La galerie Anne-Marie et Roland Pallade de Lyon expose des peintures récentes de Vladimir Velickovic (du 8 novembre au 12 janvier) sous le titre Danger, et c'est un choc. Les corbeaux dans des espaces interdits, les suppliciés, les gibets et les champs en feu sont là, impressionnants comme jamais. Robert Bonaccorsi observe avec justesse dans sa préface que « le trait expressionniste, l'aveuglante noirceur de la lumière, la subtile flamboyance de la couleur (rouges, noirs, clairs-obscurs) manifestent ce paroxysme permanent, incisif, corrosif du temps et de l'espace. » Voici une belle introduction à la grande rétrospective préparée par le Fonds Hélène et Edouard Leclerc à Landerneau qui devrait manifester dans toutes ses dimensions l'oeuvre de Velickovic : il s'agira de montrer comment ce grand peintre exprime le tragique de la condition humaine par le moyen du grand style (à partir de décembre 2019). Cette peinture et cette production graphique sont en effet un théâtre sans héros, sans intrigue et sans dénouement, qui n'en révèlent que plus intensément l'énigme contemporaine.
Le tragique sort de la tragédie grecque : il pressent, annonce. L'ambiguïté est son domaine. Les vérités n'y sont pas récupérées, maçonnées comme dans la dialectique, elles se manifestent dans leur vitalité originelle, elles se transfigurent. Dans la tragédie grecque comme dans la peinture de Velickovic, l'oeuvre représente ce que nous sommes en réalité sans oser y penser. Avec Velickovic, nous avons une approche picturale du mystère social que les sciences dites sociales (psychologie, sociologie...) sont impuissantes à élucider. Nietzsche et Hegel nous avaient prévenus : il n'y a pas de « science de l'homme », ce mot lui-même trahit une prétention insensée. Il n'y a qu'une histoire de l'homme, qui contient et dépasse toute science. Ce n'est pas le parti pris des ténèbres ni la fatalité du malheur qu'apporte le tragique, mais une voyance plus ample et plus pénétrante. Après Sophocle ou Eschyle, il y a eu Ionesco et Beckett au théâtre, Kafka dans le roman qui tentaient de dévoiler la réalité masquée par les apparences.
Ces créateurs ont disparu. Aujourd'hui le cycle du nihilisme prophétisé par Nietzsche poursuit sa route : d'abord, on croit que tout a un sens, et ensuite, lorsque cette totalité s'est effondrée, plus rien n'a de sens. Né en 1935 en Yougoslavie, témoin personnel des totalités effondrées (nazisme, communisme, nationalisme), Vladimir Velickovic est de nos jours l'un des seuls sinon le seul peintre authentiquement tragique : celui qui pose le problème du mal et qui l'approfondit par le moyen du grand style. Qu'est-ce que le grand style ? Qu'il me suffise de citer ici Frédéric Nietzsche : « Le grand style consiste à mépriser la beauté petite et brève. » (Ainsi parlait Zarathoustra, Gallimard, 1947, p. 342). D'où l'importance essentielle de l'oeuvre de Velickovic, s'il est vrai, comme l'affirme Max Scheler, que le phénomène du tragique constitue une structure fondamentale de l'univers. On le comprendra dans un an en visitant le couvent des Capuçins à Landerneau, transformé en superbe espace d'exposition par la fondation Leclerc qui a déjà accueilli, entre autres, Monory, Giacometti et Henry Moore.
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