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[verso-hebdo]
25-06-2015
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Matisse en son temps, sous la direction de Cécile Debray, Fondation Gianadda, 288 p., 39 Fs.

L'exposition d'Henri Matisse à la fondation Gianadda a une double ambition : celle de montrer le développement des idées esthétique du peintre, et les relations qu'il a entretenues avec ses contemporains, depuis l'époque où il a été l'élève de Gustave Moreau à l'Ecole des Beaux-arts de Paris jusqu'à l'après-guerre. L'enseignement de Moreau qu'ont suivi Matisse, Camoin, Rouault, Marquet, Bussy, Manguin, André Rouveyre, entre autres, s'est distingué par son ouverture d'esprit : d'une part, il exigeait de ses élèves d'aller copier les maîtres d'autrefois au Louvre, mais aussi de s'inspirer de la nature et du spectacle de la rue. Celui-ci est même aller rentre visite à Matisse dans son atelier et l'a encouragé. D'une certaine façon, c'est avec lui que naît le groupe qu'on appellera les Fauves, que vont rejoindre Braque, Derain et son inséparable compagnon, Vlaminck. Le séjour de Matisse à Collioure en 1905 ne fait que conforter Matisse d'aller de l'avant et de suivre ses intuitions sur la couleur, tout comme celles de Derain, Manguin et de Vlaminck. Pour Braque ce fut La Ciotat et pour Dufy, L'Estaque. Dommage que rien ne soit dit sur le voyage en Afrique du Nord en 1912, qui lui a ouvert de nouveaux horizons plastiques.
L'accélération prodigieuse de la pensée nouvelle sur la peinture est ici représentée par les amis et connaissances de Matisse, Juan Gris, Gino Severini, Henri Laurens, Maillol. On peut voir dans cette belle exposition qui dure jusqu'en novembre, des tableaux fondamentaux de Matisse comme La porte-fenêtre de Collioure (peinte en 1911, comme L'Atelier rouge, dont on peut contempler la version ultime de 1948), Lorette à la tasse de café (1917) et Le Repos (Petite odalisque en culotte rouge, 1919). Les odalisques sont omniprésente comme un des grands thèmes de l'artiste. Et l'amitié ainsi que la rivalité de ce dernier avec Picasso sont mises en scène des oeuvres de ce dernier exécutées avec sa mort (Femme nue au bonnet turc, 1955 ou Femme couchée sur un divan bleu, 1960, dans la droite ligne de sa suite inspirée par Les Femmes d'Alger de Delacroix). Bien sûr, il était impensable de tout dire sur Matisse, de l'époque « fauve «  à Jazz (1947). Mais ces confrontations sur des thèmes précis et les différentes manières d'aborder le fauvisme comme le post cubisme sont bien cernés. Le choix des oeuvres est judicieux et le catalogue contient des informations précieuses ainsi qu'une anthologie de sa correspondance avec ses principaux amis artistes.




Cézanne, la logique des sensations organisées, Lawrence Gowing traduit de l'anglais par Geneviève Petit, Macula, 116 p., 16 euro.

