Ecrits complets, André Bazin, édition établie par Hervé Joubert-Laurencin, Editions Macula, 2 volumes sous coffret, 2848 p., 149 euros.
Le nom d'André Bazin (1918-1958) est automatiquement associé à celui de la Nouvelle Vague cinématographique en France. Or il a été emporté par une leucémie foudroyante avant même que ne soit sorti en salle un seul film de ses jeunes amis. Il est considéré comme un des plus grands (sinon le plus grand) critique de cinéma de l'après-guerre. Sa carrière a commencé pendant la guerre, écrivant pour la revue Esprit et crée une cinémathèque à la Maison des Lettres. A la Libération, il s'intéresse à la culture populaire et s'engage dans le mouvement Peuple et culture. Puis il collabore à d'autres périodiques, comme Le Parisien libéré, L'Ecran français, Radio-Cinéma-Télévision (dont il est un des fondateurs). En 1951, il crée Les Cahiers du cinéma, où il fait écrire de jeunes auteurs, en particulier François Truffaut. Il aussi des monographies sur Charlie Chaplin, Orson Welles (on apprend ici une étrange anecdote : Jean-Paul Sartre lui demande d'écrire pour Les Temps modernes une critique élogieuse de Citizen Cane, pour faire oublier le jugement négatif qu'il avait émis quand il avait vu le film), Jean Renoir et Marcel Carné (il considérait que Le Jour se lève comme un pur chef-d'oeuvre).Avant de mettre sa plume au service des grands journaux d'alors, il a écrit une série d'articles sur ce qu'était à ses yeux la critique : sans doute était-ce un exercice d'abnégation et de méditation avant de se lancer dans le combat avec les mots pour défendre ses opinions et les films qui méritent d'être loués. Ce qui frappe dans ces deux énormes volumes, c'est d'abord la qualité de son écriture, et puis la simplicité avec laquelle il s'exprimait, sans jamais verser dans le travers d'un journalisme accrocheur. Il n'a jamais dévié de cette ligne. S'il savait être pédagogue et parfois polémique, il n'a jamais sacrifié aux travers de la littérature journalistique. Il éprouvait le désir de convaincre et aussi de faire comprendre pour quelles raisons une oeuvre cinématographique pouvait avoir une quelconque valeur. Les premiers films dont il a fait l'éloge sont Les Visiteurs du soir de Marcel Carné (1942), L'Eternel retour de Jean Delanoe (d'après l'oeuvre de Jean Cocteau, 1943) et Les Anges du péché de Robert Bresson (les dialogues ont été écrits par Giraudoux, 1943) - tous issus de maisons de productions françaises indépendantes, qui n'ont donc pas été associée à Continental-Films, société instituée par Goebbels. Il est évident que Bazin ne rejette pas le cinéma de son temps et a vanté les mérites de Claude Autant-Lara et de Marcel L'Herbier, qui était déjà une figure du passé (il déclare même avoir apprécié sa comédie légère, L'Honorable Catherine de 1943). Donc il n'est parti dans une croisade contre le cinéma en place alors, met s'efforce de mettre en avant l'originalité et la spécificité de l'art français, entre le réalisme et le fantastique. Au milieu des années cinquante, il revient de plus en plus souvent sur une question qui lui semble préoccupante : la crise du cinéma français. Par ailleurs, il observe avec inquiétude la prédominance du cinéma américain, qui a des visées manifestement hégémoniques, mais qui est aussi capable de proposer d'excellents films. Il ne lie d'ailleurs pas les deux phénomènes, sinon en sourdine. Mais ses réflexions indiquent qu'il est désormais urgent qu'une nouvelle génération régénère notre cinéma. Et toujours, il n'a de laisse vers la fin de sa vie de reprendre ses thèmes principaux : le rôle de la critique, la connaissance du langage cinématographique, qui va de paire avec une vocation populaire du septième art. Dans sa défense à tout crin des derniers feux du film français, il en vient à louer le très médiocre Montparnasse 19 de Jacques Becker (1958). L'homme n'était pas dépourvu de contradictions, loin s'en faut, mais si l'on embrasse l'ensemble pléthorique de son oeuvre, on doit reconnaître l'intelligence et la perspicacité de son approche des créations dans ce domaine. Il ne fait aucun doute que ses écrits permettent de se faire une idée profonde de la situation du cinéma après la dernière guerre et aussi de quelle façon on a pu le considérer comme étant l'avant-courrier de la Nouvelle Vague avec les idées qu'il a défendues, mais aussi avec la tribune qu'a été sa revue, Les Cahiers du cinéma, qui est vite devenue la Bible des cinéphiles et des jeunes cinéastes , qui ont souvent été des collaborateurs zélés : Truffaut, bien sûr, son protégé, Jacques Rivette, Eric Rohmer, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, entre autres. Une dernière chose : ce livre n'est pas réservé aux cinéphiles aguerris, mais à toutes les personnes de culture désireuses de mieux connaître l'évolution du cinéma et de sa pensée après guerre.
