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[verso-hebdo]
31-10-2019
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Guggenheim, la collezione Thannhauser, da Van Gogh à Picasso, Skira / PalazzoReale, Milan, 128 p., 29 euro.

Justin K. Tannhäuser (1892-1976) est le fils d'un grand marchand d'art, Heinrich Tannhäuser (1859-1935), fondateur de la Moderne Galerie à Munich en 1909. Ce dernier y a exposé les impressionnistes et les postimpressionnistes, les membres de la Neue Künstlerverveinigung Munchen (Association des nouveaux artistes de Munich) puis ceux du Blaue Rider entre 1901 et 1911, où Kandinsky a joué un rôle primordial. C'est qu'a eu lieu la première rétrospective de Picasso. On peut donc comprendre le rôle essentiel de cette galerie dans l'histoire des avant-gardes en Allemagne. Le fils, Justin, a entretenu des rapports étroits avec Picasso jusqu'à sa mort. Par la suite, après la Grande Guerre, la galerie a créé des filiales à Lucerne (1919) et à Berlin (1927). La galerie doit fermer ses portes en 1937 et la famille Tannhauser s'installe à Paris, puis à New York quand l'Allemagne envahit la France. Justin donne une large partie de sa collection à la Solomon R. Guggenheim Foundation de New York en 1963.
L'ensemble est présenté au musée à partir de 1975. Cette exposition présentée au Palais royal de Milan permet au public de découvrir une large partie de cette magnifique collection qui ne comprend que des artistes européens. Pour lui comme pour son père, l'art moderne commence avec Edouard Manet, dont on peut découvrir Devant le miroir de ce dernier, puis la célèbre Femme à la perruche de Renoir, des natures mortes et des paysages de Cézanne, sans compter L'Homme aux bras croisés de 1899, des sculptures de Degas en bronze, Le Palais ducal vu de San Gorgio Maggiore de Monet (1908), des compositions campagnardes de Georges Seurat, des paysages de Vincent Van Gogh, des vedute de Paul Gauguin. Parmi les pièces les plus admirables, on trouve deux tableaux du Douanier Rousseau, Les Artilleurs (1910) et Les Joueurs de football, de la même année. Il y a aussi un beau Picabia, le Portrait de Mistinguett (1908-1911), un portrait remarquable d'André Derain, cette étonnante Ville de Robert Delaunay de 1911, des compositions de Braque et de Gris, et une salle entière de Picasso, du Moulin de la Galette de 1905 jusqu'au Le Homard et le chat de 1965, en passant par des oeuvres cubistes, er par la magnifique Fernande à la Mantille (1905) et La Femme aux cheveux jaunes de 1921. Cependant, les deux tableaux les plus extraordinaires sont à mes yeux La Montagne bleue de Kandinsky et La Vache jaune de Franz Marc (1911). Voilà l'histoire de deux vies intenses de marchands d'art entièrement dédiées à l'art et qui a pu préserver ses précieuses acquisitions. Le résultat vaut vraiment le détour.




Collection Weisman & Michel, fin de siècle - Belle Epoque, édition bilingue, Musée de Montmartre, jardins Renoir / Editions Hazan, 224 p., 24, 95 euro.

