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[verso-hebdo]
28-11-2019
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Pas encore une image, Jean Daive, L'Atelier contemporain, 304 p., 25 euro.

Jean Daive, né en 1941, a écrit plusieurs recueils de poésie, dirigées plusieurs revues, dont fig., a été l'animateur fort longtemps à France Culture de l'émission « Peinture fraîche », et aussi écrit de nombreux essais, sans parler de ses traductions. Il a marqué son époque et je déplore que la célèbre chaine de radio l'ait écarté en 2009 pour se consacrer corps et âme au « sociétal ». Ce volume est la somme de ses pensées sur l'art et ses significations. Si l'on comprend bien la présentation, une partie du matériel provient de ses émissions radiophoniques. Tout commence par des commentaires enlevés sur de grandes expositions classiques, ou aussi la découverte (ou la redécouverte) d'oeuvres français importantes qui se trouvent aux Etats-Unis, comme La Grande Jatte de Georges Seurat. Il nous entretient aussi du Grand verre de Marcel Duchamp, nous raconte un exposition de John Ashbery à New York, évoque la Montagne Sainte-Victoire de Paul Cézanne : voilà un journal de ses expériences des années soixante, son intronisation dans le monde de l'art moderne et la naissance d'une passion qui ne s'est jamais démentie. Après ces notes liminaires, Jean Daive va à la rencontre d'artistes notoires, tels Mario Merz, Toni Grant, Rémy Zaugg, Pierre Klossowski, Sophie Calle -, dialogues souvent illustrés de dessins et de graphiques des intéressés. Mais, au milieu de ces entretiens, on trouve des réflexions, à commencer sur la pensée d'Aby Warburg sur ce qu'il a été, sur sa bibliothèque, sur sa manière d'aborder l'iconographie d'un tableau. C'est synthétique, mais remarquable. Puis notre auteur dialogue avec Jean-Michel Alberola, Raymond Hains, David Hockney, mais aussi avec Jacqueline Risset (à plusieurs reprises), la poétesse volontairement exilée à Rome, puis on l'écoute en compagnie de Jean-Pierre Bertrand et de Christian Boltanski et de Daniel Buren ou encore de James Lee Byars, le tout s'achevant par une série de lettres adressées à Marcel Broodhaers (réellement ou non) où il s'interroge sur la signification de l'image. C'est un livre dense et où l'on peut comprendre la démarche d'un certain nombre d'artistes. Jean Daive est un témoin des temps difficiles pour les arts que nous traversons. Il nous apporte mille (bonnes) raisons de nous interroger sur leur devenir pour le moins problématique.




Dix Bibelots africains, Eduardo Arroyo, Galilée, 208 p., 18 euro.