Diego Giacometti, sculpteur de meubles, Daniel Marchesseau, Editions du Regard, 234 p., 49 euros.
Diego Giacometti (1902-1985), frère cadet d'Alberto, a été l'élève d'Antoine Bourdelle à l'Académie de la Grande Chaumière à Paris. Le fait le plus curieux est qu'il a partagé l'existence de son frère dans l'atelier spartiate situé derrière la gare Montparnasse. Ce dernier en a d'ailleurs fait souvent le portrait. Il n'a échappé à personne la grande familiarité entre leurs deux oeuvres, mais il serait inexact de penser que Diego ait travaillé en complète symbiose avec Alberto. Bien entendu, il existe des similitudes évidentes entre leurs oeuvres, mais il y aussi des différences notables et même importantes. Il a certes privilégié le bronze, utilisant souvent la technique de la cire perdue et s'est révélé expert dans l'art de la patine. Pour ce qui est des éléments figuratifs qui ornent ses meubles, on remarque des figures, la plupart du temps féminines, qui sont aussi hiératiques que les déesses égyptiennes. Mais il a aussi beaucoup utilisé de formes végétales et des animaux (des lions, des loups, des chevaux, mais également des lézards, des chats et des oiseaux, parfois des souris), sujets qu'il a depuis ses débuts aimé traiter. A noter qu'il aussi eu parfois la tentation de créer des objets ayant une curieuse connotation baroque (disons plutôt : baroquisante), ce qui le situe à mille lieux de son frère. Toutefois, il associe une grande rigueur dans ses projets avec une sophistication extrême les surfaces et les volumes. Une sorte d'ascétisme se conjugue avec un semblant de style rocaille (dépouillé de tous ses excès), ce qui donne à son art décoratif une note inimitable. Diego Giacometti a fait peu près tout : des lits, des tables, des consoles, des chaises et des fauteuils, des cadres, des appliques, des lustres et des lampes en tous genres, des étagères, des bibliothèques, même des grilles d'aération. A la fin de sa vie, il a reçu de grandes commandes comme celle du musée Picasso sis dans l'hôtel Salé. Il a aussi exécuté les rampes d'escalier de l'appartement d'Henri Samuel. Faut-il le considérer comme un décorateur ou un sculpteur ? Il a su être les deux à la fois, avec un talent sans faille. Et sans qu'un domaine l'emporte sur l'autre, opérant ainsi une sorte de fusion qui le rapproche des plus grands créateurs de l'Art Nouveau, comme Bugatti par exemple. Il est d'ailleurs étonnant qu'il ait repris à son compte cet esprit abolissant la barrière entre les arts dits majeurs et les arts mineurs. Il l'a accompli dans une optique formelle qui n'a rien à partager avec les grands noms du Jugenstil ou du Liberty, mais en se débarrassant des diktats de "l'esprit du nouveau qui a triomphé avec l'influence du Bauhaus et de tous les tenants de l'architecture rationaliste. C'est une figure hautement solitaire, mais qui a fait triompher une conception idiosyncratique d'un art réduit alors, en règle générale, à de pures fonctions.