Montmartre a, dans le dernier tiers du XIXe siècle, se voit attribuer plusieurs fonctions contradictoires. La première est de commencer à s'urbaniser et à s'intégrer à la ville de Paris. La seconda est d'avoir été le coeur battant de la Commune, avec comme symboles, les canons qui n'ont jamais été remis aux Prussiens qui ont assiégé la capitale. La troisième est la décision d'y construire le monument expiatoire qu'est la basilique du Sacré Coeur (qui ne sera achevée qu'en 1919), chef-d'oeuvre absolu du mauvais goût. La quatrième est son progressif passage d'une zone rurale en un lieu de plaisirs. La collection réunie par ces deux Américains, David E. Weisman et Jacqueline E. Michel, a d'original de concerner la légende de la Butte, qui s'est affirmée à travers de nombreuses oeuvres crées alors. On trouve dans ces cent trente ouvrages réunis au musée de Montmartre des artistes qui sont devenus célèbres (Toulouse-Lautrec en premier lieu, mais aussi Suzanne Valadon, avec des peintures et des dessins peu connus et souvent remarquables, Auguste Renoir, Pierre Bonnard à ses débuts, Georges Rouault), et d'autres, moins célèbres, mais qui sont indissociablement liés à l'histoire de ce nouveau quartier.
Il y a en premier lieu André Gill, qui est passé à la postérité pour avoir peint l'enseigne de l'un des établissement les plus célèbres de l'endroit, Le Lapin agile, et aussi Edouard Manet, Louis Valtat, qu'on commence à redécouvrir, Adolphe Willette, Herman-Paul, Edouard Saunier, Alfred Chéret, affichiste de succès, Théodore Alexandre Steinlein, André Devambez, Albert Guillaume, Eugène Grasset, pour ne mentionner que ceux-là. Un certain nombre de ces derniers ne rechigne pas à l'exercice de la caricature, qui est d'ailleurs un des aspects notoires de cette période : Toulouse-Lautrec n'est pas le dernier à associer la grande peinture et ce genre dit mineur : les « humoristes », comme on les appelait sont très appréciés de leurs contemporains et font même l'objet d'études approfondies. Ce qui frappe dans cet ensemble, c'est la qualité des choix, qui ne repose pas uniquement sur la notoriété des artistes, mais sur ce qu'ils ont été en mesure de faire ressentir de cet univers. Il est véritablement exceptionnel et sert à la connaissance de cette singulière vie qui s'est créée entre la recherche éperdue du plaisir et la misère ou la mélancolie profonde qui se cache derrière cette quête.
C'est aussi une bonne manière de comprendre pourquoi les artistes ont décidé par la suite d'y installer leur atelier : c'est à Montmartre que l'art le plus libre avait droite de cité. Ce voyage dans la Belle Epoque et montrent les prémisses et riche d'enseignements. A noter d'ailleurs que Vincent Van Gogh, quand il a séjourné brièvement à Paris y a beaucoup travaillé et que c'est alors qu'il a su absorber l'enseignement des impressionnistes qu'il a découvert chez son frère ou dans les grandes galeries, mais pourtant en adopter les règles. C'est une exposition et un catalogue extrêmement précieux pour la connaissance du vieux Montmartre, mais aussi d'un art qui a jeté ses académismes par dessus les ailes des derniers moulins. Cette collection est dans doute unique en son genre et il serait fort dommage de ne pas la découvrir et son catalogue permet de mieux connaître tous les acteurs de cette longue saison qui marque le passage d'un siècle à l'autre, d'un art à l'autre.




Venise vue par les peintres et les écrivains, Adrien Goetz, Editions Hazan, 240 p., 29, 95 euro.

Il y a déjà eu un nombre impressionnant d'anthologies de ce genre. Venise est l'une des villes les plus aimées et admirées et aussi l'une des plus peintes. Sans parler des grands peintres comme Carpaccio et les Bellini des vedutisti du cru, comme Canaletto, Bellotto, les Guardi, mais aussi Tiepolo, il a eu foule d'artistes étrangers qui ont souhaité emporter une « image » de la Sérénissime République : W. M. Turner, Edouard Manet, Claude Monet, Whistler, Félix Ziem, Auguste Renoir, pour ne citer que quelques uns d'entre eux. L'idée de cet album est de mettre en relations des peintures et des textes qui évoquent tel et tel de ses aspects à différentes époque. Adrian Goetz a choisi de prendre des auteurs du XIXe et du XXe siècle, de Théophile Gautier à Rainer Maria Rilke, de Marcel Proust à Henri de Régnier, en passant par Thomas Mann, Les écrivains plus anciens sont ici William Shakespeare et le dramaturge Carlo Goldini. L'auteur nous fait feuilleter les pages les plus belles et les plus significatives des hommes de lettres qui y ont séjourné, qui en sont tombé amoureux et qui ont rédigé des souvenirs ou encore utilisé cet univers lagunaire comme décor ou comme « sujet » implicite dans leurs oeuvres.
Cet échange entre la peinture et l'écriture ne peut qu'être fructueux et source de grands plaisirs car les impressions ne font que s'enrichir réciproquement. L'optique de cet ouvrage - sans doute cela a-t-il été le voeu de l'éditeur - demeure très classique. Cela ne retire rien à sa valeur, mais qu'on aille pas s'imaginer qu'on y découvrira des reproductions d'oeuvres inconnues ou des textes rares. On n'en goûtera pas moins ce périple dans ce lieu qui ne peut que faire rêver. C'est un album de découvertes destiné à ceux qui ne connaissent pas ou très peu Venise. Il est très beau et devrait faire un merveilleux cadeau pour les fêtes qui se rapprochent.




