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[verso-hebdo]
05-10-2017
La lettre hebdomadaire
de Jean-Luc Chalumeau
Quand une star passe à l'histoire : le cas Warhol
Le musée Maillol présente (jusqu'au 21 janvier) un important choix d'oeuvres pop venues du Whitney Museum of American Art. C'est l'occasion de rendre longuement hommage dans le catalogue à la fondatrice, l'honorable sculptrice Flora Whitney Miller et de faire l'histoire de son musée, devenu aujourd'hui l'imposante construction conçue par Renzo Piano (l'auteur du Centre Pompidou comme par hasard) au 99 Gansevoort Street, une adresse plus branchée, près de High Line Park, que la très bourgeoise bâtisse de Madison avenue où jadis Jean Baudrillard prononçait des conférences mémorables à guichets fermés... C'étaient les années 80-90 : le pop art faisait encore débat sinon éventuellement scandale, Andy Warhol tout particulièrement contre lequel Baudrillard fulminait  dans son célèbre article de Libération le 29 mai 1996 : « Warhol est vraiment nul, en ce sens qu'il réintroduit le néant au coeur de l'image. Il fait de la nullité et de l'insignifiance un événement qu'il transforme en une stratégie fatale de l'image... » Aujourd'hui, Warhol n'est pas spécialement mis en valeur parmi les « icons that matter » du musée Maillol (c'est d'ailleurs Liechtenstein qui fait la couverture du catalogue et l'affiche). Il est sagement dans l'exposition parmi les autres, faisant l'objet d'une présentation parfaitement neutre, sans la moindre passion, par la très sérieuse Annabelle Ténèze, archiviste paléographe et directrice des Abattoirs de Toulouse. Voici donc Andy Warhol dans les musées, bien aseptisé. Il fut une star : c'est bien triste semble-t-il de passer à l'histoire.

Les provocations verbales de Warhol sont célèbres : « L'art des affaires est bien plus intéressant que l'art de l'art » ou bien : « Je fabrique toujours des saloperies pour que les gens les mettent dans leurs espaces qui, à mon avis, devraient rester vides. » Or les trouvailles du fils d'immigrés slovaques ont réellement fait de lui un des plus grands artistes de son siècle, en dépit du fait que, fort loin d'être ce que l'on appelle un « bon peintre », comme l'a observé Lucy Lippard, il aura été « l'un des artistes les plus importants de son temps car il dominait la plus intransigeante branche conceptuelle de l'art abstrait ». En effet, Warhol ne hiérarchise pas les informations qu'il retient : pas plus d'un point de vue politique ou social qu'esthétique. Il utilise les images-témoins de la consommation de masse jusqu'à saturation. Et une fois cette saturation atteinte, il change de sujet sans regret. Le désir de peindre ne lui a jamais fait prendre l'image au sérieux, car il n'en avait besoin que pour la « tuer ». C'est cette prodigieuse aptitude à la mutation-destruction des images symboles de la société américaine par saturation qui fait la grandeur ambigüe de Warhol.

« Puritain », « abstrait », disent fort justement les commentateurs les plus lucides : les figures en effet ne comptent plus car ce qui est en question, c'est l'univers du parcellaire, de la division et de la mutiplication dont l'oeuvre d'Andy Warhol aura rendu compte comme nulle autre auparavant. Après la mort de l'artiste, l'écrivain William S. Burroughs constatait que « l'on ne soulignera jamais assez l'influence d'Andy Warhol sur le monde de l'art. Il a fait voler en éclat toute la hiérarchie des images « artistiques », il a effacé les lignes de démarcation arbitraires qui délimitaient étroitement « l'art ». Une soupe en conserve, observée d'un oeil lucide, peut devenir aussi miraculeuse qu'une comète. La façon de voir une image modifie tout notre champ de perception. Warhol était un personnage miraculeux, peut-être une espèce de saint. » Baudrillard écrivait après Burroughs, il ne l'avait sans doute pas lu, mais au fond, ne disait-il pas presque la même chose ?
J.-L. C.
verso.sarl@wanadoo.fr
05-10-2017
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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