Jérusalem, histoire, promenades, anthologie et dictionnaire, sous la direction de Tilla Rudel, « Bouquins », 1312 p., 32 euros.
Je ne crois rien à apprendre à personne en disant que Jérusalem a été, depuis l'antiquité et jusqu'à nos jours, une ville des plus problématiques. Flavius Josèphe nous a raconté dans ses précieux écrits la raison pour laquelle les Romains l'ont détruite en massacrant ses habitants (et non tous les Juifs, comme d'aucuns le prétendent), pour devenir ensuite l'enjeu des croisades, sous le couvert d'une guerre religieuse qui s'est mal terminée pour la chrétienté. Au cours du XIXe siècle, elle est le centre de l'émigration de eux qui ont foi dans les théories sionistes, question qui devient encore plus critique sous le mandat britannique. Et les choses n'ont fait qu'empirer depuis avec l'annexion de sa partie orientale à l'Etat d'Israël. Contrairement aux usages de la collection, cet ouvrage est un périple des plus passionnants dans l'histoire et dans la géographie même de la cité qui présentent tant de strates et de rues labyrinthiques que les trois religions monothéistes se disputent âprement. Tout d'abord, c'est l'histoire la ville qui est contée. Bien entendu, il est difficile de s'appuyer sur les écrits bibliques, car on n'a pas cessé ces dernières décennies de réviser leur ancienneté et aussi l(ordre de leur composition. De plus, les archéologues israéliens n'ont pas cessé de rechercher les lieux de l'histoire sainte et n'ont pas cessé de connaître d'amères déconvenues. Mais les légendes font partie intégrante des murs et des ruines de Jérusalem. C'est dans cette optique que nous est proposée une magnifique promenade, où nous apprenons tant d'autres choses sur ceux qui y ont vécu et y ont laissé une trace et qui nous procure les clefs pour comprendre ce en quoi elle est devenue une des métropoles les plus convoitées du monde.
Paris pris, Marc Fumaroli, édition établie par et présentée par Paul-Victor Desarbres, introduction de Maxence Caron, « Bouquins », Robert Laffont, 1o88 p., 32 euros.
Tout le monde se souviendra de la polémique féroce qui a opposé Jean Clair et Marc Fumaroli à Catherine Millet autres partisans de l'art dit « contemporain». Les deux ennemis cet art en fait ne remportent qu'une victoire à la Pyrrhus : ils m'emportent sur le terrain du débat sans le moindre doute, mais ne parviennent pas entamer la croyance aveugle en ces expressions nouvelles ancrées dans le microcosme artistique. En 2oo9, il publie Paris-New York et retour, un pamphlet virulent contre l'art américain de l'après-guerre. Il brocarde avec autant de virulence les Young British Artists. En somme, il massacre toutes les innovations artistiques apparues ces cinquante dernières années. Il mène aussi campagne contre la politique de l'Etat en faveur des arts à partir d'André Malraux. Pour comprendre son attitude que certains ont pu qualifier d'académique, il faut savoir qu'il est avant tout un grand connaisseur du XVIIe siècle français et qu'il prend pour modèle le mécénat princier ou royal, contre l'idée des aides et subventions du ministère de la culture. En somme, ce recueil d'essais et d'articles a pour objet de mettre en avant