L'Art de vivre avec élégance, Baltasar Graciàn, traduit de l'espagnol par Amelot de la Houssaie, édition de Sylvia Roubaud, Folio, « Sagesses », 128 p., 3, 50 euro.

Baltasar Graciàn y Morales (1601-1657) a étudié la philosophie, puis la théologie à Saragosse. Il a rejoint la Compagnie de Jésus, prononçant ses voeux en 1633. Il enseigna en Aragon, puis devient le protégé de Vicencio Juan de Lastanosa. Puis il est nommé confesseur du vice-roi d'Aragon, Francesco Maria Carafa, qu'il accompagne à la cour de Philippe IV. En 1640, il lui dédie son second livre El politico don Fernando el catolico. Six ans plus tard, il est aumôniers de l'armée espagnole. Mais il est condamné pour un nouveau livre, El discreto (traduit en français : L'Homme universel). En 1648, il reprend et complète son Agudeza e arte del ingenio. Mais il a le malheur de déplaire à ses supérieurs.
Il fait paraître en 1654 la seconde partie de son oeuvre maîtresse, le Criticon malgré l'avis contraire de la Compagnie. Et il fait paraître la troisième partie de son ouvrage : il est alors condamné à l'exil. Il n'est réhabilité et envoyé à Tarazona qu'un an avant sa mort. Sa philosophie est des plus curieuses car il tente une synthèse très personnelle de Platon et d'Aristote - elle est marquée par un profond pessimisme. Le petit livre que nous avons entre les mains est un choix de maximes tirées de L'Homme de cour (Oràculo manual y arte de prudencia, 1647). C'est un mélange étrange et parfois déroutant entre un traité de sagesse, inspiré des Antiques et un manuel de la meilleure façon de se comporter dans la société de son temps. La forme aussi est curieuse car, avec son sens prononcé de l'ellipse, il laisse place à un espace pour une réflexion inscrite en palimpseste. Il fait donc usage d'un genre volontairement bâtard pour se situer entre le religieux (il insiste beaucoup sur la sagesse) et le social, les usages de la cour fournissant une sorte de modèle pour le comportement de l'individu. Si l'on comprend parfaitement pourquoi Arthur Schopenhauer s'en est inspiré on comprend mal la vogue qu'a sa littérature en France depuis plusieurs décennies.




Histoires insolites du patrimoine littéraire, Gérard Durozoi, Editions Hazan, 272 p., 24, 95 euro.