La mort de Franco a fait de lui l'artiste le plus en vue de l'Espagne redevenue démocratique. En France, il a compté parmi les plus éminents représentants de la tendance de la figuration narrative. Comme personne, il était plutôt drôle, mais n'avait pas sa langue dans sa poche et n'était pas dupe des usages du petit monde de l'art. C'est d'ailleurs de quoi il parle dès le début cette autographie, achevée peu de temps avant sa disparition. Il parle de son incapacité à mesurer son langage et donc ses opinions. Son franc parler était bien connu de tous ceux qui l'ont approché. Il en vient ensuite à parler de son étrange disposition à tout voir en double : c'est ainsi qu'il a fait le portrait du double de Sylvia Beach, la célèbre libraire de la rue de l'Odéon, amie de James Joyce. Il nous rappelle qu'ils a peint beaucoup de portraits, la plupart du temps de face, avec une symétrie entre les deux parties du visage - une sorte de trompe-l'oeil recherché. Ce qui le conduit à évoquer la mélancolie dont il était frappé et a interprété la fameuse gravure de Dürer par un Mickey Mouse tenant une banderole où est inscrit ce mot. C'est là son sens de la dérision et aussi de l'autodérision. Il parle de quelques peintres qui se sont attachés à ce sujet et aussi de Robert Burton, ce médecin anglais qui a écrit cette somme demeurée célèbre sur la question. Ces considérations étonnent et éclairent d'une manière nouvelle ses peintures ou ses dessins, qui sont assez souvent dérisoires et ludiques. Un nouveau chapitre s'ouvre sur la boxe. Il semble avoir été passionné par le Noble Art et que cette passion remonterait loin. Il avoue plus loin combien il a été intéressé par les affaires criminelles. Il en profite pour parler du gaz qu'on a utilisé à Auschwitz, soulignant que le bleu de Prusse contient du cyanure, ce qui est dangereux pour les peintres... Un autre chapitre lui permet de nous parler de sa famille, photographies à l'appui, de la mort prématurée de son père et de sa relation avec sa mère (dessin à l'appui). De là, il en vient à digresser sur la photographie, surtout sur les portraits des grands écrivains, dont ceux de Gisèle Freund et de Martine Franck. De là, il passe à la couleur orange, en songeant surtout à son utilisation par Mark Rothko. Ce qui est amusant, c'est qu'il s'empare d'un thème, y mêle des réminiscences mais aussi de considérations plus ou moins personnelles. Tout le livre est conçu de cette manière : un voyage mystérieux, une vague rêverie provoquée par la longueur du trajet, l'ennui et la fatigue et puis des considérations sur tel ou tel sujet, sans ordre apparent. Il saute volontiers du coq à l'âne. Après quoi, il en vient à citer des Américains, John Ashbery et puis le poète Frank O'Hara, et puis Larry Rivers. On ne sait trop pourquoi, il en vient à parler d'Emile Aillaud, camarade assez proche de lui dans l'aventure picturale. Puis, tout de go, il nous fait retraverser l'Atlantique et nous parle du combat des Noirs pour leur émancipation. C'est de plus en plus un enchaînement de souvenirs et de réflexions qui n'ont pas de suite logique. Cela est d'ailleurs sans la moindre importance, car la seule logique qui compte est celle de sa vision du monde, même si elle apparaît morcelée. Personne, et surtout pas moi, sera étonné de le voir associer les dernières années d'Oscar Wilde à Paris et la figure mythique et monstrueuse de Melmoth, tel que l'a rendu Charles Robert Maturin dans son célèbre roman publié en 1820 et qui a tant séduit Charles Baudelaire. Tout d'un coup nous voici à Madrid, et nous apprenons que l'auteur, dans sa prime enfance avait voulu devenir Guillaume Tell, un héros pur et dur. Et cela le conduit à déclarer ses goûts en matière culinaire ! Enfin, tout sauf une autobiographie classique ! Les nombreuses reproductions et les quelques clichés photographiques cimentent le tout, car ses dessins constituent une sorte de fil rouge pour entendre et approuver sa logique, qui est en dehors de toute logique admise. C'est un ouvrage savoureux, qui pourra décevoir ceux qui attendaient des anecdotes croustillantes, mais qui comblera de joie ceux qui ont aimé et aiment encore ses créations plastiques.




Notre-Dame de Paris, Joris-Karl Huysmans, préface d'André Guyaux, « Carnets », L'Herne, 112 p., 6, 50 euro.