l'historien et le polémiste qu'est Fumaroli, à la fois spécialiste du Grand Siècle et un observateur très acerbe de notre présent. Quoi qu'il en soit, cette anthologie début par un ensemble d'essais regroupés sous le titre de Renaissance. Le premier imposant recueil d'articles s'intitule Exercices d'admiration (titre repris d'un célèbre ouvrage de Cioran avec lequel a eu des liens, ce qu'il raconte d'ailleurs dans ce volume). Il y a là des articles fort courts et d'autres relativement longs, selon le périodique où ils ont été publiés. Fumaroli ne perd jamais une occasion de revaloriser la littérature antique (Ovide, Sénèque, et quelques autres, comme pour redonner le goût de retrouver nos racines, qui ont été éradiquées par une réforme assez stupide de l'Education nationale). Mais il s'attache beaucoup la Renaissance, de Pétrarque à Rabelais, en passant par Erasme et par bien des auteurs peu connus sinon inconnus. Par exemple, il nous fait découvrir les fables d'Estienne Perret, qui est l'un des grands prédécesseurs de Jean de La Fontaine. Mais, on aurait pu s'y attendre, c'est le XVIIe siècle qui monopolise l'essentiel de l'attention de l'essayiste. Il examine avec soin Bossuet, Corneille, Fénelon, Racine, Perrault, l'auteur des Contes et aussi la figure de Louis XIV dont il fait le grand paradigme des relations entre le pouvoir et la culture. Puis suivent différentes études, sur Voltaire (dont il explore divers aspects de la personnalité), mais aussi, curieusement sur Giambattista Tiepolo (il examine en fait le livre de Roberto Calasso, Le Rose Tiepolo, mais y apporte ses propres appréciations qui le réhabilite sur Potocki et sur Balzac. Il jette enfin un oeil bienveillant sur Marcel Proust. Dans tous ces écrits, Fumaroli se révèle un très grand pédagogue. Il s'exprime avec limpidité, mais aussi en apportant un luxe de détails et d'observations très fines. Pour ce qui est de la période contemporaines, là, on le prend en flagrant délit d'opportunisme. Je retiendrai néanmoins la remarquable réponse Jean Clair lors de son discours de réception à l'Académie française. Il s'intéresse aussi beaucoup à Milan Kundera, sur les livres duquel il a souvent écrit. La seconde partie de cette somme est baptisée Polémiques. Et elle est remarquable. Il a le don de se jeter dans la mêlée avec l'élégance d'un duelliste de l'Ancien Régime et en trouvant le soutien de sa grande connaissance du passé. Sa défense de l'enseignement classique, de la langue française, de la culture qui ne doit pas être la botte de l'Etat, son attaque à l'encontre des nouvelles technologies tout cela est admirablement et admirablement rédigé, d'une éloquence souvent difficilement parrable. Bien sûr, pour les lecteurs qui me connaissent je peux pas applaudir des deux mains, même s'il force mon admiration, bien que je sois en désaccord avec lui. Il possède un don particulier car ses propos, même les plus contestables, ont toujours une part de bon sens et d'acuité. Il nous force en tout cas à réfléchir sur ce qu'est notre contemporanéité, qui n'est ni simple, ni rose.
Galien, un médecin grec dans l'Empire romain, collectif, Somogy Editions d'Art / musée royal de Mariemont, 384 p., 39 euros.
