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[verso-hebdo]
27-10-2016
La lettre hebdomadaire
de Jean-Luc Chalumeau
Le triomphe symbolique de la FIAC
La FIAC en était, du 19 au 23 octobre, à sa 43e édition. Je les ai toutes vues depuis la première à la Bastille, et je peux dire que la version 2016 était de très loin la meilleure. Pourquoi ? Après de multiples tentatives de renouvellement dans tous les sens, la FIAC, c'est-à-dire aujourd'hui sa directrice Jennifer Flay, a compris que cette foire internationale a l'immense avantage de se situer au coeur du Paris le plus prestigieux, au Grand Palais, et qu'il fallait, à partir de là, faire de l'ensemble du meilleur Paris l'écrin de la manifestation. D'où l'idée, enfin réalisée, d'y associer le Petit Palais pour y présenter, non des stands mais des pièces exceptionnelles, et d'opérer la jonction entre les deux palais en sanctuarisant l'avenue Winston Churchill. Dans cet espace, redevenu piétonnier comme il le fut lors de l'exposition universelle de 1900, on pouvait jouir de la grandiose perspective aboutissant au dôme des Invalides, sans oublier, notamment, de lire la phrase inscrite au pochoir sur le sol par Jacques Villeglé, une citation d'Henri Michaux : « L'art est ce qui aide à tirer de l'inertie ». Dès lors, il apparaissait naturel que la FIAC aimante d'autres lieux splendides comme la place Vendôme animée par la forêt d'oliviers blancs de Ugo Rondinone ou le jardin des Tuileries, et l'on comprenait l'abandon de la foire dite bizarrement « officielle » aux Docks près de la BnF, où bien peu de monde s'était rendu l'année dernière. Au cours de sa conférence de presse précédant le vernissage, Jennifer Flay a envisagé en souriant de prendre possession de la place de la Concorde l'année prochaine. Elle plaisantait à peine : la symbiose de la FIAC avec la plus belle ville du monde est la clef de sa suprématie sur les innombrables foires qui ont fleuri partout ces derniers temps.

Dans le somptueux décor du Petit Palais, une quarantaine d'oeuvres étaient réparties. Non pas des oeuvres muséales anciennes , naturellement, mais des oeuvres contemporaines présentées par des galeries. Certaines faisaient sensation, comme l'ange aux entrailles à nu, un marbre grandeur « nature » signé Damien Hirst, dernier exemplaire d'une série de trois, proposé par la galerie White Cube pour la modeste somme de 2,25 millions de dollars (Anatomy of an Angel, 2008).Quant aux stands regroupés dans le Grand Palais, ils étaient 287 venant de 27 pays, leur (pas très subtile) répartition géographique permettant aux visiteurs peu informés de repérer facilement les grands marchands internationaux (au centre évidemment) par rapport aux galeries secondaires ou primo-arrivantes (à la périphérie et à l'étage). Certaines ne s'étaient guère donné de mal : Gagosian exposant au même moment Duane Hanson rue de Ponthieu, on trouvait donc deux petits vieux, touristes de la middle class américaine d'un réalisme étonnant, en train de se reposer sur un banc à l'entrée de son stand. De même, Thaddaeus Ropac montrant Rosenquist à Pantin, présentait donc à la FIAC une grande toile récente du pop artiste, d'un intérêt tout relatif. D'autres galeries, au contraire, avaient fait un effort de conception et de mise en scène, telle Natalie Seroussi qui présentait un élégant accrochage intitulé « La femme visible » autour d'une demi-poupée de Hans Bellmer datant de 1972, avec des oeuvres allant de Victor Brauner à Clovis Trouille.

Comme toujours, il y avait de tout dans cette FIAC : tous les genres et tous les styles, à des prix uniquement accessibles à une fraction fortunée du public, et c'est là que cette institution manifestait son formidable pouvoir de « récupération », comme on disait vers 1968. Ne donnons qu'un seul exemple, mais hautement significatif  : Jennifer Flay, en se réjouissant de la participation de la « figure tutélaire de l'art conceptuel », Lawrence Weiner, qui avait tracé quelques mots sur le sol de l'avenue Churchill, et en citant avec admiration l'exposition Quand les attitudes deviennent formes organisée par Harald Szeemann en 1969 à la Kunsthalle de Berne, dont Lawrence Weiner était avec Beuys une des vedettes, Jennifer Flay savait-elle que cette exposition était d'abord un manifeste anticapitaliste ? Szeemann n'avait rien accroché aux murs et manifestait le plus grand mépris pour les galeries en ne présentant que des créateurs en train de vivre. Lui et Weiner déclaraient alors la guerre au marché. Or voici que le célèbre artiste conceptuel révolutionnaire est devenu décorateur au service de l'une des premières foires commerciales du monde. C'est sa défaite et c'est le triomphe symbolique de la FIAC.
J.-L. C.
verso.sarl@wanadoo.fr
27-10-2016
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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