Peu avant le confinement, on a pu voir les travaux 2020 de Valérie Rauchbach dans l'espace d'un atelier d'architectes de la rue Daval à Paris. Il s'agissait d'une belle série de pastels sur le thème des « plongeurs ». En bleu-gris, bleu-vert ou rouge, l'artiste saisissait la rencontre entre des corps jetés et l'élément liquide. Il n'était évidemment pas question de rivaliser avec l'instantané photographique, mais de méditer sur la fugacité de nos impressions visuelles, sur l'inexorable fuite du temps. Depuis toujours, cette artiste réputée s'interroge sur la marche du temps : temps long des millénaires (elle utilise des sables de plage ou volcaniques venus du fond des âges et des entrailles de la Terre) ou bien temps courts à l'échelle des destins humains. On se souvient de ses grandes réalisations des années 90 : d'abord sa Couronne d'épines, un tondo de deux mètres fait de sables tenus par des fils de fer barbelés, une commande de la Caisse Nationale des Monuments Historiques à l'occasion du 700ème anniversaire de la canonisation de Louis IX. Ce tondo fut exposé en 1997-98 dans la Sainte Chapelle construite par Saint Louis. On a aussi retenu ses Pins de sable : Rauchbach pratiquait en 1995 le land art à Uzeste en dressant sept colonnes de 4 mètres en sable de Gironde, tenues par des armatures grillagées à peine visibles. Bien entendu, les colonnes allaient se désagréger : Valérie Rauchbach proposait ainsi une réflexion sur l'usure du temps à l'occasion du 18ème festival Uzeste musical.
Depuis lors, l'artiste a multiplié les séries de tableaux principalement composés avec des sables comme matières principales. Ces séries ont notamment été présentées par les galeries Marie-Hélène Montenay à Paris et Mazel à Bruxelles : Stèles, Taureaux, Natures silencieuses, OEuvres disparues, Portraits se sont succédés. On discerne, émergeant de la matière, les visages de Victor Hugo, de Picasso, Cézanne ou Nietzsche par exemple, mais que l'on ne s'y trompe pas : l'art de Valérie Rauchbach ne commente pas l'histoire, il nous immerge dans la fuite du temps. Il y a bien un « musée imaginaire » chez elle, mais au sens où l'entend André Malraux : « Le Musée Imaginaire est le chant de l'histoire, il n'en est pas l'illustration. » (Les Voix du Silence, Gallimard p. 610). Chant de l'histoire, certes, mais aussi champ de bataille pour les artistes, ce dont Rauchbach a une conscience aigüe. J'en veux pour preuve l'étonnant tableau intitulé Confrontation Titien/Duchamp de 2019 (110 x 110 cm, sable volcanique et huile). De Titien, voici la forme devenue noire de l'archétype du chef d'oeuvre classique, sa Vénus d'Urbino. De Duchamp, voici, toujours en noir, son profil (il aimait ce procédé) et surtout, au fond de la composition, le célébrissime Urinoir de Richard Mutt, invisible en 1917, puis devenu l'archétype de l'anti-art en 1953 quand Duchamp en reconnut la paternité à l'occasion d'une exposition dada chez Sidney Janis. Depuis lors, le conflit n'a jamais cessé entre adversaires déclarés de la « peinture rétinienne » et partisans résolus de la recherche de la beauté par le moyen de la peinture. Valérie Rauchbach a choisi son camp, on l'a compris. Solitaire dans sa réflexion plastique sur l'usure du temps, il lui arrive ainsi, pour notre plus grand plaisir, d'atteindre à « l'unité abstraite de la matière sensible », comme disait Hegel, c'est-à-dire à l'idée de beauté. Tout simplement.
|