vous m'avez dit que vous aviez vu certains tableaux de Vermeer, vous vous rendez bien compte que ce sont les fragments d'un même monde, que c'est toujours, quelque génie avec lequel ils soient recréés, la même table, le même tapis, la même femme, la même nouvelle et unique beauté, énigme, à cette époque où rien ne lui ressemble ni ne l'explique si on ne cherche pas à l'apparenter par les sujets, mais à dégager l'impression particulière que la couleur produit. » Ce « même monde » est celui de l'artiste, ce qui veut dire que comprendre le langage d'une œuvre, c'est toujours comprendre quelqu'un, étant entendu que la vérité de l'auteur n'est pas la vérité historique d'un individu donné (objet de sa biographie) mais la vérité de l'homme présent à l'œuvre qu'il me suffit de connaître par l'œuvre. C'est ainsi que cette dernière a la capacité d'habiter des lieux extrêmement divers : le parvis du Musée d'Art Moderne et Contemporain de Nice (Mamac), un parc de Shangaï ou le grand hall de l'Univerité Paris Descartes qu'elle ne « décore » en rien, dans la mesure où elle y impose à chaque fois une présence.

De même, le grand Arc, posé sur la place d'Armes de Metz de juin à octobre 2006, qui réussissait une superbe alliance de l'acier et d'un miroir, ne représentait rien de précis et ne proposait aucune signification particulière. Elle était là, et cela suffisait : le visiteur sentait bien que l'Arc proférait quelque chose, mais quelque chose de non identifiable. Il devinait que l'on pourrait s'inspirer, pour parler des objets esthétiques conçus par Pierre Marie Lejeune, de ce qu'Eugène Fromentin disait de Rembrandt : ils s'appliquent à rendre visible l'invisible, un invisible plus réel et plus présent que le visible « ordinaire », et qui commande la vision du visible. En ce sens, toute la production de Pierre Marie Lejeune appartient éminemment au meilleur de l'Art moderne, lequel s'applique, depuis le début du XXe siècle, à produire des œuvres qui se proposent immédiatement comme des objets esthétiques sans distraire l'attention par une représentation identifiable ou une signification symbolique, et qui finalement invitent essentiellement à une pure contemplation.

mis en ligne le 12/07/2012
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