C'est plus qu'un catalogue : c'est une somme impressionnante, d'une richesse étonnante ! Mais il faut dire que Galien (Galinòs, Claudius Galinus en latin, 129- vers 216) a laissé une oeuvre considérable (son oeuvre complet ne compte pas moins de vingt volumes !) et compte de nombreuses notations sur son parcours professionnel -, mais on ne sait presque rien de son existence par des sources extérieures. C'est très paradoxal vu l'importance qu'il a pu avoir en son temps. Sa postérité en Occident a été chaotique : on va l'oublier dès le début du moyen Age, mais son aura resta considérable à Byzance. Les Arabes vont l'étudier et nous le restituer après le XIe siècle. Tant et si bien qu'on l'a pris pour référence dans la sphère de la médecine en Europe jusqu'au XVIIIe siècle ! Ayant eu une solide formation philosophique, il a établi ses principaux principes thérapeutiques d'une part sur la raison, de l'autre, sur l'observation empirique. Il est avec Hippocrate le fondateur des bases de la médecine. Les nouvelles connaissances acquises au cours du XIXe siècle vont le reléguer au rang d'ancêtre lointain. Il étudie la médecine, absorbant les écrits d'Hippocrate à l'école de Satyros sous la férule de son maître, Pélops. Puis il se rend Corinthe pour étudier auprès de Numisianos, et enfin à Alexandrie où il demeure quatre ans pour étudier l'anatomie, science qui avait là déjà une grande tradition. Il retourne à Pergame l'âge de vingt-sept ans. En 157, il devient médecin des gladiateurs, pour soigner leurs blessures, mais aussi pour s'occuper de leur régime. Il exerce la médecine en différents lieux de la méditerranée pour ensuite s'installer Rome en 162. Il y a organisé des séances de dissection et des démonstrations anatomiques. Il a quitté la capitale en 166. Marc Aurèle l'appelle à Aquillée parce qu'une peste antonine s'est déclarée dans son armée. Puis il s'occupe du fils de l'empereur, Commode. Il va se voir confier le poste de la préparation de la thériaque impériale. Et, avec des parenthèses, il est le médecin des empereurs presque jusqu'à sa mort. Dans cet ouvrage copieux, on apprend beaucoup de choses sur les traitements son époque, sur ses succès et également sur ses erreurs, et l'on peut suivre son influence posthume. Il y a de nombreux documents iconographiques, qui permettent de comprendre le caractère de l'oeuvre gigantesque de Galien et de savoir dans quelle mesure il a pu influencer la médecine jusqu'à l'époque des Lumières.
Le Poncif d'Adorno, le poème après Auschwitz, Ishaghpour, Editions du Canoé, 96 p., 15 euros.
Je dois reconnaître que j'ai été moi aussi surpris et déconcerté par cette formule d'Adorno à l'époque de mes études, que j'ai d'ailleurs légèrement déformée quand je l'ai lue ou entendue la première fois. En quoi les camps de la mort pouvaient-ils nous obliger à cesser de priser la poésie ? Au contraire, me suis-je dit, après cette vague de cruautés et de massacres de masse, la poésie et la culture en général, ne pouvaient qu'être un rempart contre la barbarie. Dans ce superbe essai, Ishaghpour, montre de quelle façon Theodor W. Adorno (1903-1969) a pu postuler cette phrase et pourquoi. Il faut préciser que le philosophe est parti en exil aux Etats-Unis et n'est rentré en Allemagne qu'en 1949 : il décide alors de retourner enseigner à Francfort. Il y fonde avec des amis la fameuse Ecole de Francfort, qui formule une théorie critique, qui s'oppose néanmoins à la contestation politique de l'époque. Ce qui le place dans une sorte de porte-à-faux. En cette même année 1949, il fait paraître dans la revue Prismen un article sur la critique de la culture et qui contient le fameux poncif : « écrire un poème après Auschwitz est barbare... ». Pour l'auteur, cette conception fait écho à l'idée de Walter Benjamin pour qui « tout monument de culture est monument de barbarie «. Mis en accusation par ses pairs, Adorno est revenu souvent sur sa fameuse déclaration. En 1965, il explique que c'était là une considération strictement philosophique. Puis il en appelle à l'Esthétique de Hegel pour un art qui soit la conscience de la souffrance. Un art plus tard, il affirme dans une conférence que l'époque a besoin d'un art qui soit bien à elle. Ce serait « l'écriture inconsciente de son histoire. » Ce genre de débat avait déjà eu lieu avec Les Otages de Jean Fautrier en 1949. On constate qu'Adorno finit par s'empêtrer dans toutes sortes de défenses et d'explications, aussi bien dans la presse que dans ses ouvrages. Il en arrive à parler d'une « métaphysique trouble «.Dans sa Negativ Dialektik (1966), il s'emporte et écrit : « Toute culture consécutive à Auschwitz, y compris sa critique urgente, est un tas d'ordures. « Il touche ici à l'aporie ! La grande valeur de cet essai, admirable, est de nous faire pénétrer ce qu'Adorno avait en tête et qu'il a défendu jusqu'à sa mort en s'appuyant sur les textes et en remettant la question un contexte bien précis. Qui possède un minimum de curiosité doit se plonger dans ce petit livre, écrit avec concision et intelligence.
