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[verso-hebdo]
06-02-2020
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Divisionismo, la revoluzione della luce, METS / Skira, 384 p., 35 euro.

La très intéressante exposition présentée jusqu'au 5 avril au château de Novara porte un titre trompeur. Ce qu'on a appelé divisionnisme ou pointillisme est une technique issue de l'impressionnisme et qui a été représentée d'abord par deux grands artistes, Georges Seurat et Paul Signac. Mais d'autres l'ont utilisée, de Maximilien Luce à Henri Matisse au début de la période fauve. Il n'est fait aucune référence à la France au sein de cette exposition. On explique dans le catalogue ce point fondamental, mais l'ensemble est constitué exclusivement d'oeuvre italiennes. Cela n'a jamais été un mouvement à proprement parler. Et la façon d'aborder la question a changé d'un artiste à l'autre. Ce n'était qu'un nouveau mode pour renouveler la peinture et l'enrichir dans l'Italie de la fin du XIXe siècle. On remarque en effet en parcourant les salles du château que cette manière de peindre a été choyée par des artistes appartenant à des tendances assez différentes, allant du naturalisme au symbolisme. On découvre aussi qu'en dehors de quelques peintres demeurées célèbres, d'autres, tous intéressants, ont choisi de travailler (plus ou moins selon les cas) dans ce sens non par esprit de modernité à tout cran, mais pour en tirer des effets répondant à leurs aspirations. Essayons de faire de l'ordre dans nos idées sur ces peintures et dessins. Partons du naturalisme, parce que c'est une vision di monde qui est l'exaspération du réalisme. Son plus grand représentant dans le monde de l'art est Angelo Morbelli (n é en 1853 à Alexandrie dans le Piémont - 1919), qui après ses études à Milan et à Turin, adopte un style réaliste. C'est aux alentours de 1890 qu'il adopte le langage du divisionnisme, mais avec une grande retenue. C'est pour lui un moyen de rendre les émotions chromatiques qu'il ressent devant le sujet avec plus d'intensité et de finesse. Mais ni lui, ni ses contemporains n'iront jusque là où sont allés les Français. Par exemple, Dans une composition intitulée Un conseil du grand-père, Morbellli l'applique cette méthode au dallage clair de la salle où les personnages, tous assis le long d'un banc et plongés dans l'obscurité ; cela produit un contraste assez saisissant. Morbelli a peint quelques oeuvres de tonalité symboliste comme le grand triptyque Rêve et réalité (1905), composition des plus mélancoliques. Ce qu'on découvre ensuite, c'est que bon nombre d'artistes ont suivi un cheminement assez parallèle, tels Carlo Fornara (1871-1968), qui a aimé dépeindre des paysages de montagnes, ou encore Emilio Longoni (1859-1932), qui a suivi les cours du soir de l'Académie des Beaux-arts de Brera à Milan. Ce dernier aimé les sujets urbains et faire des portraits, comme la charmante Petite fille avec le chat (1892-1893). On se rend compte avec eux que quasiment trois générations se sont intéressées de près au divisionnisme, avec plus ou moins d'implication. Il faut se souvenir à ce point que l'Italie ne connaît pour ainsi dire pas l'impulsion de l'impressionnisme (les macchiaioli ont joué ce rôle, c'est vrai, mais leur optique était assez différente. De plus, les artistes qui sont allés à Paris, comme Guiseppe De Nittis ou Diego Martelli ont fait partie du cercle de Degas. ). Le divisionnisme en a tenu lieu dans la péninsule, avec un léger décalage. Il a existé une autre manière de considérer le divisionnisme, qui est celui du symbolisme. Gaetano Previati est dans doute le plus prolixe et aussi le plus audacieux. Les Fumeuses de haschisch (1887), que l'on découvre au début de notre promenade est un ouvrage surprenant pour l'époque et son style est proche des grands orientalistes. Par la suite, il traitera surtout des sujets mythologiques ou sur des grands thèmes, comme celui de La Maternité (1891). Dommage que les dimensions des salles n'ont pas permis d'accrocher ses « grandes machines », qui sont impressionnantes et d'une incroyable richesse chromatique. Previati a lui aussi sublimé la nature. Giovanni Segantini (1858-1899) est demeuré le plus célèbre de tous, pour avoir installé son atelier en Engadine et pour ses immenses compositions comme L'Angelo della vita ou Le cattivi madre. Mais il a su insuffler toute sa spiritualité dan ses paysages de montagne. L'autre grand nom de cette tendance est celui de Giuseppe Pelizza da Volpedo et, curieusement, est passé à la postérité pour un grand tableau politique, Il quarto stato ! C'est un poète dans l'âme, qui a aimé représenter des scènes mystiques ou mystérieuses, comme ici La Procession (1892-1895). Il a pu traduite des sentiments assez sublimés dans des représentations de paysages comme Crépuscule (1900-1902). A leur côté, on peut faire la découverte d'artistes moins connus, mais talentueux, comme le Milanais Vittore Grubicy de Dragon (1881-1920), qui a été lui aussi un immense poète et un peintre délicat comme le prouve Quand les oiseaux vont dormir (1891-1903) ou Plinio Nomellini (1866-1943), qui s'intéresse plutôt à des thème sociaux. Impossible de citer et de commenter tous les peintres présents dans le château de Novara. Mais il convient de savoir que Giacomo Balla et Umberto Boccioni, eux-mêmes débutants impressionnistes, sont allés rendre visite à Morbelli quelques années avant de devenir futuristes !




