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[verso-hebdo]
08-09-2016
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane solitaire

Gleyre, le romantique repenti, sous la direction de Côme Fabre & Paul Perrin, Hazan / musée d'Orsay, 272 p., 45 euro.

Venu de son canton de Vaud natal, Charles Gleyre (1806-1874) arrive à Paris au début des années 1830. Il a fait en 1834 un grand voyage qui l'a mené de la Sicile à la Grèce et à l'Egypte, puis au Soudan et au Proche-Orient. Ce long périple a joué un rôle déterminant dans l'évolution de son oeuvre, qui permet de le ranger parmi les orientalistes. Il rentre à Paris en 1837. De ce long périple, il a rapporté un grand nombre de papiers et quelques tableaux, mais qui ne montrent pas un engagement dans l'esprit de l'orientalisme en France : il a porté un regard presque ethnologique sur ces cultures ou archéologique, quand il s'agit de l'Egypte - il a peint les ruines de Thèbes en 1837. Il tente l'année suivante d'exécuter des scènes de caractère historique, dérivées de sa connaissance de l'Orient, mais qui ne sont pas tout à fait convaincantes. Ce n'est manifestement pas sa voie. Mais il a pu acquérir une expérience considérable en traitant toutes sortes de sujets. Il expose au Salon pour la première fois en 1843 où il présente Le Soir. Il y obtient un franc succès. Il est remarqué et son tableau est acheté par l'Etat. Après ce coup d'éclat, Gleyre va adopter deux attitudes contradictoires : il se lance dans la peinture d'histoire, dans un esprit classique, qui a une tonalité, pour l'époque, hautement nostalgique. Il aime les sujets antiques et les sujets religieux, dans une facture très soignée et assez rétrograde ; par ailleurs, il fait des paysages qui, eux, ont une tonalité romantique et plus de liberté expressive. Cela fait de lui un artiste académique pour l'essentiel, mais avec une originalité très particulière. En 1847, Jean-Léon Gérôme obtient de bonnes critiques, dont celle de Théophile Gautier, pour son Combat de coqs. Mais son auteur n'est pas seul : autour de lui, plusieurs peintres adhèrent à l 'idée d'un art inspiré par la culture grecque antique, dont Boulanger, Jobbé-Duval, Isambert, entre autres. Gleyre les rejoint, ayant passablement usé de la corde antique. Cette période est marquée par une notoriété croissante. Cette petite « école » permet à ces peintres de donner à plein dans une peinture très classicisante tout en apportant une nouveauté thématique. Il devient membre du jury du Salon (Zola a consacré un article sur son cas). Protégé par son ami Paul Delaroche, il devient professeur aux Beaux-arts et a pour élèves Renoir, Monet, Sisley. Ce qui frappe le plus dans les travaux de Charles Gleyre, c'est son penchant pour des compositions de nature symboliste. Il préfigure le courant artistique qui va éclore à la fin du XIXe siècle. Le Déluge de 1856 en est un exemple remarquable. Le catalogue est remarquable, car c'est aussi une monographie permettant de redécouvrir cet homme qui n'était plus du tout au goût du jour.




Picasso, l'oeuvre ultime, hommage à Jacqueline, sous la direction de Jean-Louis Prat, fondation Gianadda, 276 p.