Cette étude, qui vient d'être rééditée par Macula, à été louée par John Rewald, l'auteur des traités exhaustifs sur l'impressionnisme et le postimpressionnisme qui font toujours autorité. Quand on lit ces pages, on comprend vite pourquoi : non seulement sir Lawrence Gowing (1918-1991), grand connaisseur de Vermeer et de Turner, avait aussi une connaissance parfaite de l'oeuvre de Cézanne,. Son talent est d'avoir su condenser en peu de mots et avec une incroyable lucidité les visées plastiques les plus saillantes du peintre. Il sait surtout bien expliquer ce que Cézanne a recherché à la fin de son existence, quand la construction géométrique de l'espace est prépondérante et que la couleur est distribuée selon des plans eux aussi bien structurés. Sans doute le lecteur moderne ne trouvera rien de très neuf dans cet essai. Gowing a été le premier à le faire, en dehors des peintres qui avaient compris tout ou partie du grand projet de Cézanne. Il cite d'ailleurs beaucoup les écrits de Maurice Denis, qui sont pour lui une référence solide et fiable. Il a bien compris la « loi d'harmonie » nouvelle que propose le solitaire d'Aix-en-Provence, et il a été en mesure de discerner où cela pouvait mener. Il sait que Cézanne ne cherche pas à restituer la Nature sous un angle idiosyncrasique, mais qu'il médite une forme proche de l'abstraction pure. Ce faisant, il a ouvert la voie à Roger Fry et au cercle du Bloomsbury qui ont été, pendant l'ère edwardienne, les interprètes avisés de l'art français. Aussi bref soit-il, ce livre est sans doute l'une des meilleures explorations de l'univers esthétique de Cézanne. Il n'a pas pris une ride et, maintenant qu'il est disponible en français, toute personne s'intéressant à l'oeuvre de Cézanne doit se faire un devoir de le posséder dans sa bibliothèque.




Christian Dotremont, la parole écrite, Peggy Archer, Hermann, 270 p., 24 euro.

Christian Dotremont (1922-1979) a été à la fois écrivain et artiste. Cette étude semble avoir été une thèse revue et corrigée pour une publication ne s'adressant pas exclusivement au monde universitaire. Il faut reconnaître que Peggy Archer a très bien su analyser la démarche de ce personnage hors normes, depuis les temps lointains désormais du groupe nordique Cobra (de 1948 à 1951). En ne séparant pas l'oeuvre littéraire et l'oeuvre graphique, l'auteur peut en effet montrer les convergences et aussi les réflexions que Dotremont a pu faire au cours de son histoire personnelle. Après avoir longtemps été le petit Poucet de Cobra, il se révèle l'un de ses éléments les plus intéressants à cause de ce passage incessant de l'écriture à la peinture (bien qu'il n'ait jamais vraiment été peintre, du moins dans le sens qu'on donne à ce terme en Occident). En réalité, il n'y a pas de frontière pour lui entre sa prose, sa poésie, ses écrits théoriques et ses logogrammes, qui sont une écriture à la plume, totalement réinventée et donc purement visuelle. Qu'on ne croie pas que Dotremont ait suivi une voix comparable à celle de son compatriote Henri Michaux. Profondément influencé par le surréalisme, il arrive à Paris en pleine Occupation en 1941 et rencontre Paul Eluard ! En fait, il abandonne le mouvement en 1947 après avoir fondé en Belgique l'éphémère revue Les Deux soeurs. Il crée le mouvement surréaliste révolutionnaire, qui ne dure qu'un an et ne réunit que quelques amis belges et français. La revue qui l'accompagne, Le surréalisme révolutionnaire, tout comme le Bulletin international du surréalisme révolutionnaire, n'aura qu'une existence brève. C'est un peu plus tard, avec Asger Jorn, en s'inspirant des cadavres exquis, qu'il exécute ses premières « peintures-mots » et les « dessins-mots spontanés ». C'est son véritable point de départ. Et cela le conduit par la suite à ses logogrammes. Le plus excitant dans cette étude, c'est le développement de la pensée de Dotremont qui est examinée avec beaucoup de sérieux et de lucidité, Ce langage des signes reste pour nous l'une des plus belles inventions de Cobra et, comme son auteur l'a lui-même souligné, sans doute sa manifestation exemplaire. Avec ce livre, cette aventure est documentée et restituée avec clarté et lucidité, donc avec intelligence.




Des délits et des peines, Cesare Beccaria, préface de Xavier Tabet, traduit de l'italien par Alexandre Fontana et X. Tabet, « Bibliothèque de philosophie », Gallimard, 238 p., 25 euro.

