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[verso-hebdo]
22-02-2018
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La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau |
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Mais à quoi ça ressemble, la peinture de Fautrier ? |
Les vastes espaces du musée d'Art moderne de la ville de Paris accueillent une émouvante rétrospective Fautrier (jusqu'au 20 mai) après le Kunstmuseum de Winterthur. Cent quarante peintures, vingt-cinq sculptures rendent bien compte de l'originalité et de l'importance de Jean Fautrier (1898-1964), artiste encore assez méconnu. Deux films d'entretiens avec respectivement Jean Paulhan et Michel Ragon permettent de faire connaissance avec ce personnage déroutant, inclassable. « T'as raison, Ragon ! » s'exclame-t-il à un moment. Que disait donc en substance Michel Ragon de son ami au « méchant caractère » dont il constatait qu'il était « un mal-aimé » ? Il remarquait qu'il s'agissait tout simplement de sa manière de peindre. « La technique du peintre, pour peu qu'elle soit originale, est la chose à laquelle on s'habitue le moins bien. » Avant tout, il faut donc s'informer de la technique du peintre, en effet très originale, que résumait André Berne-Joffroy dans le catalogue de la rétrospective de 1964 au même endroit : « Depuis 1929 Fautrier a généralement préféré le papier à la toile, à cause de la meilleure adhésion qu'il permet. Ce papier est collé et marouflé sur toile. (...) Fautrier travaille à plat pour que la matière puisse s'étendre et déborder à sa guise avant de se prendre. Il lui importe que ses couches superposées soient soumises aux lois de la géologie. Il lui importe qu'on voie que cette matière qu'il emploie est par elle-même indistincte et inerte (...) Sur le papier ainsi préparé, Fautrier dessine la première image au pinceau avec des encres. Puis, des poudres ou de semblables matériaux ayant été répandus sur l'enduit encore humide afin de lui donner l'aspect d'une substance brute... » Suivent encore de longues couches et préparations avant qu'enfin l'artiste trace finalement dans la pâte des sillons, qui s'ajoutent au dessin et complètent l'image.
Eh oui, l'image ! Car Jean Fautrier n'était nullement un artiste abstrait. En 1955, raconte Michel Ragon, Jean Paulhan (auteur du fameux petit livre L'art informel où Fautrier apparaît en bonne place) préfaçait l'exposition des Objets galerie Rive droite à Paris et galerie Alexandre Iolas à New York en un temps où le mot « objet » était prohibé par l'avant-garde internationale exclusivement abstraite. Or cette exposition était un défi à l'abstraction lyrique alors triomphante, et un acte de désolidarisation du mouvement « informel » issu de Fautrier lui-même. Ainsi était l'artiste, « un des rares peintres contemporains dont on peut dire qu'il ne doit rien à personne » avait dit André Malraux ; celui avec qui, selon Jean Paulhan, « se fonde une peinture qu'il faudrait appeler la peinture de la part obscure ou du contre-sens. » « Franchement, j'aimerais qu'on me le dise, à quoi ça ressemble ! ça, quoi ? La peinture de Fautrier » demandait Francis Ponge qui poursuivait : « Y voyez-vous, vraiment (dans cette peinture), quoi que ce soit de comparable à celles de ceux mêmes qu'il lui arriva de citer comme proches de lui (Hartung, Wols, Pollock) ? » La réponse du poète, on le devine, était négative : c'est à Jean Racine qu'il songeait, citant cet « atroce mélange d'os et de chairs meurtris et traînés dans la fange » lui rappelant les oeuvres de son ami. Fautrier et Racine, « tous deux passionnés des femmes, ombrageux de caractère, se créant des ennemis comme à plaisir (...) Et surtout ces brusques (et souvent définitives) séparations de la vie et de l'oeuvre... »
Il faut voir la rétrospective Fautrier, où rien ne manque, surtout pas les Otages présentés chez Drouin en 1945 qui le rendirent célèbre (il les avait peints pendant la guerre ; il avait été proche de la Résistance et emprisonné un moment par la Gestapo). Ces Otages déconcertants dont Malraux se demandait s'il ne fallait pas être gêné « par certains de ces roses et de ces verts presque tendres, qui semblent appartenir à une complaisance de Fautrier pour une autre part de lui-même ? » Non, il ne fallait pas être gêné. C'était simplement de la peinture, mais géniale.
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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