César Capéran ou la Tradition, Louis Codet, préface de Jean-Baptiste Harang, « La Petite Vermillion », La Table ronde, 144 p., 6, 1o euros.
Louis Codet, né à Perpignan en 1876 et est blessé gravement sur le champ d'honneur en 1914 et meurt peu après au Havre. Après avoir passé un doctorat en droit, il apprend la peinture à l'Académie Julian et a aussi commencé à écrire. Il a publié dans la Revue Blanche, Les marges et dans la NRF. Deux petits livres de sa main paraissent : La Rose du jardin en 19o7 et La Petite Chiquette en 19o8. C'était un grand ami d'Apollinaire. Ses autres romans sortiront posthumes, comme celui-ci, qui a paru chez Gallimard en 1918. César Capéran est un jeune méridional arrivé à Paris qui parvient se fondre dans un petit cercle de camarades de son âge ; On le surnomme le Gascon taciturne. L'auteur s'emploie décrire dans le menu détail, un peu à la manière des Goncourt, son appartement du boulevard Saint-Germain. Pour son ami, il représente un mystère : il ne travaille pas, il n'étudie pas et ne se consacre à aucun divertissement. Un beau jour, il annonce qu'il a une maîtresse, la comtesse Aurore de Bancalis. Mais un homme l'entend se vanter, déclare qu'il est parent de cette dame sans tâche et provoque en duel le malheureux Capéran. Il a la chance de pouvoir en parler à la comtesse qui lui dit que cet individu n'était qu'un intriguant. Le voilà sauvé ! le narrateur que notre héros avait un travail : il était attaché auprès de son ami Joachim au ministère et s'était installé sous les combles du pavillon de Flore ! Quant s avoir ce qu'il y faisait... La narrateur part en voyage et, à son retour, il apprend que le Gascon Taciturne était parti. Plus tard, en rendant dans la région de Montauban, il le voit de loin à Saint-Mauléon. Il va le saluer et ce dernier lui apprit qu'il avait été nommé directeur du musée de la petite ville. Il lui fait visiter l'endroit, qui était assez pauvrement garni d'objets et d'oeuvres d'art ; il lui montre un fauteuil qu'il déclare être celui de Diderot, et au grenier, il promet des merveilles : le grenier est vide, mais on put y contempler les Pyrénées. Voilà ce que raconte cette charmante pochade qui mérite d'être découverte. Les courts textes qui ont été ajoutés après ce roman miniature sont délicieux !
La Banlieue du monde, Georges Berréby, Allia, 160 p., 6,50 euro.