On ignore souvent en France qu'il y a eu une philosophie des Lumières en Italie. Pourtant la revue Il caffè (1764-1766) a eu une importance primordiale dans la vie culturelle de l'Europe de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Cesare Beccaria (1738-1794), avec Petro Verri et Alessandro Verri, est l'un des protagonistes de cette pensée née de l'autre côté des Alpes. Voltaire en a fait d'ailleurs part dans une lettre qu'il a adressée au prince de Ligne : « L'Italie mérite d'être vue par un prince qui pense comme vous. On y allait, il y a vingt ans, pour voir des statues antiques et pour y entendre de la nouvelle musique, on peut y aller aujourd'hui pour y voir des hommes qui pensent et qui foulent aux pieds la superstition et le fanatisme. » Avec Dei delitti e delle pene, Beccaria a écrit le « manifeste des Lumières lombardes ». Dans son excellente préface, Xavier Tabet en explique non seulement la genèse, mais aussi la modernité. Beccaria est partisan de l'abolition de la peine de mort, sauf dans deux cas (par exemple, un danger supérieur pour la Nation). Il propose une modification en profondeur du code pénal, qui donne des droits aux accusés et aussi une nouvelle vision de la loi, qui n'est plus l'instrument d'un pouvoir supérieur. En germe, il y a là le code Napoléon et tant d'autres transformations législatives futures. Mais déjà à son époque, l'oeuvre de Baccaria a eu une influence et a entrainé des réformes, par exemple dans le Grand Duché de Toscane. En France, ses réflexions juridiques ont été largement discutées après la publication de son livre et souvent approuvées. Sans doute que Beccaria n'est pas allé aussi loin que ne va le faire la Révolution française. Mais il asservi de référence quand il a été question d'abolir la peine de mort à l'Assemblée constituante. Cet homme sage, mesuré, clairvoyant, qui prolonge d'une certaine façon les opinions avancées par Montesquieu, a eu des lacunes, en ce qui concerne en particulier la figure de l'accusé. Cela est vrai. Mais, pour l'essentiel, il a ouvert en grand les portes de la Loi et demeure encore de nos jours une référence de poids. Lire ce livre, ce n'est pas uniquement prendre connaissance d'un grand moment de l'histoire juridique. C'est prendre conscience de l'origine de notre législation et de notre histoire.




OEuvres complètes, Louis-René des Forêts, « Quarto » Gallimard, 1344 p., 28 euro.