Les bibliothèques sont un sujet des plus fascinants. Gérard Durozoi nous propose un périple dans cet univers avec beaucoup de pertinence. Tout commence avec celle d'Alexandrie, qui est devenu une sorte de mythe. Bien informé, il a examiné touts les théories qui ont été avancées et fait état de celle où l'infâme Omar aurait détruit au IXe siècle cette merveille du savoir humain - ce qui est impensable, car les Arabes d'alors étaient friand de la culture ancienne. Pour ma part, je considérerais que le trésor alexandrin n'était la bibliothèque en soi mais, comme l'a bien expliqué Luciano Canfora, les nombreux dépôts de volumen car la ville était la capitale de l'édition d'alors. D'autre part, je serai porté à croire que le conflit entre païens et chrétiens ont amené des destructions massives (d'autant plus que la forme des livres a changé - le livre broché de format rectangulaire s'étant imposé pour les chrétiens car il est déterminé par la forme de la croix). Il fait ensuite état d'une grande bibliothèque de l'ère baroque, celle d'Antonio Pillone.
Puis il en évoque une autre, en partie fictive, celle de Saint-Victor. Nous sommes à l'époque où l'imprimerie a pu répandre, note-t-il, huit millions d'ouvrages à l'époque où François Rabelais a publié son Pantagruel. Dans les pages de son merveilleux livre, Rabelais a énuméré de nombreux titres qu'aurait contenus ce lieu : d'aucuns ont vraiment existé. Puis notre auteur passe à une autre question : le portrait du bibliothécaire qu'Arcimboldo a peint en aux alentours de 1566. Puis il s'attache à la bibliothèque circulaire de Michel de Montaigne. Ses Essais sont d'ailleurs un tissage savant de citations tirés de ce qu'il a pu lire des Anciens autant que de ses contemporains. Il en vient à parler des machines parlantes de Cyrano de Bergerac, que l'on découvre dans L'Autre monde (1657). IL évoque ensuite le procès de Libri, réputé grand pilleur de bibliothèques, célébré en 1850. Ce personnage a été défendu par Prosper Mérimée.
En fait, on se rend vite compte que le volume que nous tenons entre nos mains n'est pas une histoire en coupe réglée des bibliothèques, mais plutôt une collection de récits concernant le monde livresque. On y voit apparaître André Breton et Louis Aragon conseillers du collectionneur Jacques Doucet, Walter Benjamin quand il écrit « Je déballe ma bibliothèque », Jorge Luis Borges et sa célèbre nouvelle, « La Bibliothèque de Babel », le manuscrit des Cent vingt jours de Sodome du divin marquis, les livres-machines du futurisme, etc. ... En somme, il s'agit ici d'un enchaînement fantasque de choses ayant trait à la conservation des libre, sous une forme réelle ou fictive. Je dois dire que c'est un plaisir immense de parcourir ces chapitre courts et vivants, si riches d'informations et de réflexions où il est aussi bien question d'Antoine Gallant, le premier traducteur des Mille et une nuits que de Marcel Duchamp, de livres perdus, de livres mythiques, de la pierre de Rosette autant que de l'énigme du manuscrit Voynich. Plus tard, il nous fait découvrir l'évolution des illustrations ou de traités sur l'art d'écrire. Je ne saurais dévoiler toutes les richesses contenues ici car elles sont très diverses et toujours curieuses et passionnantes. Lisez cette encyclopédie à la fois sérieuse et facétieuse, mais traitant de questions bien concrètes même si le sujet peut en sembler bizarre.
Ce volume procure des joue sans fins et pas seulement au bibliophile ou au bibliomane : il ne peut que plaire aux amoureux de la lecture, quelques qu'ils soient. Il nous apprend à considérer cet art (la lecture) pas exclusivement comme un moyen (de connaître, de se distraire, de philosopher), mais comme un espace ludique où tous les savoirs du monde peuvent se nicher dans des récits parfois déconcertants. A ne manquer à aucun prix.




Diablerie, Evelyn Waugh, traduit de l'anglais par Marie Canavaggia, Pavillons poche, Robert Laffont, 352 p., 9, 50 euro.

Black Mischief est un roman tout à fait caractéristique de l'oeuvre d'Evelyn Waugh (1903-1966). Fils d'un critique littéraire, il est devenu professeur au Pays de Galles et mène une existence plutôt modeste jusqu'au jour où il publie Grandeur et décadence en 1928. Le succès de ce livre est mémorable. Waugh ne s'intéresse pas à la psychologie de ses personnages : «  C'est le drame, le discours et les événements qui m'intéressent. » Ce qu'il a oublié de dire dans cette déclaration de principe, c'est qu'il a fait le choix de l'humour et de la satire. Le seul aspect sérieux de son oeuvre, c'est son indéfectible catholicisme. Il a eu d'ailleurs l'intention d'écrire un essai sur Jonathan Swift, une de ses grandes admirations.
Diablerie a paru en Grande-Bretagne en 1932. C'est une satire assez virulente à l'encontre de l'empereur d'Ethiopie Hailé Sélassié, qui avait décidé de moderniser son pays. On peut y voir un roman plutôt raciste et dans la veine colonialiste. Mais il décoche aussi ses flèches contre les représentants de son propre pays en Afrique. Enfin sa verve l'emporte et atténue cette prise de position assez réactionnaire. En fait, c'est un écrivain plein de contradictions. Le premier chapitre, qui met l'intrigue en place et nous présente ce potentat, Seth, empereur d'Azanie, est on ne peut plus ubuesque au plein sens du terme. La situation politique qu'il nous présente est traitée avec la plus haute dérision et Basil Seal (une sorte de double drolatique de l'homme de lettres, devenu un personnage récurrent) est le témoin de ces folies cocasses. Le roman comique est une chose rare.
Et il y a excellé. Il y a un grand nombre de figures plus ou moins grotesques, comme M. Ballon qui se lance toujours dans des entreprises hasardeuses, et tous ces sujets de sa majesté, qui ne brillent pas par leur lucidité. Le journal de Dame Milfred Porch ou les lettres qu'elle adresse à son mari sont très cocasses. Tout ce petit monde joue un double jeu dans l'entourage de l'empereur qu'il tente de manipuler comme une marionnette. Evelyn Waugh a un don extraordinaire pour faire vivre ce petit monde avec une verve et un mordant irrésistibles. Derrière sa manière de tout tourner en dérision se dessine un monde assez pitoyable et son style rappelle les plus incisives caricatures de Hogarth.