Quand Pablo Picasso a exposé à Avignon en 1970 avec 137 toiles, les réactions de la critique ont souvent été très négatives. Trois ans avec sa disparition, il devenait soudain un peintre vilipendé alors qu'il a été adulé pendant plus d'un demi siècle, malgré ses audaces et ses insolences. Bien sûr, ses toiles récentes avaient de quoi choquer ses aficionados les plus convaincus : elles laissaient paraître une débilité dans le style une sorte d'infantilisme propre à la sénilité, en somme Picasso ne faisait plus que pasticher maladroitement Picasso. En réalité, il avait imaginé une peinture qui tirait profit du déclin de ses facultés. Aujourd'hui, nous le voyons comme un précurseur. Pas moi. Je le vois comme un artiste solitaire qui est allé jusqu'au bout d'une quête éperdue et qui a osé mettre en scène son âge et une autre vision de la peinture. Oui, ses compositions sont traitées à la diable et les couleurs ont un registre assez réduit. Oui, cela semble une sorte de perte de la maîtrise de la main et de l'esprit, alors que c'est une représentation sans fard de ce qu'il éprouve au crépuscule de son existence. Ce crépuscule dévoile un autre peintre, qui envisage ses thèmes favoris, en particulier le peintre et son modèle, les amants (Le Couple de 1967 est une merveille d'humour et d'auto ironie dans un jeu de gris et de blancs) dans une perspective libérée -, libérée déjà du fait d'être Picasso, déjà momifié. Dans l'exposition, l'hommage à sa femme Jacqueline, avec tous ses portraits, beaucoup de céramiques, des sculptures des gravures, des papiers de tous genres, nous fait remonter le temps jusqu'aux années cinquante, années pleines de paradoxes puisqu'il réalise en 1954 le Portrait de Jacqueline aux jambes repliées, qui est d'inspiration classicisante). Mais déjà il a commencé à faire ses toiles où il a fait apparaître une gaucherie prononcée de son écriture. Cela ne l'a pas empêché de graver en 1968 Autour du Chef-d'oeuvre inconnu ! C'est une exposition passionnante avec un catalogue qui permet de comprendre ce choix qui s'est fait très tôt alors qu'il était encore en pleine possession de ses moyens.




Zao Wou-Ki collectionneur, collectif, Flammarion, 296 p., 49 euro.

Le peintre d'origine chinoise Zao Wou-Ki a quitté ce monde en 2013. Sa carrière, il l'a faite en France, et c'est à la France qu'il a fait don de ses collections, qui sont remarquables. La première donation, qui concerne pour l'essentiel l'art de ses contemporains, est allée au musée de l'Hospice Saint-Roch d'Issoudun. Elle est d'une richesse peu croyable. On y trouve une grande quantités d'encres magnifiques d'Henri Michaux, des Paul Klee très beaux, des Giacometti, des Vieira da Silva, des Wols, des Hans Hartung, des Picasso aussi, beaucoup d'abstraits de sa génération ou de la génération qui l'a précédé, comme Soulages, Manessier, Jean-Paul, Riopelle, John Levee, Willy Baumeister, André Marfaing, Georges Mathieu, Piere Tal-Coat, Joan Mitchell -, il serait fastidieux de tous les citer. Mais le tout constitue un ensemble assez représentatif de l'art de l'après- guerre en Europe. Bien entendu, une partie de ces oeuvres ont été obtenues par des échanges, qui sont monnaie courante parmi les artistes. Mais il n'empêche qu'il a aussi acquis des pièces remarquables. Ce sont vraiment des oeuvres digne d'un musée, et on ne peut que se réjouir d'apprendre qu'elles vont enrichir les collection du musée d'Issoudun qui, jusqu'à présent, s'était surtout concentré sur l'époque des surréalistes. La seconde partie de sa collection, presque exclusivement constituée d'objets chinois, rassemble des vases, des trépieds, des bols, des plats, des coupes de différentes périodes de la longue histoire de l'Empire du Milieu. Ces pièces rares sont elles aussi exceptionnelles. C'est le musée Cernuschi qui les a reçues et elles figureront en bonne place dans cette belle institution dédiée à l'Asie. Chacun des deux musées ont organisé une exposition de ces donations. De plus, elles ont allié leurs efforts pour publier un catalogue commun, qui a été réalisé par les éditions Flammarion avec beaucoup de soin. Ce qu'a laissé pour notre délectation celui qu'on a surnommé « l'homme des deux rives » doit être vu absolument, d'autant plus que les expositions durent jusqu'au 23 octobre au musée Cernuschi et jusqu'au 30 décembre au musée d'Isssoudun.




Les Jean Martin de La Piscine, Snoeck / La Piscine de Roubaix, 304 p., 29 euro.