De ce grand écrivain, disparu en l'an 2000, bien des légendes ont couru. D'aucuns en ont fait le paradigme de l'écrivain rare, secret, presque un reclus confiné dans son univers soin de tous. La vérité est tout autre. Il a été lecteur chez Gallimard, a été l'ami de Georges Bataille, de Pierre Klossowski, de Dionys Mascolo, de Maurice Blanchot et de Michel Gallimard, pour ne citer que ceux-là. Il participé à de nombreuses revues et a été l'un des fondateurs de L'Ephémère. Il a été résistant et a été l'un des signataires du « Manifeste des 121 » pendant la guerre d'Algérie. Il a été reconnu par les esprits éclairés de son temps comme Maurice Nadeau. En somme, cette légende est une pure invention. Son oeuvre n'est pas aussi mince qu'on a pu le dire, comme le prouve ce gros volume de son oeuvre complet. Il est vrai qu'il a écrit peu de romans et de nouvelles, mais ces livres sont tous de grandes créations, depuis les Coupables de 1938, que l'on découvre dans son volume, jusqu'à Ostinato, qui a paru en 1997, qui est une merveille. J'ai découvert le Bavard dans la collection 10/18 (il y avait été réédité en 1963. Ce n'est que bien plus tard que j'ai pu lire la Chambre des enfants et les Mendiants. Bien qu'il ait reçu de grands prix, il n'a jamais fait partie des auteurs célébrés et adulés. Et puis il y a connu de longues périodes où il n'a rien écrit, c'est vrai. Mais chacune des ses créations est remarquable et ne ressemble à rien de ce qui a pu se faire alors. C'est plutôt l'indifférence d'une partie du public français qui est à l'origine de ce mystère, qui n'en ai pas un. Pour moi, si j'adore Ostinato et admire les autres proses, c'est le Bavard qui demeure mon titre préféré.
Ecrit entre 1944 et 1946, il a voulu en faire un « roman ontologique » et musical. Un des buts auxquels il vise - si tant est qu'il vise à un but précis - « serait de pouvoir exprimer, par une concentration de plus en plus grande des éléments rythmiques, la pulsation intérieure, la scansion de l'être ». Il y a fort à parier qu'il s'est inspiré de La Bruyère et ses caractères quand il a eu cette « illumination » (celle de parler de l'envie de parler - et, sous-entendu, celle d'écrire) : « Je parlerai de mon envie de parler ». Il est évident qu'Edouard Dujardin, l'auteur des Lauriers sont coupés, et que James Joyce, qu'il a connu dans la librairie d'Adrienne Monnier, ont joué un rôle dans la composition de ces pages et qu'il s'est amusé à de nombreux pastiches d'auteurs anciens et modernes (de Kleist à Breton, en passant par Faulkner) pour montrer, dans ce monologue intérieur, que nos pensées les plus intimes sont forgées par d'innombrables emprunts (ou puys larcins). En somme, il a mis en scène ce qui peut être cette curieuse façon de dire « je » tout en étant « nous », ce qui fait de lui, dans ce texte, un « ventriloque de l'intime contrarié ». Je découvre, comme j'ai la mémoire courte, ses dessins à la plume, qui sont de curieuses représentations en grande partie oniriques, qui avaient été présentées par Daniel Abadie en 1978 au Centre Pompidou (« Atelier aujourd'hui »). Mais, contrairement à Klossowski, ses dessins n'ont pas séduit les amateurs. Dommage, car c'était l'amorce d'une belle invention plastique, qu'il n'a pas pu ou voulu développer. De toute évidence, lui qui avait été attiré par le surréalisme (sans y adhérer tout à fait) montre qu'il était capable de décrire des scènes qui étaient autant de fables drolatiques.




Etre Juif, suivi d'une Lettre à Maurice Blanchot, préface de Danielle Cohen-Levinas, « Petite Bibliothèque », Rivages poche, 80 p., 5 euro.

Ce court texte a paru dans la revue Confluences en 1947. Il fait partie, comme le montre l'auteur de la préface, d'un petit ensemble de texte qu'Emmanuel Levinas (1906-1995) a pu produire sur la question juive. Selon lui, se poser la question de la judéité, c'est mener une enquête ontologique exaspérée. En fait, elle réside surtout dans la contradiction issue de l'absorption de l'héritage du judaïsme par le christianisme. Ce serait «l'essence dialectique du monde ». Levinas revient sur ce que Sartre a pu écrire à ce sujet et sur sa notion d' «existence nue » du Juif. « L'existence juive est donc l'accomplissement de la condition humaine en tant que fait, personnalité et liberté. » Et la lettre de réponse à Blanchot sur la naissance de l'Etat d'Israël est lus un questionnement qu'une réponse. Levinas n'a pas chercher des justification ou donner des explication. Tout est problématique -, comme l'enseignement du Talmud !




La Douceur du miel, Silvia Baron Supervielle, Gallimard, 206 p., 18,50 euro.