J'avoue que j'ai vécu, Pablo Neruda, bilingue, Folio « bilingue », 256 p., 9 euro.

Cette édition bilingue reprend la première partie de l'autobiographie de Pablo Neruda, Confesio che he vivido, qui a été publiée en 1974, un an après son décès. Le poète adulé, qui se voit attribué le prix Nobel, l'ancien diplomate devenu politicien et membre du parti communiste avait un tel poids dans son pays qu'il a fait quasiment oublier les autres grands poètes chiliens du XXe siècle, comme Gabriela Mistral et surtout Vincente Huidobro. Nous découvrons son adolescence, son adolescence, ses premiers pas dans la poésie et enfin ses débuts dans la diplomatie, quand il devient consul à Rangun.
Ce qui frappe dès les premières pages, c'est le lien qu'il établit entre sa propre existence et le monde qui l'entoure autant quant à sa réalité géographique (les premières pages où il parle de la pluie battante et de la forêt exubérante sont très frappantes), que sa réalité sociale. Issu d'un milieu modeste (sa mère était institutrice et son père, employé des chemins de fer, ce dernier l'ayant élevé seul car son épouse est décédée deux mois après sa naissance). Il compose ses premiers textes poétiques à l'âge de treize ans et étudie le français. Il choisit pour pseudonyme Neruda en 1921, sans doute en pensant au grand écrivain tchèque Jan Neruda ou peut-être à un personnage d'un livre de Conan Doyle, L'Etude en rouge, dont un des protagonistes s'appelle Norman Neruda (cela, il ne nous le dit pas dans cet ouvrage). Il a une plume magnifique et ses descriptions sont remarquables (je songe à la peinture qu'il détaille à la fin de cette partie de ses mémoires du port de Valparaiso - un morceau d'anthologie).
Quand il écrit ce gros livre à la fin de ses jours, Il est devenu un homme important, avec d'étranges manies, comme celle de ses collections invraisemblables, des tableaux de fruits et de légumes jusqu'au bouteilles en verre de toutes formes et de toutes qualités, qu'il entassait dans ses trois maisons (celle de Santiago, celle de Valparaiso et celle d'Isla Nigra). Neruda est mort d'un cancer à l'hôpital. D'aucuns affirmeront qu'il aurait été empoisonné par les militaires, car sa mort a coïncidé avec le coup d'Etat militaire de Pinochet. Possible, mais peu crédible car il avait atteint la phase finale de la maladie. Il s'est imposé comme l'un des poètes les plus importants de XXe siècle et cette position n'est pas usurpée, même si ses vers ont pris un petit coup de vieux, comme c'est le cas pour le Canto generale de 1950. Ils restent beaux et puissants. Cette première partie de son autobiographie est une belle oeuvre en plus de ce qu'elle nous apprend sur ses années d'initiation au monde et à l'art poétique.




L'OEuvre ultime, Giovanni Cosma, Jean-Marie Touratier, Galilée, 128 p.

Jean-Marie Touratier possède ce don si rare de la concision, qui n'est important qu'en fonction du projet sous)tendant le roman, mais aussi de la vivacité de l'écriture. Dans ce volume relativement court, il compose des chapitres très courts et enlevés. Il parvient à faire, en apparence, de son OEuvre ultime une sorte de pochade légère en enjouée, alors que son dessein est en réalité plutôt sérieux : il est question ici des étranges rites de l'art contemporain. Le héros de cette histoire est un artiste nommé Giovanni Cosma, à la fois absent et omniprésent. Il a en effet choisi de jouer d'être le moins visible et de se faire rare : son oeuvre devrait suffire à parler en son nom. Autour de lui gravite deux personnes : un certain Christian, qui joue ici le rôle de cicérone dans cet univers hermétique d'un art qui a largué les amarres en réalisant des oeuvres entre l'art conceptuel et la performance. Il y a aussi une journaliste spécialisée, Isabelle, qui veut rencontrer ce personnage réputé et faire un entretien avec lui. Elle parvient à ses fins et devient sa maîtresse et c'est à elle que la vieille célébrité dédie son oeuvre en lui demandant de la réaliser. L'action se déroulant entre Paris et Rome, l'auteur a bien entendu établi des relations avec Nicolas Poussin et à son entourage, pour accentuer le contraste violent entre l'art d'autrefois et l'art présent. Il faut considérer ces pages comme une méditation pleine d'esprit, parfois très piquante et drôle, sur ce que l'art de notre temps nous réserve - un après Marcel Duchamp dont on ne saisit pas très bien les points de contact ! - et sur la manière dont les protagonistes affrontent cette situation qui sombre dans la bizarrerie, sinon dans le canular savamment orchestré. Au fond, on n'a pas beaucoup envie d'en savoir plus sur ce Cosma. Ce qui fait par force de L'OEuvre ultime est que c'est d'abord un ouvrage romanesque avant de nous présenter un arrière-plan polémique. Touratier, qui connaît bien son affaire, s'est servi de cas imaginaires (mais on y retrouvera quelques artistes connus derrière lui) n'a pas voulu grossir le trait. Et bien lui en a pris car son livre n'en est que plus efficace et plaisant. Mais aussi révélateur et passionnant.