Je dois l'avoir avec humilité : j'ignorais avant cette exposition jusqu'au nom de Jean Martin (1911-1993). Je l'ai déjà dit dans cette chronique : ce qui fait la singularité et la richesse de La Piscine, c'est de ne pas se contenter de présenter des événements qui ne sont que la célébration d'artistes reconnus. Celle-ci et son beau catalogue nous permet de découvrir l'artiste d'origine lyonnaise Jean Martin. Il faut d'abord parler du peintre. C'est un figuratif qu'on aurait bien des difficultés à classer dans une catégorie pendant l'entre-deux guerres. Son style se caractérise par un goût prononcé pour les courbes -, ses figures sont définies par des lignes arrondies et, en revanche, quelques détails sont accentués par des lignes acérées (cela est très net dans L'Exilé de 1938). Mais les groupes comme celui des Aveugles (1937) est d'une théâtralité un peu trop soulignée par une gestualité excessive. S'il a fait preuve de qualités picturales notables, cet autodidacte doué ne s'est pas révélé un peintre de premier plan. Après la guerre, il s'est consacré de plus en plus au théâtre, réalisant décors et costumes. En 1947, il travaille pour Agamemnon d'Eschyle, qui est présenté dans la cour de la Sorbonne, puis pour OEdipe Roi, de Sophocle, dont les décors sont peints par Pablo Picasso, dont la première a eu lieu au théâtre des Célestins à Lyon. Puis il a fait le masque et le costume du Commandeur pour le Don Juan de Molière (les décors sont de Christian Bérard). En 1948, il fait les costumes et les masques de Yerma de Frederico Garcia Lorca au Studio des Champs-Elysées à Paris. Un an plus tard, c'est lui qui réalise le cortège de la commémoration du rattachement du Dauphiné à la France. Après quoi, il a enchaîné un autre cycle impressionnant de création jusqu'au début des années soixante-dix. Il est devenu un des grands personnages de l'art scénographique en France. Dans cette sphère, il a pu donner toute sa mesure, n'allant jamais vers des solutions d'avant-garde, mais étant capable de faire toujours preuve d'invention et d'originalité. Une belle découverte !




Notes brutes, Victor Vasarely, Hermann, 196 p., 22 euro.

A partir de 1946, Victor Vasarely a commencé à consigner par écrits des notes sur l'art et comment il l'envisageait. Peu à peu, il en est venu à la conclusion que le tableau de chevalet avait fait son temps et qu'il allait disparaître. Il ignorait sans doute que l'artiste constructiviste russe Nikolai Taraboukine (1889-1956) avait écrit un ouvrage en 1925 intitulé le Dernier tableau, qui faisait la même prophétie ! Peu importe, c'est à partir du constat de l'épuisement de l'art abstrait que Vasarely se met à préméditer un art qui éliminerait la distinction entre forme et couleur. Ces notes s'ordonnent d'ailleurs selon une logique impeccable malgré leur apparence fragmentaire. Une grande référence demeure à ses yeux : celle de Kandinsky. Comme beaucoup de créateurs oeuvrant dans l'optique moderniste, il a conçu le développement de l'art selon une évolution de nature radicale et allant toujours vers des horizons inexplorés. De sorte qu'il en est arrivé à l' « unicité plastique » et à la « composition pure ». Puis est venu le recours à la technologie la plus avancée, sans restriction, qui lui permet par exemple l'utilisation de la lumière électrique. Ce recours à la science la plus avancée appliquée au monde quotidien lui suggère un élargissement du champ de sa création jusque dans l'architecture. Il a rêvé d'une cité polychrome. Cette relation étroite avec la notion d'urbanisme novateur lui permet de développer des oeuvres en trois dimensions avec toutes sortes de matériaux et une liberté d'expression totale. Quand on lit ces considérations qui sont souvent très pertinentes et intéressantes pour comprendre le tournant de l'art à cette époque, on a du mal à comprendre la dernière période de son oeuvre, qui n'a été que la répétition d'un malheureux procédé, qui avait eu la fortune de plaire.




Conversations de Maillol, Henri Frère, Somogy / musée d'art moderne de Céret, 256p., 19 euro.