C'est sans doute le plus beau roman français de ce semestre. A partir d'une histoire qui mêle les élans amoureux, leur force et leur échec aussi, et les noeuds familiaux qui se défont (en somme, une trame sans rien de particulier), Silvia Baron Supervielle a été en mesure de construire une fiction qui possède à la fois une beauté indéniable et une certaine grandeur. Les liens qui unissent les personnages de ce drame (la séparation des protagonistes, Stella et Loïc Le Guen, le départ de ce dernier pour l'Espagne où il a l'intention de retrouver ses racines, son suicide à la fin quand il apprend qu'il est père d'une fille, la figure mystérieuse et fascinante de Cécile d'Orlhéac...) sont dépeints avec une telle finesse qu'ils s'avèrent d'une grande richesse. Ce n'est pas exclusivement une question de style, quelle qu'en soit sa beauté dans le cas présent. C'est une question de mise en scène de l'histoire, qui est narrée avec raffinement et subtilité. La complexité des figures, la révélation progressive des secrets qui affleurent à la surface du récit à mesure que nous progressons, la beauté qui est distillée de manière insidieuse à travers des détails, en somme tout cela contribue à faire de ce livre un objet rare. Silvia Baron Supervielle est une magicienne, qui possède la maitrise d'une écriture tout en finesse et qui fait qu'une fois qu'on est entré dans cette intrigue, on n'en ressort qu'à sa conclusion.




La Dame à la camionnette, Alan Bennett, traduit de l'anglais par Pierre Ménard, Folio, 112 p., 5,80 euro.

Ce petit récit d'Alan Bennett est touchant. Il relate la vie d'une vieille dame qui a vécu ses dernières décennies devant la maison du narrateur, dans un petit véhicule qui était devenu sa maison. Il nous fait un portrait de cette dame âgée avec beaucoup de sensibilité en trahissant son émotion devant cette étrange situation. Par moments, les événements sont cocasses, à d'autres plutôt tristes. Cette cohabitation a créé un lien curieux entre les deux êtres. Et puis, au fil du temps, alors que Londres ne cesse de se transformer, surtout du point de vue social, l'histoire de Miss Sherperd devient emblématique de celle du quartier qui change d'habitants et de niveau de vie. Londres est sans doute la capitale en Occident où ces transformations sont les plus rapides et les plus déroutantes, car un quartier peut devenir de bon ton et puis redevenir médiocre. Que l'auteur ait choisit les années 70 et 80 n'est pas indifférent , car c'est le moment où l'Angleterre voit disparaître les grèves interminables, les syndicats omnipuissants, les gouvernements travaillistes et une chute économique inéluctable avec l'arrivée des conservateurs au pouvoir et le gouvernement de Mrs Thatcher, qui a commencé par mettre à la rue plus de deux millions de personnes avant d'effectuer le redressement économique et donc social accompagné de tous les excès du libéralisme à outrance. Cette petite dame incarne ce moment clef de l'histoire récente de la Grande-Bretagne. C'est un ouvrage plaisant pour des journées ensoleillées.




Les Enfants de Longbridge, Jonathan Coe, traduit de l'anglais par Serge Chauvin, Folio, 928 p., 15,50 euro.
Expo 58, Jonathan Coe, traduit de l'anglais par José Kamour, Folio, 368 p., 8,00 euro.
9e et 13e, Désaccords imparfaits, Jonathan Coe, traduit de l'anglais par Jose Kamour, Folio bilingue, 176 p., 8,00 euro.


