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[verso-hebdo]
07-01-2021
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Le légendaire de Marcel Duchamp, Jean-Marie Touratier, Galilée, 120 p., 15 euro.

Sur Marcel Duchamp, il a été beaucoup écrit et sans doute trop ! D'Arturo Schwarz à Jean Clair, en passant par Achille Bonito-Oliva, de nombreux critiques et historiens d'art ont célébré cet artiste comme le saint fondateur de la nouvelle Eglise iconoclaste de l'art. Jean Clair a sans doute été le plus surprenant en en faisant l'apologie d'un esprit universel - une sorte de Léonard de Vinci du nouvel art conceptuel. Dans le cas de Jean-Marie Touratier, il s'agit de tout autre chose. Il débute son ouvrage d'une manière amusante puisqu'il imagine ne prépose au gaz et à l'électricité rendant visite à un certain locataire Duchamp pour lui donner sa facture.
Bien sûr, il est fait référence ici à une oeuvre intitulée Eau et gaz à tous les étages datée de 1959. C'est une manière de présenter les choses. Mais qu'est-ce qui occupe l'esprit de Duchamp en 1911 ? Il est encore occupé par la peinture. Passionné par les recherches photographique, surtout celles de la chronophotographie, il compose le fameux Nu descendant un escalier. Ses frères et quelques uns de leurs amis viennent le voir pour lui dire que le tire était trop long et trop littéraire. Il suppure que son comportement face à cette forme d'expression ne convient pas à ses proches. En 1911, il se rend au Bazar de l'Hôtel-de-Ville pour acheter un porte-bouteilles, qu'il appelle un hérisson. Il est fier de son acquisition et y voit un chemin pour lui entre ses deux frères, l'un peintre (Jacques Villon), l'autre sculpteur (Duchamp-Villon). Que cherche-t-il avec cet objet ? La recherche du Beau. Mais ce n'est l'oblation de sa fonction initiale, ni une fantaisie digne des Incohérents. Il veut le Beau en soi et pour soi.




Les Soliloques du pauvre, suivi de Le Coeur populaire, Jehan_Rictus, préface de Patrice Delbourg, édition de Nathalie Vincent-Munnia, « Poésie », Gallimard, 400 p., 9, 50 euro.

Le nom de Jehan-Rictus n'a pas disparu du petit panthéon de la poésie de la Belle Epoque. Mais on ne sait plus très bien à quoi il correspond et surtout on ne sait plus quelle a été la spécificité de sa poésie. La réédition de ces deux recueils paraît donc bien venue. Quelques mots d'abord pour parler de la vie de cet être extravagant. Né en septembre 1867 à Boulogne-sur-Mer, Gabriel Randon de Saint-Amand n'a pas été reconnu par son père et sa mère était la fille d'un militaire en retraite. Il a passé une partie de son enfance à Londres, sa grand-m ère étant anglaise. Il eut de mauvaises relations avec sa mère, ce qu'il raconte dans son roman Fil de Fer (1906). Il passa le certificat d'étude en 1882 et a travaillé dans différentes maisons de commerce. Il quitta sa mère vers 1885.
Il fit toutes sortes de petits métiers et commença à fréquenter Montmartre. Il se lia d'amitié avec Albert Samain et avec José-Maria de Heredia qui lui fit avoir un emploi à la Mairie de Paris - un emploi qu'il perdit vers 1892. Il s'essaya au journalisme, mais sans beaucoup de bonheur. En 1895, il est entré comme chansonnier aux Quat'z 'Arts et adopta le pseudonyme de Jehan-Rictus. Quelques mois plus tard, il est employé par Le Chat Noir. Il y connut un certain succès. Il lisait ses poèmes dans la bonne société parisienne. Il publia a compte d'auteur Les Soliloques du pauvre en 1897 ; l'ouvrage a été réédité par Le Mercure de France la même année. Il publia Doléances en 1902, puis Les Cantilènes du malheur. Le Soliloque a té réédité en 1903 avec des illustrations de Steinlen. Il collabora à de nombreuses revues, dont L'Assiette au beurre. Il écrivit aussi une pièce de théâtre, une pantomime et un pamphlet : Le Cas Edmond Rostand. En 1907, il fit paraître deux opuscules : Les petites baraques et La Frousse. Enfin, en 1914, il publia Le Coeur populaire, son dernier grand recueil. En 1930, une amie, Jeanne Landre, écrivit une biographie, qui était plutôt une légende ! Il a laisse un énorme journal qui n'a été publié que récemment par Claire Paulien.
Il a reçu la Légion d'honneur peu avant de mourir en 1933. Son oeuvre poétique va à rebours du symbolisme qui triomphait en France. De toute évidence, il trouvait ses sources dans la poésie de François Villon, sans l'imiter. Il aimait mélanger le français vernaculaire et l'argot qu'on pratiquait à Paris en son temps. Ses complaintes n'étaient pas dépourvues d'humour et il a dépeint les misères du bas peuple non sans ironie. Son aventure ressemble pus à celle des grands chansonniers de l'ère du Lapin agile ou du Chat noir. Mais il avait un don véritable pour donner un voix, un soin, une profondeur au désespoir du petit peuple qu'on n'écoutait pas. Cependant, il n'a jamais adhéré aux idées socialistes. Jehan-Rictus incarne une époque et aussi un manière de vivre et de parler. Le glossaire delà fin de l'ouvrage, par ailleurs très bien fait, me fait rire : tous les mots expliqués étaient encore d'usage dans les milieux ouvriers quand j'étais enfant !
Gérard-Georges Lemaire
07-01-2021
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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