Quand Henri Frère rencontre pour la première Auguste Maillol en 1928, c'est un jeune homme qui prend des cours de peinture à Montpellier. Il tombe sous le charme de ce sculpteur et il le fréquente jusqu'à sa mort, qui survient en 1944. Son admiration est telle pour cet homme qui possède une vitalité hors du commun qu'il prend note de ses propos, car Maillol n'est pas avare de ses pensées. Comme une relation amicale s'est nouée rapidement entre eux, Maillol en fait son confident, tout du moins pour tout ce qui concerne l'art et son travail de sculpteur en particulier. On est absolument fasciné par la verve et l'intelligence aiguisée de l'illustre artiste, qui se révèle dans ce gros ouvrage d'une richesse intense. Dans son atelier de Banyuls, il commente longuement sa démarche et explique comment il passe du dessin (qui a une importance énorme à ses yeux) au modelé, à la découverte de la forme cachée dans la matière. A chaque visite, il prend la peine d'expliquer au jeune Henri Frère ce qu'il a voulu faire et de quelle manière il l'a fait. Emerveillé, on suit l'évolution de l'oeuvre qu'il a entrepris d'accomplir et de tout ce qui entoure ce long cheminement vers ce qu'il a en tête. Rarement un créateur a fourni tant de détails et d'explications sur le modus vivendi de son travail. On a le sentiment, en lisant ces pages, d'être présent dans cet atelier et de le voir avancer, sans douleur, sans crise, sans le moindre doute, mais faisant néanmoins face à des difficultés techniques et à des obstacles qui se présentent à lui. On découvre que Maillol était un homme cultivé, qu'il n'avait pas de préjugés, qu'il savait aussi se tenir en équilibre entre un néoclassicisme de bon aloi et la conscience d'une modernité qu'il ne rejetait pas, mais dont il usait avec prudence. Maillol était loin d'avoir l'esprit académique même si ce n'était pas un boute feu. Henri Frère a su montrer avec pertinence les différentes facettes de cette personnalité complexe, capable de trouver un équilibre impensable entre le passé et le présent. Rarement un observateur n'était allé aussi loin dans la volonté de révéler l'artiste dans ses propos comme dans ses réalisations. C'est un livre plein d 'enseignements et délectable.



Spadari, un franc-tireur de l'image, Robert Bonaccorsi, Villa Tamaris, 120 p.

Gianfracomo Spadari, disparu trop tôt en 1997, n'est pas seulement une des grandes figures de la peinture italienne de la fin du XXe siècle, mais aussi un homme qui sortait de l'ordinaire, un grande signore, un ami merveilleux. Dans le camp de la peinture narrative, il a été sans aucun doute l'un des artistes les plus radicaux. Le problème reste entier : s'il n'avait pas fait ce choix esthétique et surtout idéologique, aurait-il pu être un artiste d'un autre calibre ? Impossible à dire, de toute évidence, mais ses paysages prouvent qu'il aurait pu être capable de construire une oeuvre d'une autre ampleur. Je serais porté à le croire, car il n'était vraiment pas dépourvu de ta lent. Son engagement politique, authentique et profond, l'a amené à se restreindre d'un point de vue pictural, même s'il a parfois joué de références amusantes et parfois cryptées. Qu'on lui rende hommage n'est que justice. Ici, on l'a vite oublié, sans doute pour ne pas faire d'ombrage à quelques artistes de cette tendance plus médiocres. Il a beaucoup aimé la littérature et l'a manifesté pleinement dans des tableaux comme le prouvent le portrait de Leonardo Sciascia et La notte del surrealismo. IL faut rendre grâce à Robert Bonaccorsi d'avoir eu l'idée de faire cette rétrospective amplement méritée. Nous y découvrons toutes les facettes de son talent dans ce contexte où de grands noms révolutionnaires (de Karl Marx à Mao) abondent et où il met en scène les luttes sociales, civiques, raciales sans détours et sans références alambiquées. Il a appliqué à la lettre sa vision personnelle du « réalisme socialiste ». Aujourd'hui cela pourra prêter à sourire, mais pourtant, il serait bon qu'on recommence à avoir des idées et des convictions pour notre société, même une utopie, pourquoi pas ? Spadari a eu le courage d'aller jusqu'au bout de ses convictions. Ce fut une personne qui n'avait rien d'un doctrinaire : cultivé et ouvert, il aimait les hommes et les femmes de culture, pas nécessairement de son camp.




Ensemble séparés, Dermot Bolger, traduit de l'anglais (Irlande) par Marie-Hélène Dumas, Joëlle Losfeld édition, 370 p., 24,50 euro.