Jonathan Coe est considéré comme l'un des plus grands auteurs britanniques de notre temps. Je ne sais trop si cette assertion est vraie. Le talent ne lui manque pas, c'est indéniable. Mais il a cette tendance, propre à la littérature d'outre-Manche d'aujourd'hui, de se replier sur des considérations d'abord sociologiques. Son univers est celui du dernier tiers du XXe siècle, et son intention est de représenter l'Angleterre qui se métamorphose après une longue après guerre ponctuée par les luttes sociales et les difficultés de toutes sortes. Comme Balzac, Coe avait imaginé un plan colossal pour son entreprise romanesque majeure, les Enfants de Longbridge, diptyque écrit entre 2001 et 2004. Dans une préface récente, il s'en explique et croit qu'il s'abstiendra de la poursuivre comme il l'avait prévue. L'oeuvre n'en est pas moins importante, puisque les deux livres qui la composent, Bienvenue au Club et le Cercle fermé se rapprochent des 1000 pages. C'est l'histoire d'une génération de jeunes gens (un peu la sienne-il est né en 1961) pendant les années 70. Le second volet fait abstraction de deux décennies et se rapproche de notre époque. Ces collégiens servent de révélateurs à la nouvelle phase de la politique anglaise qui a entraîné avec Margareth Thatcher d'abord, et ensuite avec Tony Blair, un changement radical de la société britannique. Le second volet est celui où il dépeint un monde prospère qui est parvenu, en partie, à corriger les excès du libéralisme. En toile de fond, il y a les problèmes qui agitent le monde : la fin de la guerre froide, dans le premier, la guerre en Irak et le conflit en Afghânistân. Bienvenue au club est de loin l'ouvrage le plus intéressant, car l'auteur utilise toutes sortes de formes et de techniques pour construire sa fiction : jeu typographique, qui va de la justification en drapeau jusqu'au changement de caractères, utilisation de l'entretien, relation épistolaire, etc. Mais il n'en reste pas moins qu'il demeure un réaliste convaincu et que sa prose est ancrée dans le XIXe siècle !Il a sans doute songé aux Young Angry Men, qui avaient alors voulu changer le cours de l'art romanesque anglais. C'est très bien bâti, mais l'excès de détails et la prédominance de la vision sociale sur l'évolution intime de ses personnages demeurent un véritable écueil. Cette saga impressionnante est destinée à vieillir. D'ici la prochaine génération, ce sera une antiquité grecque !
Expo 58 nous fait retourner à Bruxelles à l'époque de l'Exposition universelle. Le héros de ce roman, Thomas Foley, qui est un fonctionnaire au ministère de l'Information britannique, se voit confier une mission. Celle-ci, sous la plume de l'auteur, se change en un récit picaresque et souvent drôle des menées de ce personnage qui doit affronter une situation nouvelle. C'est un divertissement plaisant. Mais ce n'est pas un grand ouvrage. Disons que l'auteur, qui l'a publié en 2013, a épuisé sa veine. Et ce qu'il traque dans la réalité d'une époque, si proche et si lointaine à la fois, ne va pas au delà du documentaire. Toutefois, on prendra plaisir à le lire pendant cette période estivale comme un bon passe-temps.
Enfin, comme auteur de nouvelles, Jonathan Coe, ne donne pas toute sa mesure. C'est assez banal et, du coup, ses penchants au naturalisme sans grande portée se révèlent avec une évidence gênante. Il a écrit en fait peu de nouvelles, car il n'a écrit que quatre « petites proses » en quinze ans. Excellent pour qui souhaite améliorer sa pratique de l'anglais.




Ceux du Nord-Ouest, Zadie Smith, traduit de l'anglais par Emmanuelle & Philippe Aronson, Folio, 496 p., 8 euro.

Décidemment, je n'aime pas la nouvelle littérature britannique. Quel que soit l'auteur, à de minuscules différences près, on a l'impression de llire le même genre de livre ! Nous voici donc à Londres, aujourd'hui, dans un quartier qui est caractéristique de la nouvelle donne sociale et humaine de la capitale. Tous les personnages que l'on voit évoluer sont des paradigmes de cette situation, les uns sombrant dans la marginalité, les autres parvenant à s'en sortir. Une fois de plus, nous voilà dans une version contemporaine de Zola, avec des personnages qui servent à faire une démonstration. Je ne dirai pas que Zadie Smith soit un mauvais écrivain, loin s'en faut. Mais je constate que l'auteur de Ceux du Nord-Ouest est entré dans un moule, qui paraît avoir le dessus avec Jonathan Coe et bien d'autres. Et qu'on puisse la comparer à Virginia Woolf me semble franchement risible ! Nous sommes bien loin de l'écriture d'Orlando ! Dommage, car l'auteur est doué et maîtrise la trame à merveille. Mais cela ne fait pas un roman désirable…




Sibir, Danièle Sallenave, Folio, 368 p., 7,50 euro.