On le sait : Joris-Karl Huysmans éprouvait une passion sans borne pour la cathédrale de Chartres, on point d'en faire le pivot de son roman, La Cathédrale, paru en 1898. A cette époque, il avait tourné le dos à l'esthétisme de son premier livre, A rebours (1884) et s'était converti au naturalisme avant de se convertir au catholicisme sous la férule de l'abbé Mugnier. A contrario de Victor Hugo, il n'appréciait pas trop Notre-Dame-de-Paris, pas plus qu'il n'avait de sentiments pour la cathédrale de Laon. Dans L'Almanach du bibliophile pour l'année 1899, il a développé quelques unes de ses raisons de ne pas admirer le monument gothique qui se dresse sur l'île de la Cité. Il trouve massive et terrifiante, comme tant d'autres avant lui, quand l'architecture gothique n'était pas encore à la mode dans notre pays. Il fait état des nombreuses transformations et des dégradations dont elle a été l'objet au fil des ans, mais retient malgré tout quelques traits méritant d'être salués, en particulier la légèreté la finesse de son transept, Il loue les rosaces qu'il compare à des roues de feu. Mais il se désole des apports superlatifs de Viollet-le-Duc. Il s'emploie ensuite à décrire le quartier qui l'entourait avec le jardin, qui a été réduit de taille, Il n'aime pas non plus les nouveaux immeubles qui bordent la rue du Cloître et la présence de la morgue (aujourd'hui déplacée). Il aime en revanche la rue Chanoinesse avec son caractère provincial que Balzac a si bien dépeint. De plus, Jean Racine y a habité. Il note une curiosité de cette artère : la tour Dagobert, don ne connaît pas bien l'origine véritable. Sa description de ce petit quartier est l'oeuvre d'un grand amoureux de Paris que son histoire intrigue. En 1903, il donne deux entretiens pour Le Petit Bleu dont le prétexte est l'électrification de la cathédrale parisienne. Il est définitivement contre cette modernisation, qui est contraire selon lui à l'esprit de la liturgie. Il reproche aussi au clergé de se croire obliger d'ajouter des vitraux dans le style du temps présent. Deux ans plus tard, il poursuit ses vociférations dans Le Tour de France. S'il reprend son réquisitoire contre la fée électricité dans les lieux de culte, il prévoit qu'ils vont bientôt se changer en vulgaires magasins. Puis, apaisé, il explique le symbolisme de Notre-Dame, à commencer par celui de ses portes. La suite est un authentique vadémécum mystique expliquant pourquoi il y a douze colonnes dans la nef (les douze apôtres), l'abside en forme de demi-cercle, épouse la forme de la couronne d'épine, etc. Il insiste : « toute partie d'une cathédrale est la traduction d'une vérité théologique ». Et il fait savoir qu'il existe de surcroît une symbolique occulte. Sur le portail royal (le grand portail de l'entrée) apparaissent quatre figures représentant la pierre philosophale. A côté de l'alchimie, il prend aussi en ligne de compte l'astrologie. Dans ce petit volume figure aussi un extrait de La Cathédrale, où il loue celle de Chartres, et puis on nous offre des notes de carnet sur son Voyage aux cathédrales rouges de 1903. L'ensemble nous donne une idée très précise du rapport que le grand écrivain a pu entretenir avec les églises du Moyen Âge et son penchant pour une forme de mysticisme qui ne peut faire reposer sa cause que sur la foi.




Les Rêveries d'un croyant grincheux, Joris-Karl Huysmans, préfacé par André Guyaux, «  Carnets », Editions de L'Herne, 120 p., 6, 50 euro.