Etrange choix que celui de Gérard Berréby : il a voulu se dire par le biais de la forme poétique, ce qui est très surprenant car on se rend compte qu'il n'a pas l'intention de marquer de son empreinte cette sphère particulière de l'art d'écrire, mais plutôt d'y imprimer des pensées. A mesure que l'on progresse dans la lecture de ses textes, on comprend mieux ce qui l'a motivé : cette forme abolit les conventions qui régissent la rédaction d'un essai ou même d'un récit. Il y a gagné en efficacité et ce qu'il ressent et pense devant l'état du monde prend une force indéniable. Il s'exprime comme les aphoristes d'autrefois avec ce désir de faire mouche avec le moins de mots possibles et en faisant en sorte que les métaphores qu'il utilise soit immédiatement perceptibles. La vision qu'il nous révèle est sombre, amère, négative, mais ni nihiliste, ni désespérée. Ses phrases frappent, ses paroles assènent des coups, mais sans la volonté de provoquer ou de divulguer des hyperboles apocalyptiques. Il se présente à nous comme un voyageur, qui a traverser des mers difficile et parfois éprouvantes, mais qui n' a jamais quitter la barre pour découvrir tout ce qu'il a pu croiser su son chemin. Tel que je le vois, c'est là un journal de bord, écrit par un homme résolu mais aussi blessé, qui reste les yeux grand ouverts et aussi l'esprit toujours en éveil. Il n'est pas fermé à la beauté quand elle se présente lui, mais n'est pas aveugle devant les misères qu'il doit contempler. Le sentiment qu'on retire de ces page est paradoxal : l'auteur n'est pas un révolté, dans le sens classique du terme, mais n'est pas non plus un sage acceptant la réalité terrestre en dépit de tout. Il se situe entre ces deux postures extrêmes, ce qui rend ses poèmes à la fois singuliers et déconcertants. Je relève ces quelques vers pour mieux me faire comprendre : « sous haute surveillance / chaque parole est une offense / chaque geste relève du faux pas / le naturel tient du miracle [. ..] » : voilà quelques vers qui dévoilent son mal être, son malaise, sa terrible vérité qui se traduit par un déséquilibre irréparable. En fin de compte, ces textes poétiques ont une certaines puissance, qui n'est ni celle d'un Hugo, ni celle d'un Baudelaire, mais s'inscrivent dans un tout autre ordre d'idées. C'est une confession voilée qui montre un être qui ne se contente pas d'une pure introspection, mais qui sait scruter l'horizon de notre bas monde pour encore découvrir et la splendeur du couchant et la laideur de ce que les humains peuvent y fomenter pour ne cesser de multiplier les cercles de l'Enfer.
Textes à conquérir, Max Fullenbaum, Les Editions du Littéraire, s. p., 13 euro.
Cet écrivain chevronné né en 1937 à Paris n'a nullement peur de récupérer des formes d'écriture qui ont fait fleurette pendant les années 197o. Pas de points, pas de points virgules, en fait aucune ponctuation, mais malgré tout une apologie des points de suspension, qui n'apparaissent jamais. L'ouvrage n'en est pas pour autant abscons. Il se lit même avec (dans) une sorte d'ambiguïté, puisqu'il oscille entre la prose et la poésie. Il s'agit là de plusieurs textes que Fullenbaum a classé selon son caprice. Le premier, baptisé « Champagne » est une merveilleuse digression a partir de la beauté et de la nature fabuleuse de ce grand vin effervescent. La seconde partie est intitulée « premier temps du premier jour » et donne le sentiment d'être un périple autobiographique, depuis la naissance (« la mort enfonça sa voyelle dans la gorge je criai j'étais né ») jusqu'à la hiatus qui paraît se situer entre deux monde, deux langues, deux cultures. Puis le hiatus révélé s'étend d'autres espaces, u cours d'un voyage en train dont on ne sait s'il est réel ou imaginaire. Le parcours de l'être que l'auteur dévoile se poursuit dans une sorte de vision hallucinatoire et qui se réfère pourtant à des expériences bien concrètes. Au fil de ce récit, le lecteur rencontre un certain point l'homme d'écriture qui se noircit les doigts. Ce rêve éveillé dévoile et la beauté et l'horreur, qui ne sont pas disjoints : elles appartiennent au sentiment profond des êtres et des choses qui nous décrit l'auteur. Puis vient le moment pour Max Fullenbaum de méditer sur la jeunesse et la vieillesse dans « le témoin », grand chapitre où il renferme des souvenirs souvent triviaux et aussi des scènes monstrueuses de tableaux d'écorchés. Enfin dans le chapitre qui a pour titre « samuel ou le détecteur de la vie antérieure », il tisse la trame du passage de témoin entre les générations. Là, Samuel se penche sur la guerre du Péloponnèse comme sur la dernière guerre, sur les grands auteurs qui l'ont accompagnés au cours de son existence. C'est un livre très prenant, qui doit se lire autrement qu'une fiction commune, mais qui a sa véritable puissance et sa limpidité.
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