Frammenti di Bisanzio, Atto III, Il cigno GG Rome / musée de l'Emitage, Saint-Pétersbourg, 176 p., 49 euro.

Umberto Mariani est devenu l'un des plus célèbres artistes abstraits italiens, et c'est amplement mérité. Cela fait de longues années où il crée des tableaux réalisés en plomb où apparaissent des formes plissées. Plus il s'orientait vers une abstraction de caractère monochrome, plus Mariani décidait de restituer quelque chose du monde ancien de l'art (celui de ses études à l'Accademia di Belle Arti di Brera à Milan). Ses oeuvres, qui utilisaient le langage le plus moderne qui soit des arts plastiques à la fin du XXe siècle, tissaient des liens avec le riche passé de l'art qui n'avait aucun lien figuratif avec lui, mais un lien formel qui était celui des plis. Par la suite, et c'est ce qui nous intéresse aujourd'hui, il a spécifié la nature de cet art auquel il faisait référence : celui de Byzance. Pourquoi ? Il aurait très bien pu le faire avec l'art italien, français, espagnol ou allemand. Mais il avait entrevu la possibilité d'une exposition itinérante qui commencerait à Ravenne, la dernière capitale de l'Empire romain. Ce qui est passionnant à Ravenne, c'est qu'on peut y admirer à la fois les dernières grandes réalisations de la mosaïque paléochrétienne (comme on peut en voir de superbes exemples à Milan) et des créations inoubliables de l'art d'or de la mosaïque byzantine. Alors pourquoi avoir fait le choix de l'art de Byzance ? C'est que l'étape suivante de la pérégrination de ses oeuvres a été l'Ermitage à Saint-Pétersbourg et la familiarité entre les icônes byzantines et russes était évidente. A chaque étape, il a choisi aussi de faire figurer un choix d'icônes qui légitimaient aux yeux de spectateurs qui ne le connaissaient pas le rapport étroit entre un art du monochrome parfaitement dépourvu de signes et de tout élément visuel en dehors des plissements de la surface (qui, rappelons-le, sont réalisés en plomb et ensuite peints), dont la connivence avec les siècles passés n'est pas évident au premier coup d'oeil. Pour la Galleria d'Italia de la place de la Scala à Milan, il a puisé dans la très importante collection d'icônes en possession de cette institution privée, qui désormais présente une collection permanente et des expositions temporaires. Ce qui frappe dans la démarche d'Umberto Mariani, c'est que si ses tableaux sont imaginés toujours dans la même perspective, leur agencement ne cesse de se modifier, soit par l'ajout de cadres souvent barriques ou tout du moins rares, soit par des combinaisons formelles quelques fois très sophistiquées comme la Forme scellée en bleu outremer de 2019 présentée dans la grande salle de ce lieu. La couleur peut aussi varier à l'infini. En sorte que l'esprit d'une déclinaison de longues séries quasiment identiques n'appartient pas à son esthétique (c'est ce qui le distingue de grands prédécesseurs, comme Lucio Fontana ou Alberto Burri). L'invention est omniprésente même si es règles fondamentales restent jusqu'à présent immuables. Ce qui est surprenant, c'est que la confrontation ponctuelle avec ces icônes n'a rien de choquant, alors qu'a priori rien ne les rapproche. Cette rigueur apparente n'est en fin de compte qu'un jeu qui prend les aspects les plus divers, d'autant plus que la forme du support peut être ovale, ovoïde, ou que sais-je ? C'est une exposition à ne manquer à aucun prix. Dommage que cette banque importante qui fiance ces espaces luxueux n'ait pas publier un catalogue pour clore ce cycle qui s'intitule Fragments de Byzance. Acte III.