L'action se déroule à Dublin. Enfin, c'est ce qu'affirme l'auteur, car de Dublin, on ne voit rien. La ville est presque invisible et la langue ne nous entraine même pas en Irlande. C'est l'histoire de deux hommes dont les destins vont se retrouver irrémédiablement liés. L'un, Ronan, a mieux réussi que l'autre et a commencé à s élancer dans la spéculation immobilière à une époque particulièrement favorable. Le second, Chris, vit de manière modeste, mais sa femme, Alice, n'en peut plus, elle souhaiterait avoir une existence meilleure. Il va donc s'associer avec Ronan, qu'il n'aime guère, pour construire une maison sur un petit terrain dans l'espoir de la vendre au plus vite. Un drame survient un soir dont Chris ne se souvient pas très clairement : il a dû se débarrasser du cadavre d'un ouvrier en cachette et a pensé l'avoir tué. En fait il s'agissait d'un accident sur le chantier, mais comme les hommes (pour la plupart venus d'Europe de l'Est) travaillaient au noir, il fallait à tout prix que ce décès ne soit pas connu des autorités. Mais cela, Christ, ne le saura que bien plus tard ! L'histoire est assez courte, mais son récit est très long, s'étire et se perd dans des ramifications narratives peu utiles ! Cette affaire est développée avec un grand luxe de détails dont beaucoup paraissent exorbitants et inutiles. Bien sûr, on découvre la vie des deux protagonistes, leurs relations avec leur épouse et le monde qui les entoure, et nous apprenons aussi à connaître ces hommes qui travaillent dur pour faire vivre leurs familles respectives au loin. Mais cela fait un bien gros roman pour une histoire somme toute bien mince. «  Ensemble séparés » serait une sorte de radioscopie de la vie sociale en Irlande ces derniers temps, avec une situation économique nouvelle qui a fait croire à bon nombre de personnes qu'elles allaient s'enrichir. Le fiasco des deux hommes et leur dégradation morale seraient un signe de ces temps. Mais narré de cette manière, on a bien du mal à entrer dans le jeu de Dermot Bolger dont l'écriture est un tant soit peu laborieuse, pour ne pas dire ennuyeuse.




Transhumain toi-même ! Michel Letté, Editions de la Différence, 112 p., 12 euro.

Cette pièce de théâtre a pour origine les métamorphoses inouïes de la science appliquée à la médecine, qui permet des substitutions d'organes, mais aussi des modifications génétiques de plus en plus poussées posant bien des problèmes. Le héros de son spectacle s'appelle Manu Shantri. Ce jeune garçon subit toutes sortes de manipulations qui changent son cerveau et lui permettent d'avoir des dons sortant de l'ordinaire. Il dialogue avec son psychanalyste, qui s'interrogent sur ses facultés, un dialogue de sourd la plupart du temps. Manu est devenu omniscient et possède des dons qu'aucun homme normalement constitué ne peut acquérir. En fait, ce sont deux mondes qui s'affrontent et ne se comprennent guère : le nôtre (enfin, celui où nous sommes nés et où nous avons grandi) et celui de la modernité scientifique qui permet à la chirurgie de faire des progrès que nous avons bien du mal à suivre et dont nous imaginons les conséquences parfois néfastes. D'où la notion de « transhumanisme » inventée par l'auteur. Ce n'est pas un sujet nouveau dans la littérature, mais la façon de mettre en scène est sans aucun doute inédite. On ressort perturbé et embarrassés de cette lecture, qui nous contraint à réfléchir sur ce que le présent élabore pour un futur toujours plus probable et toujours plus proche. Ce héros ne sera peut-être plus exceptionnel d'ici quelques décennies ! Michel Letté a voulu nous représenter notre devenir, non dans les termes de la science fiction, mais dans une fiction que nous verrons, au moins partiellement, de notre vivant.




Trois femmes dans la tourmente, Martine Pilate, « la ligne bleue », éditions de la Différence, 256 p., 18 euro.

