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[verso-hebdo]
04-02-2016
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

« Je vous dirai, cher ami... », Lettres de Madame de Rémusat à son mari (1804-1813), préfacé par Hannelore Demmer, « Le temps retrouvé », Mercure de France, 368 p., 21,50 euro.

Claire-Elisabeth Gravier de Vergentes (1780-1821) a sans toute été une femme bien éloignée des grandes dames de l'art épistolaire, à commencer par madame de Sévigné. Issue d'une famille de magistrats et d'hommes d'Etat (son grand-oncle a été ministre de Louis XVI, son grand-père était et son père - ces deux derniers ont été guillotinés sous la Terreur), elle connaît une jeunesse tourmentée pendant la Révolution. Elle se retrouve caché chez le compte Antoine de Rémusat qui l'épouse peu après cet épisode. Elle a eu de lui deux fils. Son amitié avec Joséphine de Beauharnais lui a permis d'être nommée dame du palais et son époux devient d'abord grand chambellan, puis grand-maître de la garde-robe et enfin surintendant des théâtres impériaux. C'était une femme d'esprit, mais qui avait dans sa physionomie et dans son caractère quelque chose de sévère et de réservé. Elle a beaucoup écrit et son oeuvre n'a été révélée qu'après son décès. Elle comprend ses Mémoires, ses Lettres, et surtout son Essai sur l'éducation des femmes, où elle s'oppose résolument à Jean-Jacques Rousseau, qu'elle admirait néanmoins. Elle insistait sur le fait que les femmes étaient douées de raison autant que les hommes. Sans être d'une grande beauté, elle avait néanmoins un certain charme et sa conversation plaisait ; Sainte-Beuve a fait d'elle ce portrait en 1820 : « Sa physionomie même et la forme de ses traits exprimaient, accusaient un peu fortement peut-être ce sérieux intérieur dans les goûts qu'il ne faudrait pourtant pas exagérer, et qui ne sortait pas des limites de son âge. Sa figure régulière s'animait surtout par l'expression de très beaux yeux noirs; le reste, sans frapper d'abord, gagnait plutôt à être remarqué, et toute la personne paraissait mieux à mesure qu'on la regardait davantage. Elle devait observer dès lors cette simplicité de mise à laquelle elle revint toujours dès qu'elle le put, et qui n'était jamais moins qu'une négligence décente. Je ne sais si, comme plus tard, ses cheveux volontiers ramenés voilaient le front, qui aurait eu son éclat.[...]) On prendrait une heureuse idée de sa personne à ce moment dans un très fin portrait de Clary, tracé par une main, j'allais dire une griffe, bien connue, non en telle matière pourtant, et peu coutumière d'écrire. Sa physionomie avait, comme son esprit, l'agrément durable; des lèvres, des dents belles, et la vivacité des yeux, éclairaient le visage à proportion qu'on causait. Sa taille était restée jeune. Elle avait trente-deux ans, et en paraissait vingt-huit. [... Mme de Rémusat était donc, vers 1820, dans la maturité de son esprit, dans le développement de ses opinions probablement définitives, mais pourtant actives, devenue très simple de manières, gaie même, nous dit-on, et d'une grande aisance d'esprit et de conversation, aimant la jeunesse et le nouveau, un peu railleuse, pieuse ou plutôt chrétienne, sans grande ferveur apparente, mais décidée et appuyée sur des points précis. Quoique vieillie avant le temps, sa santé semblait un peu meilleure, ou du moins lui laissait plus de liberté d'action. Elle avait pris le goût de la vie intérieure et domestique, tout entière adonnée au bonheur des siens, quand elle leur fut enlevée bien prématurément en décembre 1821. » Ses lettres sont écrites avec beaucoup de finesse et de style, sans aucune pesanteur. Elle raconte à son époux ce qui se passe à la cour et qui elle y rencontre ; elle nous fournit ainsi une précieuse documentation sur la vie politique, sociale et culture de cette époque sans jamais s'égarer dans les histoires privées des personnages qu'elle dépeint - elle est bien loin de Saint-Simon et de la plupart de ceux et de celles qui l'ont précédée. Ces pages, particulièrement plaisantes à lire, constituent donc une vision précieuse du centre du pouvoir sous l'Empire.




Pensées, Joseph Joubert, préface de Thierry Clermont, Rivages poche, 464 p., 10 euro.

