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[verso-hebdo]
23-03-2017
La lettre hebdomadaire
de Jean-Luc Chalumeau
Pissarro, le peintre à la « colossale humilité »
La passionnante exposition du musée Marmottan-Monet (jusqu'au 2 juillet) sur Camille Pissarro est sous-titrée « le premier des impressionnistes ». Certains esprits pointilleux contesteront peut-être cette affirmation, quand bien même elle est de Cézanne, mais elle est au moins vraie du point de vue chronologique : Pissarro avait une dizaine d'années de plus que Monet et Cézanne, vingt-neuf ans de plus que Georges Seurat et trente-trois ans de plus que Signac. L'exposition, en permettant l'accrochage simultané de chefs d'oeuvre venus de Zurich, Pittsburgh, Mexico, Boston ou Glasgow, nous invite à reconstituer les étapes de l'odyssée plastique de Pissarro, toutes marquées par la bienveillance et même la bonté de l'artiste vis-à-vis de ses frères les peintres. On peut résumer ce parcours en cinq tableaux. Premier tableau : La route de Versailles, Louveciennes, neige (1870, Zurich) fait irrésistiblement penser à Boulevard Saint-Denis, Argenteuil en hiver, tableau peint par Monet quelque temps plus tard. Les effets de neige, thème devenu caractéristique chez Monet, lui ont bien été inspirés par Pissarro, mais ce n'est pas tout : les années passent, Monet s'envole et invente le principe des séries qu'il inaugure avec les cathédrales de Rouen (1892-1894). Pissarro est séduit et, à sa manière, représente à plusieurs reprises Le Pont Boeildieu ou Le quai de la Bourse, à Rouen également, en 1894-1896 (tableaux 2 et 3), avant d'exploiter ce type de réflexion sur l'évolution de la lumière dans un même paysage urbain avec ses célèbres vues du Pont-Neuf ou de la place du Théâtre français à Paris. Le maître a eu la modestie de se laisser influencer par son ancien disciple.

Quatrième tableau : l'admirable Place du Vieux-Cimetière, Pontoise (1872, Carnegie Museum of Art, Pittsburgh), lumineux paysage impressionniste s'il en est. Or, en 1872, Pissarro est installé à l'hôtel du Grand Cerf à Saint-Ouen-l'Aumône en compagnie de Cézanne, il emmène ce dernier peindre sur le motif, particulièrement à Pontoise qui est de l'autre côté du fleuve, et la mutation se produit. Cézanne sort de sa période sombre, abandonne le noir, et s'ouvre à la lumière grâce à Pissarro qu'il a véritablement choisi comme père spirituel. Sa période impressionniste commence avec notamment La maison du pendu à Auvers-sur-Oise, 1873.

Cinquième tableau : La cueillette des pommes (1886, Kurashiki, Ohara Museum of Art). Pissarro est devenu le responsable de l'exposition impressionniste. Il désire renouveler sa peinture, et découvre que le travail des jeunes Georges Seurat et Paul Signac apparaît comme une radicalisation de ses propres recherches. Il impose donc à ses camarades la présentation d'Un après-midi à l'île de la Grande-Jatte à l'exposition de 1886. Lui-même, avec La cueillette des pommes, inaugure le néo-impressionnisme (qu'il abandonnera plus tard par suite de l'hostilité de son marchand, Durand-Ruel). Tel était Camille Pissarro : grand peintre prêt à soutenir les autres et assez modeste pour se laisser inspirer par de plus jeunes que lui. A propos de Cézanne, Lawrence Gowing note que c'est en 1872 que le peintre se réconcilia avec la vie. L'aixois le devait certes à Hortense qui venait de lui donner un fils, mais surtout à « la colossale humilité de Pissarro ». On ne saurait mieux dire.

www.marmottan.fr
J.-L. C.
verso.sarl@wanadoo.fr
23-03-2017
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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