Sul filo dell'immagine, sous la direction de Simone Ciglia, Fondazione Malvinamenegaz per le Arti e la Cultura, Di Paolo Edizioni.

A Penna dans les Abuzzes, Fernando di Nicola & et Nicola Penneli ont fondé l'Arrazeria Pennese (la Savonnerie de Penna) en 1965. Leur activité a connu un véritable succès et bientôt, ils ont pu réaliser d'imposantes tapisseries dès 1971 avec de grands artistes abstraits tels que Afro, Capogrossi Remo Brindisi entre autres, pour décorer le Bibliothèque centrale de Rome. Ces créateurs étaient encore vivants à cette époque et cela a permis à la manufacture de s'attacher des personnalités célèbres. Ce fut une réussite complète. Au lieu de vouloir revenir à une tradition passée, comme la manufacture des Gobelins ou celle d'Aubusson, ils ont désiré miser sur l'art contemporain. Et ils ont également réalisé des ouvrage à partir de projets d'artistes disparus, mais qui s'étaient passionné pour les arts appliquées, comme Giacomo Balla, décédé en 1958, l'un des fondateurs du fondateurs du futurisme pictural italien, qui avait décoré lui-même son appartement romain (malheureusement disparu). La petite manufacture a mis en chantier Figure et environnement (en 1970), Lignes-forces de la main de Boccioni (exécutée en 1971), Cyprès de Cotomanio (datée de 1972) qui sont trois merveilles. Cependant, l'essentiel de leur production partait de cartons originaux, comme ceux de Piero Dorazio, qui s'est inspiré d'une indication fournie par le poète Giuseppe Ungaretti, d'Ugo La Pietra, Enzo Cucchi (superbe !), Mario Costantini (réalisé en 2018), Antonio Paradiso, et même de peintres d'une génération plus jeune, par exemple Marco Tirelli (né à Rome en 1958).
Il faut reconnaître que ce sont là des réussites incontestables, quelques soient les projets mis en oeuvre. Cet ensemble de tapisseries prouve sans conteste possible qu'il est possible de réaliser des ouvrages aussi importants dans un esprit totalement novateur et avec des techniques en partie nouvelles, sans dénaturer le moins du monde la tradition et ce qui fait la singularité de cet art. Comme la céramique a pu renouveler sa tradition à Albisola Mare, tout comme sont venus travailler Lucio Fontana et Wifredo Lam pour faire des céramiques modelées dans la tradition du moderne, la savonnerie de la belle cité de Penna contribue à offrir de magnifiques opportunités à des artistes de l'époque actuelle la faculté de transposer leurs conceptions plastiques dans le langage de la tapisserie avec le souci de la qualité et de l'originalité.




Greco, Charlotte Chastel-Rousseau, « Découvertes », Gallimard / RMN - Grand Palais, 64 p., 9, 20 euro.