A nos yeux, Joseph Joubert (1754-1824) n'existe que par ses célèbres Pensées. S'il n'a rien publié de son vivant, son oeuvre posthume comprend de nombreux essais et toute sa copieuse correspondance. Cet homme est surprenant, surtout lorsqu'on se rappelle qu'il a été le secrétaire de Denis Diderot, une relation de restif de la Bretonne et donc un enfant des Lumières, mais aussi un ami intime de Chateaubriand, qui l'a admiré. C'est d'ailleurs l'auteur du Génie du christianisme qui s'emploie en 1838 à établir une édition classée par thèmes. Le premier est la religion, cela tombe sous le sens étant donné la personnalité de l'auteur de cette édition. Il nous faut reconnaître que sa décision d'avoir la foi en l'Eglise apostolique et romaine, Joubert se révèle le moins dogmatique possible. Il ne fait pas le pari de Pascal, mais énonce un certain nombre de vérités solides comme, par exemple, que Dieu est son propre reflet. Rien de dogmatique, et rien qui ne puisse conduire à des comportements intolérants. Il considère la religion comme une sorte de patrie et non comme la source de lois infrangibles. En somme, il la voit comme un guide en vue d'un comportement juste et moral. IL met de côté tout ce qui pourrait la rendre impitoyable pour ceux qui la réfutent. Sa critique du jansénisme (qui est un sujet curieux à l'époque où il écrit) se double d'une critique des jésuites : il renvoie dos à dos ces anciens adversaires qui se sont déchirés au XVIIe siècle avant d'être interdits : il cherche dans la religion ce qui est clair, utile, raisonnable et qui peut aider l'être humain dans son existence terrestre. En sous main, il critique le protestantisme sans le citer (il n'accepte pas le pauci eletci de Calvin) et qui est aussi sous-jacent au jansénisme. Dans ces pages, il tente de faire admettre la justesse d'une sagesse bien tempérée et d'un amour de l'art ; c'est une espèce d'épicurien au sens propre du terme qui a une haute idée de la vertu et de ce qui appartient au divin. Le portrait qu'il brosse de Voltaire est d'une incroyable justesse : il sait discerner toutes les contradictions et toutes les ambiguïtés de cet homme ; il sait discerner ses failles et ses nombreux défauts, et aussi mettre en reliefs ses qualités. Il a pu faire à peu près de même en ce qui concerne Jean-Jacques Rousseau. Dans ces portraits, fragmentaires par définition, il montre un immense talent à comprendre ces hommes d'exception et à peser le bien et le mal dans leur façon de raisonner. C'est absolument remarquable. En conclusion, n'étant pas un collectionneur d'aphorismes, mais un homme dont la pensée se présente par segments, cette édition nous aide beaucoup à comprendre sa posture et comment il interprète le monde et ses principaux interprètes ! Dommage que la préface n'ait pas été plus développée pour nous faire découvrir l'homme qui se cache derrière ces mots...




Pourquoi je lis Rigodon de Louis-Ferdinand Céline, Alain Jugnon, Les Feux follets, 88 p., 7,50 euro.

L'idée qui a présidé à cette collection est excellente : les auteurs peuvent parler en toutes liberté, sans adopter les codes de la littérature universitaire ni même ceux de l'essai classique d'une oeuvre qu'ils aiment et qu'ils désirent faire connaître au lecteur. Dans le cas présent, la prose consacrée à l'oeuvre de Céline est déjà pléthorique. Mais Alain Jugnon a su présenter son point de vue d'une manière originale. Nous lui ferons grâce des considérations sur Nietzsche et sur Heidegger par lequel commence son essai. Mais, en revanche, son rapprochement avec Marcel Proust et sur sa conscience de la mort qui se rapprochait de lui est extrêmement judicieuse même si les deux écrivains ont, a priori, assez peu à partager (sinon l'obsession du style -, d'un style qui serait une invention artistique). Jugnon nous présente un Céline qui vient de traverser la guerre, qui est parvenu à s'enfuir au Danemark et puis, après une période d'emprisonnement, à rentrer en France et à s'installer à Meudon. Rigodon est son dernier livre, qui paraît seulement huit ans après sa mort, en 1969. Le titre, qui s'inspire d'une danse folklorique du Dauphiné, qui s'est ensuite diffusée en France dans la meilleure société, a déjà été employé dans plusieurs de ses livres. Il lui plaît, et il suggère quelque chose de drôle et d'un peu grotesque (il faut aussi se rappeler combien il aimait la danse et les danseuses !). Jugnon y voit une sorte de « poème anti-métaphysique », et je ne lui donnerai pas tort. Il est hanté, et cela va de soi, par des visions apocalyptiques du destin de l'Europe, commençant par évoquer l'extinction de la race blanche et finissant en imaginant les Chinois campant en Silésie. En vérité, il n'est jamais sorti de la perspective de la guerre et c'est encore la guerre et ses conséquences qu'il relate dans ce roman. Jugnon souligne d'ailleurs que pour Céline tout était bouché en 1945. Et cela le reste au terme de son existence. Ce qui est passionnant dans cette étude, c'est la comparaison avec des pages des Journaux de Franz Kafka. IL ne veut pas associer ces deux auteurs, si différents à tout point de vue, mais montrer qu'au fil de leur pensée, ils sont parvenus à avoir des points de convergence sur des questions prégnantes. Bien entendu, il est impossible d'épouser le point de vue de l'auteur ; c'est une expérience de lecture idiosyncrasique qu'il veut nous communiquer - elle ne se partage pas. Mais elle permet de méditer sur ce que cet écrivain hors norme a entrepris de faire avec un esprit pessimiste indéniable, mais sans jamais aller jusqu'au nihilisme. C'est le paradoxe de Céline : son rigodon n'est pas tout à fait une danse de mort.