Danielle Sallenave a effectué en 2010 un voyage exceptionnel : la traversée de la Sibérie, à laquelle elle donne son nom russe, « Sibir » en prenant le mythique transsibérien. Elle est allée ainsi jusqu'à Vladivostok. Chaque étape est pour elle l'occasion d'une méditation sur l'histoire de ce pays immense, sur son destin, aussi sur son appartenance à l'Europe, qui semble avoir été le sens premier de sa démarche, le voyage étant sa confirmation. Je ne sais d'où vient ce fantasme. La Russie est tout autre qu'européenne (elle n'est pas orientale non plus d'ailleurs). C'est à mes yeux une erreur grave, très grave. C'est prendre à la lettre le rêve de Pierre le Grand. Mais c'est oublier Dostoïevski ! De plus, aujourd'hui, la Russie a renoué avec ses vieux démons et n'a pas été capable de devenir une démocratie. Cela étant dit, il n'en reste pas moins que ce livre est très intéressant. Et que l'auteur a su donner une densité et une profondeur à son récit à chacune de ses étapes. C'est un excellent exemple d'excellent livre de voyage moderne. La découverte s'allie à la réflexion. Le voyage prend ici toute sa dimension puisque les villes traversées révèlent un pan du passé de la Russie et aussi de son présent.




Béton armé, Philippe Rahmy, Folio, 192 p., 7,00 euro.

C'est un très beau récit de voyage. L'auteur, qui souffre de la terrible maladie des os en verre, est parvenu à faire le voyage dont il rêvait : se rendre en Chine. Il visite Shangai. Cette ville le fascine, mais aussi lui montre les aspects négatifs de la modernisation en Chine. Cette découverte de la ville qui a été, entre les deux guerres, un port international, un rendez-vous cosmopolite et aussi la représentation des tensions entre ce pays encore instable et les puissances occidentales, d'une part, et le Japon impérial, de l'autre. Ce que veut surtout comprendre l'auteur, c'est la dynamique profonde des transformations en acte de cette grande ville dans ses moindres détails, de la vie quotidienne aux loisirs, au sport, à la cuisine, au galeries marchandes ultramodernes, à la publicité pléthorique avec son écriture et ses images infinies Philippe Rahmy a un regard pénétrant et sait dénicher la scène révélatrice, l'anecdote qui en dit long, Il s'agit sans aucun doute de l'un des meilleurs livres de ce genre que j'ai eu la possibilité de lire ces derniers temps. On peut très bien de nos jours écrire des ouvrages aussi riches et imprégnés de la culture du lieu que ceux de Théophile Gautier, de Gérard de Nerval ou d'Alexandre Dumas. Béton armé est une oeuvre lucide et sans a priori, qui offre à notre curiosité les facettes multiples et contradictoires de la Chine du XXIe siècle, qui a inventé le communiste libéral, une dictature pure et dure qui s'est emparé de tous les attributs des grands pays industrialisés de l'Occident. Avec son propre style.




Paix, Richard Bausch, traduit de l'anglais (Etats-Unis), Folio, 208 p., 7 euro.

Ce roman semble être un véritable document de la dernière guerre mondiale. L'auteur raconte la vie de soldats américains faisant une patrouille dans les Apennins après le débarquement d'Anzio. Tous ces jeunes Américains affrontent une épreuve à laquelle ils n'étaient pas préparés. Comme c'est une reconstruction, l'auteur étant né en 1945, c'est très bien fait. On se croirait dans un film. Mais la limite de ce livre est de faire passer une fiction pour un journal de guerre de l'année 1943, quand les troupes alliées n'ont pas profité de l'effet de surprise du débarquement et demeurent bloquées au-dessous de Naples. La campagne d'Italie a été une accumulation d'erreurs mais aussi de choix stratégiques qui ont divisé Anglais et Américains. En tout cas, ces pages se lisent avec intérêt, avec ce doute qui vient bien entendu du fait que l'écrivain a tout imaginé.
Gérard-Georges Lemaire
25-06-2015
 
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Verso n°136

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