Le catholicisme de Huysmans n'était pas lié à un monarchisme échevelé comme ce fut le cas pour Jules Barbey d'Aurevilly, ni associé à une conviction politique réactionnaire. Il s'est exprimé la première fois dans En route en 1885. D'après le préfacier, ce texte aurait été écrit après Les Foules de Lourdes, livre publié en 1906 (le dernier sorti de son vivant). L'ouvrage commence de manière assez inattendu puisqu'il s'en prend aux hommes politiques catholiques et accuse même à l'Eglise d'avoir rompu les termes du Concordat, laissant la voie libre à a rupture de l'Etat et de cette dernière en 1905 dans d'atroces déchirements. Huysmans semble dire que c'est Victor-Emmanuel III qui aurait briser le pouvoir temporel de l'Eglise : c'est un erreur ou, à mon sens, une coquille - c'est Victor-Emmanuel II qui rattache les Etats pontificaux au royaume d'Italie après la bataille de Porte Pia (construite par Léonard de Vinci) remportée par les bersaglieri commandés par le général Cadorna le 9 septembre 1870 (en fait, le roi d'Italie a misé sur le fait que Napoléon III ne pouvait plus voler au secours de Pie IX à cause de la guerre avec la Prusse). Cette bataille d'opérette, qui n'aurait pas dû avoir lieu selon des accords secrets, a fait à peine vingt morts. Un référendum en novembre confirme l'annexion. Les relations entre la papauté et le jeune royaume resteront mauvais jusqu'au Concordat conclue en 1929 avec Mussolini. Je referme cette parenthèse et je retourne à ce que Huysmans a couché sur le papier. Le vrai motif de la rédaction de ce texte est la mise à l'index de cinq livres de l'abbé Loisy. Ce qui chagrine le plus Huysmans dans cette affaire, c'est la soumission totale du clergé français à la volonté de Rome. Il est un farouche partisan du gallicanisme. Il énumère ensuite une série de points de discorde avec les autorités religieuses, sur la question du péché, à plusieurs dogmes, à l'incapacité aussi de s'adapter aux normes de la vie moderne. Au fond, ces pages sont un virulent pamphlet anticlérical (il finit d'ailleurs par le déclarer) ! Mais il n'en reste pas moins un croyant solide, qui condamne certains aspects de la théologie des jésuites, et approuvent en partie le jansénisme. Il discute pas mal de questions et en appel à un retour aux sources, ce qui est quelque peu paradoxal... Le livre contient aussi une autobiographie écrite sous un pseudonyme, A. Meunier dans la collection Hommes d'aujourd'hui en 1885 (avec une caricature de Coll-Toc en couverture). Enfin, l'ouvrage est complété par des notes de l'abbé Mugnier (le prêtre qui l'a converti) pour la préface de ses Pages catholiques, paries en 1899. Voilà un volume qui nous apprend beaucoup de choses sur cet écrivain qui n'a jamais voulu rentrer dans le rang.




Carnet 9, Allemagne et Varia, Paul Vidal de la Blache, présenté par Marie-Claire Robic & Jean-Louis Tissier, Editions Macula, 204 p., 18 euro.

A leur habitude, les éditions Macula nous présentent un ouvrage rare, curieux et riche d'enseignements. S'il n'est pas très connu, Paul Vidal de la Blache (1845-1918) mérite toute notre attention. Il ne fait pas partie de ce grands pionniers de la photographie et n'est pas un de ces créateurs qui ont donné leurs lettres de noblesse à cette discipline en en faisant un art. Après avoir étudié au lycée Charlemagne à Paris, il est entré à l'Ecole Normale Supérieure et a passé une agrégation d'histoire et de géographie. Il a obtenu alors un poste à la prestigieuse Ecole française d'Athènes et a beaucoup voyagé autour du bassin méditerranéen. Il a préparé une thèse d'histoire antique sur Hérodote. Son idée est de développer l'enseignement de la géographie, assez peu traitée en France. Il a enseigné dans différentes villes pour devenir professeur à la Sorbonne. Il est un des cofondateurs en 1891 de la revue Les Annales de la géographie. Un an plus tard, il a publié son Atlas d'histoire et de géographie, puis, en 1903, le Tableau de la géographie de la France. En 1910, il s'est lancé dans la réalisation d'une oeuvre colossale, la Géographe universelle (publiée posthume). Pendant la Grande guerre, il a travaillé pour le Service géographique de l'armée, s'entourant de nombreux collaborateurs. Cet homme a profondément transformées les études géographiques. Ce qui frappe est qu'il a été profondément influencé par la pensée allemande. Il avait étudié un certain temps en Allemagne et y avait aussi beaucoup voyagé. Les préfaciers expliquent ce choix assez peu courant à l'époque, ne serait-ce que pour des raisons politiques évidentes. Ils nous introduisent donc à l'un de ses trente-trois carnets de notes. Celui remonte à l'époque où il était professeur à l'Ecole normale supérieure en 1880. Il est accompagné de nombreux croquis et ses notes sont intéressantes car il n'a pas fait que décrire les lieux qu'il a découverts. Il y a inséré de nombreuses considérations sur l'histoire ou sur des événements qui ont eu une importance dans le passé, des travaux qui ont été effectués, comme des canaux, etc. C'est un peu son discours de la méthode qui y est exposé. En somme, ces calepins nous font connaître le sens de sa démarche, qui dépasse largement les bornes classiques de l'étude topologique. C'est plus qu'un document, c'est la révélation d'une manière nouvelle d'aborder une science que la photographie a complétée.