Le Crétois Domenico Theotokopulos (1541-1614), formé à l'art byzantin, s'est formé à l'art italien à Venise entre 1568 et 1570. Il est alors considéré comme un disciple du Titien. Il admire beaucoup le Tintoret. Il se rend ensuite à Parme où il découvre le Corrège puis décide d'aller s'installer à Rome où il devient le protégé du cardinal Alessandro Farnese. Il se lie alors avec le bibliothécaire de son protecteur, Fulvio Orsini, qui lui achète plusieurs tableaux. Il quitte le service du cardinal quand il a exprimé le désir d'effacer les fresques de Michel-Ange de la chapelle Sixtine pour les refaire entièrement (on n'ignore pas que le chef-d'oeuvre de Michel-Ange avait fait l'objet de nombreuses discussions et sa destruction avait été même envisagée - on a opté finalement pour un « habillage » des figures dénudées). Mais on n'a pas de preuve de la rupture entre les deux hommes pour cette raison, en dehors d'une lettre peut-être restée sans réponse.
Il se serait rendu alors à Madrid. Là son talent est reconnu avec encore plus d'enthousiasme qu'à Rome. Ce qui caractérise ce peintre si singulier (qui est aussi sculpteur) ne renonce pas un instant à son esthétique. C'est à Tolède qu'il triomphe en réalisant le retable de la Trinité pour la cathédrale, mais aussi c'est là qu'il peint des paysages, des mythologies, de nombreuses toiles religieuses et son célèbre Enterrement du comte d'Orgaz pour l'église Santo Tomé. En 1587, il est de ceux qui décorent les rues et les monuments de Tolède pour la venue de Philippe II. A partir du début des années 1590, il mène un train fastueux dans sa grande demeure dans cette ville. Francisco Pacheco qui lui rend visite en 1611 le définit comme un « peintre-philosophe » ; il a eu l'occasion de voir des maquettes de ses projets (il s'intéresse vivement à l'architecture et a écrit des commentaires sur l'ouvrage de Vitruve).
A son invention fébrile et sa remise en question permanente (sans pourtant déroger à son style « fiammegiante », El Greco fait l'effet d'un artiste qui ne peut être comparé à aucun autre. Malgré l'extrême étrangeté qui marque son style, sa conception de la peinture, il est néanmoins parvenu à imposer sa maniera unique en son genre. Il meurt en 1614 dans une grande pauvreté. Et il est alors presque totalement oublié, ne suscitant l'intérêt des historiens et des peintres qu'au début du XXe siècle.




L'Appel de la forêt, Jack London, traduit de l'anglais (Etats-Unis) de Marc Amfreville & Antoine Cazé, préface de Philippe Jaworski, « Folio classique », 208 p., 4, 90 euro.

C'est en 1903 que paraît ce petit roman. Il l'avait déjà fait paraître sous forme de feuilleton dans le Saturday Evening Post. London a été très critiqué par John Burroughs et même par le futur président Roosevelt pour « truquer la nature » et ne pas être en adéquation avec les conclusions des sciences. C'est vrai que Crin blanc et L'Appel de la forêt tiennent plus du roman pour enfants où l'on fait parler les animaux que d'une véritable expérience du monde canin. Et pourtant, il est loin d'avoir tort en décrivant le parcours à rebours d'un chien (civilisé) qui avait son rôle dans une ferme, se retrouvant au milieu de huskies féroces (il doit apprendre à se défendre de ses compagnons plus sauvages et plus forts que lui) pour finir comme chef d'une meute de loups. Les chiens rendus à la nature sont parmi les plus dangereux prédateurs qui soient. La gente canine a cette faculté de pouvoir retourner à l'état sauvage si elle y est contrainte.
Au fond, c'est plutôt un cas particulier mais irréfutable que l'écrivain a traduit avec les aventures de Buck, le chien loup fidèle et succube de l'homme. Il faut aussi souligner que London a voulu écrire un conte qui concerne aussi bien l'être humain, capable lui aussi de régresser de manière radicale en deçà de la civilisation. On a pu dire que l'homme est un loup pour l'homme. Je pense que cette maxime est au fondement de ce livre qui n'humanise pas le chien, mais transforme l'homme en chien féroce. Si on l'envisage dans cette optique, L'Appel de la forêt, dans son dépouillement narratif, est une terrible mise en garde contre nous-mêmes et la mise à bas des pensées de Jean-Jacques Rousseau.




Au commencement, Chaïm Potok, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Nicole Tisserand, Les Belles Lettres, 616 p., 15, 50 euro.