C'est, dans la forme comme dans le fond, un roman tout à fait classique. De plus, c'est un roman familial, qui rassemble trois générations (et, implicitement quatre), doublé d'un roman historique qui nous remémore ce qu'a été l'histoire de l'Italie des premières années du XXe siècle jusqu'aux années soixante. En réalité, c'est l'histoire de trois femmes, avec pour figure centrale Anna Maria. Née à Turin, en âge de ce marier, elle n'a pas épousé celui qu'on lui croyait destiné, lui aussi de la bonne société turinoise, mais un jeune journaliste venu de la lointaine Calabre, Fabrizio. Il travaille pour Il popolo d'Italia, fondé par Benito Mussolini, adhère aux faisceaux de combat fascistes et est tué dans une des innombrables batailles de rues qui ont lieu après la grande Guerre. Avec leur fils, Gino, elle décide de s'installer dans le Sud. L'enfant grandit et, devenu un jeune adulte, a une relation avec une jeune beauté, Bruna, qu'il a mise enceinte. Il l'épouse et ils ont une petite fille, Graziella. Bruna part s'installer à Milan et y travaille pour élever l'enfant. Anna Maria n'a pas voulu refaire sa vie, mais a eu un penchant pour un homme, Giani, qui assume les fonctions de maire. Les années passent et Graziella devient une belle jeune fille qui a le malheur de subir un viol. A la fin de l'histoire, Anna Maria retrouve Giani, revenu d'Argentine. Le récit de la vie de cette famille est ponctué par les grands événements de la vie italienne, la prise du pouvoir par le fascisme, l'entrée en guerre, la déposition de Mussolini et le renversement d'alliance, la Libération et les chrétiens démocrates au pouvoir. Tout cela, je le répète, est narré de manière assez conformiste, mais bien narré, et ce roman se lit avec assez de plaisir.




Les Partisans, Aharon Appelfeld, traduit de l'hébreu par Valérie Zanetti, Editions de l’olivera334 p., 7,30 euro.

Né en 1932 à Czernowitz, une ville roumaine à l'époque, aujourd'hui en Ukraine et rebaptisée Tchernovisi, il grandit dans une famille juive de culture allemande (il n' apprend que plus tard le yiddish, chez ses grands parents). Quand sa guerre arrive sa Bucovine natale est annexée par l'Union soviétique et puis est tombée entre les mains des Allemands en 1941. Sa mère est assassinée en 1940 : la Roumanie avait tenté de vendre ses Juifs, mais n'y étant pas parvenu, elle a commencé une politique d'extermination. Il a connu le ghetto et puis le camp de Transistrie. Il s'en échappe en 1942 et se réfugie dans les zones rurales en survivant grâce à l'aide des habitants. Ce livre a ceci d'étrange : on ne sait pas s'il s'agit de souvenirs ou d'invention pure, ou d'un mélange des deux. Le livre raconte l'histoire de partisans, en grande partie juifs, qui harcèlent les troupes de la Wehrmacht. Ils essaient surtout, menés, par un chef charismatique, Kamil, de s'emparer des trains conduisant les Juifs aux camps de la mort. Edmund, le narrateur de cet histoire raconte la vie de ces rebelles qui n'ont plus rien à perdre, mais qui finissent néanmoins par cultiver de grandes espérances, comme la naissance d'un nouvel Israël. C'est une histoire de guerre clandestine très prenante et qui tient le lecteur en haleine, car on finit par s'identifie un peu à ces hommes et ces femmes qui tentent l'impossible. Avec l'avancée de l'Armée rouge, leur audace décuple malgré la pauvreté de leurs moyens. Les sentiments d'Edmund, ses réflexions, ses abattements et sa volonté toujours enfouie dans son coeur de réussir sa folle entreprise. Ce qui ressort de cette histoire, ce n'est pas seulement le courage et l'abnégation e ce groupe de combattants de l'ombre, mais aussi l'incroyable désir de puiser dans le désespoir les raisons de croire au destin du peuple juif condamné à l'extermination. C'est un roman qui ne peut laisser personne indifférent.




La Nuit des Juifs-vivants, Igor Ostachowicz, traduit du polonais par Isabelle Jannès-Kalinowski, L'Antilope, 336 p., 22,50 euro.