Le Culte des images avant l'iconoclasme (IVe-VIIe siècle), Ernst Kitzinger, traduit et postfacé par Philippe-Alain Michaud, Editions Macula, 244 p., 18 euro.

C'est une excellente idée : notre connaissance de l'histoire de Byzance et de ses normes esthétiques reste assez limitée. L'auteur de cette étude parue en 1954 est un professeur allemand, Ernst Kizinger (1912-2003). Les textes originaux sur la question mais ne sont accessibles qu'aux spécialistes et la fameuse querelle des images n'a jamais eu en France qu'un seul grand livre de référence, oeuvre du très austère d'André Grabar, L'Iconoclasme byzantin (Flammarion, 1984) et une bonne introduction écrite par Marie-France Auzépy, L'Iconoclasme, P. U. F., 2006). L'iconoclastie a existé aussi bien dans la religion catholique, le judaïsme, l'Islam (surtout chez les waabites), et puis avec le protestantisme (Calvin à Genève, Zwingli à Zurich). Tout cela avec des nuances (il a existé des synagogues très décorées) et aussi des périodes de crise. Mais ce qui a eu lieu pendant un eu d'un siècle à Byzance a été d'une violence inouïe à partir de 726 et s'est terminé par le retour au culte de l'image sous le règne de Théodora. Le second concile de Nicée en 787 l'a condamnée de manière formelle. Mais l'empereur Léon V l'a réinstaurée et son successeur Michel II a suivi ses principes. Cette seconde phase a duré jusqu'en 843. Mais cette question a également été discutée en Occident et Charlemagne a dû la trancher lors du concile de Francfort en 794. Ernst Kizinger ne traite pas de cette affaire complexe, mais nous fait entrer dans l'univers des iconodules des siècles qui ont précédé cette crise. Il remarque que l'iconographie chrétienne connaît un essor à partir de l'an 300. Mais les sources sont trop rares pour avoir une certitude à ce sujet. Il est vrai que l'Eglise primitive n'était pas très favorable au culte des images, ayant mené une lutte de longue haleine contre l'adoration des dieux. Ensuite, saint Jean exprime son hostilité dans ses Evangiles, suivi par un certain nombre d'exégètes. Tout aurait commencé par le culte de la Croix et des reliques. Il faut néanmoins attendre le règne de l'empereur Justinien pour que les représentations des figures saintes soient admises (celles de l'empereur subsistent). Saint Augustin atteste de cette révérence due aux images et l'approuve. C'est au début du VIe siècle que semble apparaître le rituel de la proskynesis, la prosternation devant les images saintes. Ce culte est prouvé par bien des traces écrites. L'auteur examine ensuite en détail la nature de cette adoration croissante. Les icônes sont issues de cette mode, qui se double d'une croyance à leurs effets miraculeux -, c'est l'amorce de la palladia, quand l'image est réputée avoir une fonction protectrice. Cela vaut pour la sphère du privée comme celle de l'église, mais aussi dans l'espace public. Certaines de ces images sont réputées ne pas avoir été faites par la main de l'homme. Il suffit parfois qu'elle ait été bénie par un saint homme. On peut y voir une réminiscence du paganisme car l'icône posséderait le même pouvoir qu'une relique. Mais elle continue à s'en distinguer. Le néoplatonisme et l'influence des textes du Pseudo-Denys confortent cette tendance. On pense aussi à l'époque que c'est une arme contre l'hérésie. Ce qui est intéressant de constater, c'est que le pouvoir n'a adopté ces pratiques que de manière tardive, sans doute sous Tibère II (fin du VIe siècle), quand l'empereur a compris que cela ne ferait que renforcer son pouvoir temporel. Dès cette période, des voix se sont élevées, nombreuses, contre ces croyances jugées sacrilèges. La profonde crise iconoclaste n'est que l'un des moments clefs de cet affrontement frontal. Une fois cette crise surmontée, on a rédigé au IXe siècle une théorie des images pieuses. Elle avait été esquissée auparavant, entre autres, par Grégoire de Nysse, par Basil et par Nil. Puis ces défenses de l'iconophilie ont été adressées aux juifs et aux musulmans. L'ouvrage se conclue par une étude très poussée de la justification théologique de l'usage des images. Ce qui est merveilleux dans ces pages, c'est qu'elles sont claires, synthétiques, assez éloignées des thèses savantes mais opaques avancées par André Grabar. Toute personne qui est intéressé par l'iconographie chrétienne ou plus spécifiquement par l'art religieux byzantin se doit de posséder ce volume remarquable, qui est accompagné d'une très précieuse anthologie de textes d'auteur de l'époque concernée, qui permettent de comprendre et d'interpréter des oeuvres précises.