Les Deux Corps du roi, essai sur la théologie politique au Moyen-Âge, Ernst Kantorowicz, traduit de l'anglais par Jean-Philippe & Nicole Gent, Folio « histoire», 896 p., 11, 40 euro.

L'intitulé de cet essai, selon la vision que nous avons aujourd'hui de l'histoire, peut paraître des plus curieux. Et pourtant s'est instauré une conception de la figure du roi qui s'est maintenu au cours des siècles qui voulait que le souverain possédât un corps naturel, comme tout être humain, et un corps politique qui, lui, ne saurait être remis en cause. Le premier exemple que nous donne l'auteur de ce copieux ouvrage n'est pas de la période médiévale, mais de celle de la reine d'Angleterre Elizabeth I. La question qui a le plus intéressé l'auteur a été la progressive institution du pouvoir royal comme étant de droit divin ou comme représentant de ce dernier sur terre. Et cette assertion est amplement documentée par des écrits anciens. Dans un second chapitre, il étudie de très près une tragédie historique de William Shakespeare, Richard II. Dans les interrogations et les contradictions à propos de ce roi qui a régné de 1377 à 1399, année où, à son retour d'Irlande, il se rendit à Henri de Bolingbroke, le futur Henri IV, fut enfermé dans la Tour de Londres où il mourut dans des conditions mal définies un an plus tard. L'erreur qui, à mon avis (je peux me tromper) fait l'auteur dans l'étude sur Shakespeare est que ce dernier ne s'est pas penché sur ce qu'était la royauté au XIVe siècle, mais sur l'idée de ce qu'a pu faire et penser un roi du temps jadis, de surcroît dans les termes qui étaient ceux de la période élisabéthaine. Sans doute des considérations anciennes sur ce règne l'ont influence, comme la comparaison ente Bolingbroke et Pilate, mais comme Kantorowicz le souligne lui-même, cette image s'inscrit dans une logique que l'auteur dramatique s'était faite. En 1595 (il n'a été édité qu'en 1623), il montre Richard II s'accuser lui-même de traîtrise, comme si le corps naturel de ce roi avait porté atteinte à son corps politique. Quoi qu'il en soit, ce que démontre sa pièce, c'est que ce distinguo assez délicat à manipuler demeurait encore de rigueur et va le demeurer encore par la suite. Il ne faut pas oublier qu'elle a été interdite pendant le règne de Jacques II, un Stuart, catholique et absolutiste, ami de la France, (qui a été chassé par Guillaume III d'Orange), parce qu'elle rappelait trop les événement récents et en particulier ce qui intéressait son père Charles Ier, qui avait exécuté en 1649 pour haute trahison. Ainsi, la lecture de ce drame a changé selon les époques et les vicissitudes du trône de la Grande-Bretagne. Kantorowicz examine ensuite le sens religieux de ce dédoublement. L'idée d'une royauté de droit divin se trouve déjà dans un manuscrit anonyme du XIe siècle.On a considéré que le roi représentait le pouvoir séculier et l'évêque, le pouvoir spirituel. Les rois vont avoir un rôle à jouer dans le christomistes : ils personnifient le Christ sur la scène terrestre. Je n'ai pas été convaincu par les développement de l'auteur considérant le roi comme une représentation du Christ ici bas, même dans le cas de l'anglicanisme (qui fait du roi le chef religieux de son pays) ou de la tentation du gallicanisme. Il est indubitable que l'idée avait germée, mais n'avait jamais pu se réaliser tout à fait, à cause de nombreux facteurs (l'influence de Rome pour les catholiques, mais aussi l'opposition ou des parlements ou de l'aristocratie). L'auteur a recherché dans le passé lointain, déjà pendant l'ère carolingienne, les preuves d'une telle tendance. Et il a raison de le souligner. Il fournit aussi des exemples iconographiques, d'Aix-la-Chapelle à Palerme. Mais on ne peut raisonnablement établir l'alliance du matériel et du divin. Il traite ensuite du lien entre la liturgie et du droit sous-tendant la royauté. Je pense que dans cette optique, c'est le pape qui est seul à avoir pu réaliser cette synthèse sans équivoque tant que les Etats pontificaux ont existé, passant de vicaire du Christ à celui qui incarne par la plénitude de la puissance de la présence de Dieu sur terre. La loi (le droit canonique) s'avère de plus en plus le fondement de ce pouvoir. En Europe aucun roi n'aurait pu se prévaloir d'une telle juridiction, même les monarques absolus. Cette recherche est passionnante, surtout pour ceux qui ont besoin de connaître de près les rouages du pouvoir royal et d'en apprendre les implications.