Fils de rabbin orthodoxe émigré aux Etats-Unis, Chaïm Potok (1929-2002) a très tôt éprouvé le désir de devenir écrivain. Cependant, il devient rabbin à son tour et a été aumônier pendant la guerre de Corée. Il s'installe ensuite à New York et dirige la revue Conservative Judaism, puis la Jewish Publication Society. Il écrit son premier roman L'Elu, en 1967 et est aussitôt remarqué. Deux ans plus tard, il achève La Promesse. Au commencement paraît en 1975. Il a toujours observé la promesse qu'il a faite à son père d'écrire des fictions décrivant l'univers juif en exil. Il a été un grand admirateur d'Evelyn Waugh, Thomas Mann, Ernest Hemingway, il s'est inscrit dans une optique littéraire très réaliste et même très conformiste. On peut dire qu'il est l'exact opposé de Saul Bellow. In the Beginning est un long roman d'initiation. Le jeune narrateur, David, s'interroge sur des figures bibliques, comme Saül, et découvre le petit monde juif qui est issu de la Pologne. Tout en décrivant ces personnages qui ont dû tout quitter pour traverser l'océan et s'installer dans un pays qui n'avait plus beaucoup de choses à voir avec l'Europe, il ne cesse de se poser des questions sur les fondements du judaïsme. Ce qui est le plus intéressant dans cet ouvrage monumental, c'est la façon dont son héros et les personnes qu'ils rencontrent ont une perception de la montée de l'antisémitisme qui aboutit à la « solution finale ».
Il ne parle pas directement de ces persécutions à large échelle, mais traduit plutôt la manière dont les uns et les autres ressentent cet événement qui dépasse de loin les pogroms que leurs parents ont pu connaître. C'est qui rend ces pages aussi passionnantes. Il l'a déjà évoqué dans ses livres précédents, mais cette fois il explore les effets de ce qui s'est déroulé pendant la guerre dans la mentalité de ces émigrés qui ont pu échapper à ce massacre. Il invite ses lecteurs à une méditation profonde sur cette tragédie unique en son genre. Cette conscience des faits par toute une communauté est le véritable sujet de son roman. Mais il s'avère aussi un peintre très doué pour décrire ces Juifs en exil à New York pendant la Grande Dépression et fait le parallèle entre l'Exil biblique et cet exil transatlantique. Malgré ses longueurs, Au commencement reste un livre captivant, avec toutes ces vies sur lesquelles pèse tout le poids de la mémoire. La famille de David est plus que sa famille : c'est l'expression condensée d'un microcosme qui s'accroche désespérément à ses valeurs, mais aussi à son passé européen et à sa douleur immense, qui n'est pas dite, mais que tout le monde comprend. C'est un grand roman, même s'il semble avoir été écrit au XIXe siècle - une gageure spectaculaire !




Le Drageoir aux épices suivi de Croquis parisien, Joris-Karl Huysmans, édition de Jean-Pierre Bertrand, « Poésie », Gallimard, 288 p., 9, 30 euro.

Il pourra paraître curieux de voir ces deux petits livres de Joris-Karl Huysmans (1848-1907), Le Drageoir aux épices (1874) et Croquis parisiens (1880). Je ne partage pas l'avis du préfacier de ce volume selon lequel il s'agirait ici de poèmes en prose, et même si le héros d'A rebours, Des Esseintes considère ce genre comme « l'huile essentielle de l'art ». Huysmans n'est pas Des Esseintes et son oeuvre est essentiellement romanesque. Mais il n'en est pas moins vrai que l'écrivain fait preuve dans ces pages d'un faculté de composer de petits récits - des croquis - du spectacle que lui ont offert et Paris et les Parisiens. La prose peut être aussi esthétique que la poésie. C'est un art particulier qu'a malheureusement peu usité par l'auteur de La Cathédrale. Il y excelle d'autant plus qu'il ne cherche pas des sujets raffinés, qui auraient plu à son esthète de héros, mais plutôt des scènes de la vie quotidienne, avec le coiffeur, le conducteur d'omnibus ou la blanchisseuse tant prisée des peintres depuis Degas. Ce sont de petites merveilles d'écritures où il n'exalte pas des sentiments, mais plutôt le peut monde urbain et ses travaux journaliers. Il se fait un peu l'ancêtre de Léon-Paul Fargue qui en fera l'essentiel de son oeuvre. Il a aussi éprouvé l'envie de dépeindre des lieux à la mode, comme Les Folie Bergères ou de célébrer des monuments culinaires dans « le poème en prose des viandes cuites au four ». Ces courtes pièces (pour la plupart) sont superbes et saisissantes. Si vous les regardez comme de la poésie, faites-le -, elle le mérite ! Moi, je préfère le considérer comme des summums de la prose. Peu importe le choix : l'important est de lire ou de relire ces deux petits ouvrages réunis en un seul.
Gérard-Georges Lemaire
31-10-2019
 

Verso n°136

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