Julio Le Parc, collectif, Editions du Canoë / Editions Exils, 80 euro.

Il n'y a pas bien longtemps, je vous ai parlé de cette grande monographie consacrée à l'oeuvre et à la vie de Julio Le Parc, et je me suis aperçu que j'ai omis de parler de l'anthologie critique où l'on trouve des textes de Jean Clay, de Jean-Louis Pradel et de Pierre Restany, mais aussi de François Morellet et, bizarrement, de Gérard Fromanger. Le plus grave est que j'ai omis d'entrer plus en détail dans le choix imposant de textes de l'artiste. Je vais donc tenter de réparer cette erreur. On remarque d'abord que l'artiste a un grand sens du pamphlet (il n'est que de lire ce qu'il dit de la galerie Denise René) ou de la polémique - ce qu'il raconte de la motorisation des oeuvres de Soto, qu'il lui avait conseillé après avoir vu les créations de Tinguely, n'est pas des plus diplomatiques, même s'il doit y avoir une grande part de vérité. Le Parc confond une conversation de café où l'on peut se dire les choses, vraiment droit dans les yeux, et un article de grande taille où il révèle les à-côtés de la création de ses confrères. Il ne cesse de rappeler les grands principes fondateurs du GRAV (Groupe de Recherche d'Art Visuel), le groupe dont il a été le fondateur avec François Morellet et Yvaral, et peut se révéler très virulent à propos des expositions muséographique (en particulier une quia eu lieu au Centre Pompidou. En revanche il se montre très respectueux dès qu'il s'agit d'histoire : quand on lui demande ce qu'il pense de Marcel Duchamp, il est très respectueux et le reconnaît comme un maître à penser en ce qui le concerne. Bien sûr, tous ces écrits reflètent une époque où l'on n'avait pas la langue dans sa poche et qu'on empoisonnait volontiers sa plume ! Il a signé des manifestes et des déclarations sulfureuses, il a attaqué bille en tête des groupes concurrents (souvent d'un intérêt très secondaire), ne perdant jamais une occasion de prononcer un jugement. Mais on est surpris qu'il ne semble pas s'intéresser à autre chose qu'au Nouveau Réalisme et à l'art optique, quelle que soit sa forme et ses moyens.
Gérard-Georges Lemaire
28-11-2019
 

Verso n°136

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