Amici di Carla, a cura di Gianni Gangai, Scoglio di Quarto edizioni, 86 p., 20 euro.

Carla Roncato a géré pendant des années à Milan une librairie-galerie qui s'appelait Derbylius dans la via Pietro Custodi. Gabriella Brembati a tenu à rappeler que sa galerie et que cette librairie ont souvent réaliser pendant ces vingt dernières années et bien avant la naissance de la galerie de précieuses collaborations. Avec la disparition de Carla Roncato disparaît l'esprit d'une culture qui a marqué la capitale lombarde dans la période l'après-guerre. Les auteurs évoquent dans ce petit ouvrage l'émotion qu'ils ont ressenti quand il la fréquentait et quand ils ont eu l'occasion de connaître cette femme hors du commun qui a transformé sa librairie en oeuvre d'art et qui s'est passionnée pour la poésie graphique ou concrète -, en somme pour toutes les poésies qui se faisaient jours alors et qui étaient en rupture de ban avec la poésie ancienne. D'aucuns, comme Stefano Soddu ont préféré écrire une brève fiction en sa mémoire, un genre où il excelle et où il peut librement faire un beau portrait de son amie disparue, avec retenue et concision. D'autres - et ils sont nombreux, des artistes surtout, - ont préféré lui dédier une oeuvre qui soit représentative et de leurs relations et de leur amour partagé pour un certain genre d'art d'avant-garde. Pour qui veut découvrir une figure marquante de la Milan des années 1970, ce livre permet de faire connaissance avec son univers. Et pas avec des propos de circonstance. Sans les phrases routes faites qui accompagnent les deuils et sans emphase. Et surtout avec le grand souci de rendre un hommage fort à cette personne qui a joué un rôle dans une ville qui possède un dynamisme culturel qui n'est pas toujours apparent.




Il nous est arrivé d'être jeunes, croquis littéraires, François Bott, « La petite vermillon », La Table Ronde, 272 p., 8, 10 euro.

