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[verso-hebdo]
21-02-2019
La chronique
de Pierre Corcos
Pouchkine à Paris, triomphe du dessin
Édifié entre 1898 et 1912, le musée des Beaux-Arts Pouchkine reste le plus grand musée de Moscou concernant l'art européen. Fondées par le professeur Ivan Tsvetaev, ses collections furent sans cesse enrichies, et notamment sa remarquable collection d'art graphique, comportant aujourd'hui plus de 350 000 gravures et quelques 27 000 dessins... La Fondation Custodia, l'un des rares lieux parisiens où le dessin nous offre ses plus beaux joyaux, et où son directeur, Gert Luijten, propose régulièrement des pièces rarement exposées en France, nous invite jusqu'au 12 mai à découvrir et admirer une sélection de plus de 200 pièces magnifiques de la collection des dessins du Musée Pouchkine, couvrant les écoles européennes et russes du XVe au XXe siècle. Et, comme le plus souvent à la Fondation Custodia, l'exposition se déploie sur deux niveaux. Les dessins du XVe au XIXe siècle occupent le premier étage, tandis que les salons du sous-sol accueillent les oeuvres du XXe siècle, avec une présence russe notable venant compenser une absence au premier étage.
Comment procéder à la sélection d'environ une oeuvre sur cent trente-cinq, sans trop pâtir de remords ? Cinq conservateurs furent mobilisés pour cette sélection, qui tient évidemment compte de l'histoire du dessin (ses techniques, fonctions et styles), mais également des différentes collections dont ils furent issus, et enfin de la configuration de la Fondation Custodia avec ses espaces de différentes tailles. Le résultat final peut se traduire en quelques mots : un voyage spatio-temporel exaltant, à travers cinq siècles de dessins européens. Et la réactivation d'un questionnement sur le charme infini qu'exerce le dessin...

Est-ce parce qu'incomplet, dénué de couleurs, le dessin sollicite la participation active de l'imagination, tout en offrant (à la différence de l'écriture) d'essentiels éléments visuels ? Ou est-ce parce que le trait est en même temps, sismographe sensible, l'empreinte subjective de l'artiste, mais aussi son ingénieuse tentative pour reproduire un objet ? Ou bien est-ce encore parce qu'il est une voie idéale pour révéler dans toute sa spontanéité, son authenticité, le processus créateur ? Ou enfin est-ce parce qu'il procède d'une inscription essentielle, magique dans ses origines rupestres, et pathétique dans sa réponse au temps et à la mort qui effacent tout ? L'envie de répondre à ces questions, ou simplement de les poser, témoigne, à côté de la présentation esthétique, historique que l'on peut proposer concernant cette exposition admirable, de la passion qu'elle fut capable de réveiller pour le dessin, art subtil d'interpréter la forme... Dürer, Rubens, Fragonard, Tiepolo, Friedrich, Degas, Toulouse-Lautrec, Picasso, Matisse, et on en oublie, côtoient ici d'autres artistes moins connus, mais qui le plus souvent enrichissent le dessin d'un trait, en ses qualités multiples, original.
Bien qu'il soit impossible de justifier une nouvelle sélection sur cette rigoureuse sélection préliminaire, s'arrêter sur quelques oeuvres de cette exposition Le Musée Pouchkine. Cinq cents ans de dessins de maîtres, à seule fin de donner l'envie de s'y rendre, pourrait être admissible. Et par exemple cette Tête d'homme au turban de Martin Schongauer, à la plume et l'encre noire sur un papier bistre, daté des années 1460, associant lignes ténues et traits puissants pour donner à ce visage son expression d'infortune et son modelé moelleux, toute la psychologie du personnage étant appréhendée dans sa mimique, qui n'est elle-même qu'une combinaison de lignes, de valeurs et directions variées. Détail d'un dessin préparatoire à un tableau qui ne fut jamais réalisé, cette Étude pour les collecteurs d'impôts du Cavalier d'Arpin, une pierre noire et sanguine réalisée vers 1591, frappe par la vigueur des hachures et des personnages, saisis de trois quarts dos. Simple, essentielle, magistrale, l'Étude d'une femme tenant un enfant dans les bras de Rembrandt, à la plume et à l'encre brune, du début des années 1650, dit en quelques lignes, puissantes et parfaitement choisies, la relation mère et enfant. La Jeune femme endormie de François Boucher, à la pierre noire, sanguine, craie blanche et pastel sur papier brun, dessinée vers 1760, s'approche de l'effet pictural par la variété des médiums utilisés, tout en conservant la souplesse et la fraîcheur d'un dessin qui modèle érotiquement ce corps pulpeux et juvénile. Pierre noire, plume et encre brune, lavis de sépia : quelle douce mélancolie se dégage de ces Deux hommes au bord de la mer (oeuvre datée entre 1830 et 1835) d'un Friedrich qui, alors très malade, ne pouvait plus peindre à l'huile ! On préfèrera ce dessin à certaines de ses peintures... Pavel Filonov fait exploser Une tête (1924) à la plume et l'encre noire dans une kyrielle de sous-figures à la fois géométriques et décoratives, rappelant ainsi les pouvoirs analytiques et complexifiant du dessin. Tout à l'opposé, la Femme aux cheveux épars (1944) de Matisse, démontre qu'avec un minimum de traits à la plume et à l'encre noire, un style, une pose, un caractère de femme peuvent être promptement saisis. Nous terminerons cette petite promenade au sein d'un grand voyage par un dessin à la plume et à l'aquarelle de Kandinsky, daté de 1916 et intitulé Composition J (À une voix), qui prouve, s'il en était besoin, les pouvoirs expressifs, rythmiques de la ligne, croisant les couleurs ou dégageant des réserves, en dehors de toute fonction représentative.
Et l'art du dessin derechef triomphe...
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
21-02-2019
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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