Pourquoi je lis Bartleby de Herman Melville, Frank Smith, Les Feux follets, 72 p., 7, 50 euro.

La nouvelle choisie par l'auteur, qui a paru en deux fois en deux fois en 1853 dans le Putnam's Monthly, est sans doute l'une des plus intrigantes écrites par Melville. Ce que je reprocherai à Melville est de ne pas donner au lecteur une idée du récit pour qu'on puisse suivre son raisonnement. En sorte que s'installe une difficulté à comprendre où le conduit sa pensée. Si l'on ne connaît pas le texte sur le bout des ongles, nous voilà bien embarrassé ! D'autant plus que Frank Smith s'exprime avec la plus grande liberté d'écriture, en faisant fi des règles de l'essai traditionnel -, ce qui n'est pas une mauvaise chose en soi, mais qui est la cause d'une relation délicate avec ses propos. Je le répète, l'idée de cette collection est vraiment excellente, mais encore faudrait-il que nous puissions aborder la lecture du texte élu avec quelques instruments indispensables. Sans doute, ces textes ne s'adressent-ils pas à un public tout à fait ignare, mais il faut tout de même songer que le lecteur, même le plus cultivé, n'a pas nécessairement la nouvelle du grand auteur américain sous la main (ce qui est mon cas !). De surcroît, ma multiplication des références d'ordre philosophique ne contribue pas à rendre la chose plus aisée. Je pense donc que ces petits livres devraient être conçus avec le minimum de présentation de l'ouvrage traité. Après quoi, l'auteur peut nous entrainer dans son sillage à sa guise !




Il déficit estetico nell'arte contemporanea, Giancarlo Pagliasso, Marcovalerio, 230 p., 18 euro.

A nos lecteurs qui lisent l'italien, je ne saurait trop recommander la lecture du dernier essai du Piémontais Giancarlo Pagliasso, Il déficit nell'arte contemporanea. Il s'agit d'une suite d'articles sur des expositions que l'auteur a pu voir aussi bien à la Biennale de Venise qu'au New Museum de New York, dans des galeries en Italie ou à la Foire de Bâle. C'est un voyage qu'il nous propose et au gré de ses déplacement dans son pays, en Europe ou aux Etats-Unis. Chaque fois qu'il rend compte d'un événement, il décrit avec soin les oeuvres présentées et nous offre un commentaire qui forme avec les précédents et les suivants une chaine méditative sur l'état de l'art à notre époque. La forme est amusante, et permet de se rendre compte de l'immense et déconcertante diversité de ce que recouvre aujourd'hui le terme « art ». La bizarrerie de cette circumnavigation est qu'elle nous présentes des artistes célèbres comme Gerhart Richter par exemple, et une multitude d'artistes dont nous ignorions jusqu'à l'existence (peut-être sont-ils connus sous d'autres cieux, ou dans les salles de vente, ou dans un circuit que nous ne connaissons pas). Quoi qu'il en soit, la démarche de Giancarlo Pagliasso a le mérite de faire comprendre comment toutes ces propositions cohabitent dans une lente corrosion de l'idée d'esthétique moderne (au-delà du postmodernisme selon lui, mais là encore faut-il se demande ce que recouvre le terme postmoderne). Sans doute nous ne partagerons pas ses conclusions sur les artistes qu'il a choisi de commenter, ni même ses conclusions sur la situations présente, mais il a au moins le mérite de nous livrer une réflexion qui permet de mettre en scène un vrai dialogue sur la valeur réelle ou supposée de ce bric-à-brac de la création ! Il a écrit ce livre avec beaucoup d'esprit, une certaine ironie, sans donc le sérieux papal des critiques encartés, et n'est pas là pour nous donner des leçons sur ce qui est intéressant et sur ce qui ne l'est pas. Il s'interroge, scrute les créations et nous offre ses premières réactions et ses méditations. Nous devons le remercier nous avoir pris dans ses bagages et de nous avoir fait faire ce périple vertigineux car nous en sortons peut-être encore plus déconcerté qu'au départ, mais en ayant vu et compris beaucoup de choses. Il sait à merveille prendre ses distances avec les « oeuvres » les plus improbables et sait aussi sourire devant les plus sottes. Au coeur de cette foire aux vanités où tout un chacun devient un expert d'art contemporain, heureusement qu'il existe des personnes avisées et qui savent observer les événements pour ne pas sombrer dans le délire et la déréliction !
Gérard-Georges Lemaire
04-02-2016
 
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Verso n°136

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