François Bott a publié un nombre important de romans et d'essais. Mais il s'est fait connaître aussi comme créateur de la revue mensuelle Le Magazine littéraire, qui a joué un rôle important dont les nouvelles générations auront bien du mal à prendre la mesure. La revue a connu ses heures de gloire jusqu'à la disparition de Jean-Jacques Brochier en 2004 (il avait pris la direction du périodique en 1968). François Bott n'a pas sacrifié sa carrière personnelle pour s'occuper longtemps du journal, comme l'a fait ce dernier, et même s'il a dirigé pendant longtemps Le Monde des livres. Difficile de classer ce livre dans une catégorie bien définie. Il peut faire penser un peu au Livre des masques de Rémy de Gourmont, mais sans tout à fait lui ressembler : comme le sous-titre l'indique, François Bott a fait de chacun des écrivains dont il a tenu à parler des croquis très rapides, qui donne l'idée essentielle de sa personnalité et de son oeuvre. Le premier d'entre eux, celui de Louis Aragon tend à mettre en relief la duplicité complexe de cet homme, qu'il qualifie de « charmeur et de crapule ». Il explique en deux mots cette formule et construit tous ses portraits de la même manière : trouver en deux ou trois pages les mots qui permettent de cerner le personnage évoque, que ce soit Jules Supervielle, Drieu La Rochelle, Jean Genet, Léon-Paul Fargue. Il s'intéresse aussi de près à la littérature étrangère, de William Faulkner à Virginia Woolf, en passant par Scott Fitzgerald. Et il fait des incursions dans le passé - la plus curieuse est assurément celle qui concerne René Descartes - évoquant des figures si éloignées les unes des autres, telles que Charles Baudelaire ou François Villon. Il faut lui reconnaître dans cet art si particulier un vrai talent car ces esquisses ne sont ni superficielles, ni nées d'un souci de caricaturer ses modèles. A la fin, on retrouve son premier essai, qui était consacré à Roger Vaillant et qu'il avait publié en 1969. Cette réédition est une très bonne occasion de redécouvrir François Bott essayiste.




Un amour à Waterloo, François Bott, La Table ronde, 128 p., 14 euro.

Il n'est pas aisé de donner une définition de ce qu'inspire François Bott comme écrivain. Ce recueil de nouvelles ne manque ni de charme, ni de ce je ne sais quoi qui rend ses récits peu banals et accrocheurs. L'histoire qu'il nous relate dans la première nouvelle de ce recueil est celle d'un professeur qui rendre de New York, qui est accueilli à l'aéroport par son assistante, son amie et que sais-je d'autre ? Il s'est mis dans la tête qu'il était Napoléon, comme Chateaubriand voulait l'être (l'auteur ajoute que Napoléon, pour sa part, aurait voulu se glisser dans le personnage de Chateaubriand). On saurait trop dire si les traits de caractères attribués à l'empereur sont plutôt ceux qui le caractérisent. Ce dédoublement est pour le moins étrange, car notre héros ne se voir pas comme le vainqueur d'Austerlitz, mais plutôt comme le double du jeune Bonaparte sui avait songé à se suicider à Paris. Et quelle aventure humaine doit-on suivre, celui de René qui aime se rendre au café Le Rostand, près du jardin du Luxembourg, ou celui du grand homme qui a bouleversé le destin de toute l'Europe ? Le récit est déroutant et, en même temps, attachant. Mais ce qui encore plus étrange dans ce petit ouvrage, c'est que la seconde nouvelle revient sur la figure de l'empereur avec un jeune garçon né en 1815, un enfant de la défaite, et qui s'appellerait Pierre Napoléon. La troisième nouvelle nous amène au troisième empire, avec cet oncle de Crimée, qu'on surnommait ainsi car il a fait la campagne victorieuse des Anglais et des Français contre les Russes. Il se vantait même d'avoir connu Constantin Guys, un des artistes préférés de Baudelaire. Et la quatrième de ces histoires est intitulée « Motel Napoléon ». Ici le personnage central est un professeur de philosophie qui aime le jazz et qui est malheureux en amour. Il a participé au débarquement en Normandie et, ensuite, a aimé jouer du piano le soir, oubliant Spinoza pour adorer Louis Amstrong. Les dernières très brèves nouvelles nous éloignent du Directoire, du Consulat, de l'Empire et des Cent Jours... C'est un livre qu'on peut lire lors d'un voyage car il est écrit avec simplicité et les textes sont courts. Mais ce n'est pas du tout un livre de plage ! Qu'on ne se méprenne pas sur ce que je vous dis.




Le Goût de la paresse, Jacques Barozzi, Mercure de France, 118 p., 8, 20 euro.

