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[verso-hebdo]
04-10-2018
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La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau |
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Sur le génie pictural de Rembrandt |
L'épatant petit livre qui vient de paraître sous la signature de Jan Six, Le portrait d'un jeune homme de Rembrandt (Payot, 160 pages, 20 euros) nous en dit peut-être plus sur le génie pictural de Rembrandt que l'auteur ne le pense. Ce dernier, ancien collaborateur de Sotheby's à Londres et à Amsterdam, où il a dirigé le département des peintures anciennes, a fondé il y a dix ans sa propre galerie, spécialisée dans les maîtres de la peinture hollandaise. Il a repéré chez Christie's en 2016 un Portrait de jeune homme, attribué au « cercle de Rembrandt », non signé et non daté, qu'il a instinctivement jugé être un authentique tableau du maître : il avait l'œil. Il fallait encore acquérir l'oeuvre, puis prouver que c'était bien un Rembrandt, ce qui a nécessité un an et demi de travail secret par les meilleurs spécialistes armés des technologies les plus pointues pour parvenir, le 15 mai 2018, à la révélation au monde d'un authentique Rembrandt dont personne n'avait jamais entendu parler. Jan Six raconte, documents à l'appui, ses recherches et c'est passionnant. Mais l'essentiel, qui n'est que suggéré, me semble ailleurs.
Jan Six et les experts sont parvenus à dater avec précision le Portrait de jeune homme : 1633. C'est donc un tableau de jeunesse qui autorise quelques réflexions. En cette même année 1633 Rembrandt exécuta le Portrait du poète Jan Hermansz Krul (Gemäldegalerie Alte Meister, Cassel) et tout de suite avant, en 1632, il avait peint l'Enlèvement de Proserpine (Musées de Berlin) et le Philosophe en méditation (Louvre). Or, traditionnellement, les historiens de l'art n'accordent pas la même valeur à ces trois tableaux peints quasi simultanément : le Philosophe est placé très haut, dans la célèbre veine claire-obscure qui a fait la gloire de Rembrandt. Proserpine ne serait qu'une oeuvre dans le goût baroque, légèrement licencieux, apprécié par le prince d'Orange et commandé à son intention par son secrétaire (et ami du peintre), Huygens. Krul, quant à lui, dans son austérité satisfaite, ne serait qu'un portrait d'un membre de la bourgeoisie hollandaise du XVIIe siècle. laquelle aimait beaucoup se faire représenter. Dans ce cas, Rembrandt ne ferait pas autre chose que ses confrères du temps, par exemple Thomas de Keyser avec son Portrait d'un homme (1630), visiblement un riche bourgeois dont le Krul semble imiter strictement la pose (main droite nue, main gauche tenant un gant). Pour les artistes, ce n'étaient que des portraits alimentaires sans grand intérêt plastique, en somme.
Le portrait d'un jeune homme découvert par Jan Six serait donc de cette sorte ? Eh bien pas vraiment, et c'est là que le très rigoureux travail du marchand et de ses experts prend un intérêt considérable. Il s'agit de bien regarder le col de dentelle porté par le jeune homme et par les autres riches hollandais vers 1633-35, car c'était la mode (voir, de Rembrandt, un autre Portrait d'un jeune homme du Musée de l'Hermitage - 1634 -, ou son Portrait de Philips Lucasz de la National Gallery - 1635 -). Pour rendre cette dentelle raffinée, Thomas de Keyser et les autres peignaient minutieusement chaque ligne avec du blanc de plomb sur fond sombre (les bourgeois étaient vêtus de drap noir). Or Rembrandt a adopté une autre méthode, qui change tout : « Il a commencé par peindre le col entièrement au blanc de plomb, comme une grande forme opaque, autour du cou du modèle. Sur cette forme, il a appliqué des touches au noir d'os de façon approximative, légèrement chaotique. De près, cela crée une image assez impressionniste, mais de loin, cela fonctionne à merveille. » C'est peu dire ! Là où le laborieux Thomas de Keyser se donne un mal fou pour représenter sa dentelle blanche sur fond noir, Rembrandt donne magistralement la même illusion (de loin) avec des touches rapides de noir (« approximatives ») sur fond blanc. Rembrandt ne peint pas ses portraits de représentation bourgeois comme ses confrères : il fait au moins aussi bien de manière infiniment plus simple. Là est son génie pictural, que met en lumière sans y insister l'excellent travail de Jan Six.
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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