Connaissez-vous Varsovie ? C'est une capitale qui a été réduite complètment en cendres, avec une curieuse et hallucinante obstination par la Werhmacht : les immeubles encore debout (après les bombardements de 1939, la destruction du ghetto et l'insurrection de 1944) étaient photographiés, numérotés, catalogués, et puis étaient pulvérisés avec des explosifs ou brûlés. La reconstruction a été catastrophique et cela a donné une grande cité triste. De remarquable, il n'y a qu'un petit morceau de la vieille ville reconstruite à l'identique et puis la copie conforme de l'université de Moscou, cadeau des généreux libérateurs, si bien que le matin, on a l'impression de se réveiller en Russie ! Quant au ghetto, il n'a pas été reconstruit. Un grand parc le remplace et, au milieu, assez dissimulé, se trouve un imposant monument du soulèvement désespéré de mai 1943. L'auteur a imaginé une histoire abracadabrante qui se déroule de nos jours. Dans une Pologne toujours aussi antisémite (on y voit évoluer des groupes d'extrême droite pro nazis, des skinheads et toutes sortes de figures bizarres, en somme une faune interlope qui ne porte pas le pain azyme dans son coeur). Cette nouvelle Varsovie est moderne et on y parle comme en Occident. Non, ce n'est pas un lumière, mais il n'est pas si sot que ça et plutôt malin. Et il a l'oeil. Notre héros n'est ni un intellectuel, ni quelqu'un qui compte. C'est l'un de ces habitants qui constituent le paysage vivant et pittoresque, la matière humaine d'une ville. Cette dernière a subi des métamorphoses plus profondes que celles d'Occident, cela va de soi. Et notre héros évolue entre deux mondes, quelque chose qui subsiste du temps du communisme et ce qui est arrivé ensuite, quand le mur de Berlin est tombé. L'auteur raconte tout cela avec une verve jubilante, un humour fou, un peu d'insolence et beaucoup d'esprit et d'intelligence. On s'amuse à suivre les péripéties de son héros sans beaucoup de qualités en compagnie de sa drôle de compagne, La Guigue. Mais les choses se corsent quand il découvre que sa cave pullule de cadavres de Juifs morts dans le ghetto. Tous ces cadavres semblent vouloir réclamer justice. Tout semble se transformer en une sorte de roman d'horreur, mais version politique et idéologique. Cette chasse aux disparus qui réapparaissent tout d'un coup pour tout chambouler est une idée de génie et cette guerre souterraine met en péril le très fragile équilibre de cette société qui pensait être sortie de bien des chausse-trappe. La métaphore est hardie, mais me semble bien refléter un état d'esprit qui règne dans ce pays où l'on croit pouvoir tout effacer et recommencer : en fait, personne n'a rien oublié et l'on ne repart jamais sur de nouvelles basses. C'est un roman qui est un divertissement pur en même temps qu'une sorte de fable terrible de la culture polonaise (en fin d'une certaine culture polonaise) ancrée dans le menu peuple et aussi dans une partie des classes supérieures.




Fragments d'un voyage immobile, Fernando Pessoa, traduit du portugais par Rémy Hourcade, précédé d'un essai d'Octavio Paz, Rivages poche, 126 p., 6,60 euro.

Non, ce n'est pas un des manuscrits qui serait resté dans la fameuse malle de l'écrivain lisboète. Ce n'est pas un texte plus ou moins achevé, plus ou moins intéressant comme tous ceux que l'on voit être traduits et imprimés. Il s'agit d'une petite anthologie regroupant des réflexions ou des aphorismes de l'auteur du Livre de l'intranquillité dispersés dans toute son oeuvre. Cela en fait un ouvrage de référence des plus précieux. En effet, nous découvrons sa pensée, ou plutôt ses différentes pensées selon le pseudonyme choisi, car chacun écrit dans une optique très différente, du néoclassicisme au futurisme. C'est assez déconcertant, mais aussi vivifiant, car la mobilité de son esprit se traduit dans ces maximes et ces réflexions. Il y a des perles qui sont recueillies ici -, celle-ci, parmi tant d'autres : « La conscience de l'inconscience de la vie est le plus vieil impôt payé à l'intelligence. » Et il faut aussi se plonger dans la belle et éclairante préface d'Octavio Paz qui est une excellente introduction à la connaissance de cet écrivain qui demeure une énigme, car il n'a pas cessé de changer d'identité et, ce faisant, d'oeuvre.
Gérard-Georges Lemaire
08-09-2016
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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