Cette petite collection nous fournit la possibilité de voir comment des auteurs ont pu considérer un lieu, un sujet selon leur propre optique et ont pu l'apprécier. Cette foi la question est celle de la paresse. L'on se rappellera le livre demeuré célèbre de Paul Lafargue, le gendre de Karl Marx, qui a publié Le Droit à la paresse en 1880 (ce livre n'a plus cessé d'être réédité depuis lors). Et les auteurs les plus inattendus se sont penchés sur la question, comme le grand artiste russe Kazimir Malevitch, qui a écrit en 1921 La paresse comme vérité effective de l'homme. Dans le présent ouvrage, l'optique n'est pas morale et donc pas négative par principe. Le fragment de texte qui apparaît en premier est de la main de Sénèque, qui considère que la paresse est la voir royale pour la contemplation. Son contemporain Pétrone, dans Le Satiricon, nous fournit une vision plus critique dans la description des fresques d'une riche demeure romaine. En fait, c'est avec le christianisme que la notion de paresse prend un tour franchement négatif. Très tôt, en effet, on dénonce l'acédie, qui est d'abord considéré comme un signe de relâchement. Puis on en a étendu le sens jusqu'à parler d'un « assaut du diable » et d'un péché. Plus tard, les protestants mettent en avant les vertus du travail et ne peuvent que regarder la paresse que comme une oisiveté coupable. Voltaire en fait la mère de tous les vices. Par bonheur, la sphère de la littérature n'a pas en général adopté ce point de vue et a fait l'éloge de la paresse. Marcel Proust, par exemple, s'est fait le champion de la procrastination. Mais en réalité, il voulait donner ses lettres de noblesse à la lenteur. Sortir du contexte de la théologie, la paresse a pris à peu près toutes les apparences possibles. Bertrand Russell, le grand mathématicien, a écrit un Eloge de l'oisiveté, dans ses Sept péchés capitaux, Joseph Kessel a loué la « voluptueuse paresse de l'Orient ». Charles Baudelaire lui a attribué une odeur dans un poème, « La Chevelure », et Paul Morand lui a donné un air de modernité. Même Samuel Beckett a examiné une dialectique de la paresse. Dans cette petite anthologie très bien présentée où François Rabelais côtoie Ivan Gontcharova, la paresse se transforme en un champ infini d'interprétations, pour le bien ou pour le mal, et devient ici un thème de méditation, métaphysique ou tout bonnement ludique.




De la fumisterie intellectuelle, Bertrand Russell, préface de Jean Bricment, traduit de l'anglais par Myriam Denbnely, L'Herne, 96 p., 7, 50 euro.

Quand on prend connaissance de la bibliographie de Bertrand Russell (1872-1970), un aristocrate gallois, comte d'Amberley, on est stupéfié par le nombre d'ouvrages qu'il a pu écrire. Beaucoup concernent la théorie des sciences ou l'épistémologie - son oeuvre majeure dans ce domaine est Principia Mathematica, 1910-1913 et il a beaucoup écrit sur Liebniz -, mais on y trouve aussi pas mal d'études sur la philosophie, morale, et la politique. Cette oeuvre considérable lui vaut de recevoir le prix Nobel de littérature en 1950. Comme les membres Bloomsbury, il a été un fervent pacifiste pendant la Grande Guerre, mais l'a aussi été pendant la Seconde guerre mondiale. Et il a été signataire du manifeste contre l'arment nucléaire avec Albert Einstein et Frédéric Jolio-Curie. Il s'est toujours montré sceptique et a embrassé les causes les plus diverses. Dans ce petit livre, qui est un pamphlet où il entend démontrer que l'homme moderne est loin d'être rationnel, il fait preuve de la vivacité de son esprit critique. Il collectionne dans ces pages des truismes, des vérités qui se sont incrustées dans les mentalités, même si elles sont particulièrement absurdes. C'est assez drôle à lire et il sait parfaitement comment pointer du doigt avec humour les conceptions les plus ancrées dans notre culture. S'il s'en prend surtout aux croyances religieuses, il n'est pas tendre non plus en ce qui concerne les conclusions qu'on a pu tiré des spéculations scientifiques. En somme Bertrand Russell a été surtout un empêcheur de penser en rond, plus qu'un philosophe tentant d'interpréter ce monde où les sciences tiennent une place de plus grande sans pourtant jeter à terre les convictions archaïques qui n'ont plus leur place au XXe siècle. Il a su rendre distrayantes la remise en cause des vieilleries morales ou même politiques. Ce petit livre n'a pas pris une ride (j'allais dire : hélas) car ce qu'il brocarde est bien souvent encore notre pain quotidien.
Gérard-Georges Lemaire
06-02-2020
 

Verso n°136

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