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[verso-hebdo]
18-06-2015
La chronique
de Pierre Corcos
Derrière la violence
Dans « la marmite bouillonnante des pulsions » (Freud), jetez en pluie les frustrations et les ruminations, ajoutez-y les peurs en boulettes contractées, quelques tranches saignantes de fureur, puis laissez doucement mijoter, en assaisonnant de petites misères et soucis. Mais surtout, couvrez ce bouillon d'onze heures d'un couvercle de bienséance civilisée, de peur que la soupe infernale ne vous saute au visage !... N'oubliez pas ! Sinon, sinon...

Le théâtre de l'américain Edward Albee, pleinement cathartique, nous réserve de ces brutales et terribles scènes montrant qu'hélas le couvercle a sauté, que tout le contenu de la marmite s'est répandu... Dans Qui a peur de Virginia Woolf ?, une scène de ménage grossit, enfle jusqu'à l'apocalypse. Le spectacle (jusqu'au 28 juin au Théâtre du Rond-Point) La Maison et le Zoo - deux pièces accollées (La Maison et Zoo Sory) dans la mise en scène de Gilbert Désveaux, et réunies par la présence continue d'un personnage, Peter - est, par sa violence, plutôt rude. On peut l'entendre comme la preuve, l'expression de la dualité humaine : civilisé/barbare, surmoi/ça, cortex/rhinencéphale, ange/bête. Cette perspective globale semble adoptée par le metteur en scène dans sa lecture de l'oeuvre. Il dit en effet : « Nous sommes tous, plus ou moins, prisonniers de conventions, de règles, de lois comme des animaux derrière des barreaux. Mais nous sommes tous des animaux. Et il suffit de peu pour que nous, êtres civilisés et éduqués, retombions dans notre état sauvage originel ». Mais on peut également se demander si La Maison et le Zoo ne témoigne pas d'une violence spécifiquement américaine (violence des armes, des premiers conquérants, d'une nature excessive, des mythes nationaux, d'un capitalisme débridé...) qu'il faut exorciser. Et Gilbert Désveaux n'exclut pas cette interprétation, lorsqu'il déclare : « Ainsi, tout comme les pères fondateurs ont exterminé les Indiens en débarquant sur ce continent presque vierge, Peter devra user de la force, même malgré lui, pour occuper son banc dans le parc ». Personnellement, il nous semble que le théâtre d'Albee est très américain.
Qu'il s'agisse d'un affrontement entre Peter et le mystérieux Jerry, un « mauvais garçon », un marginal (la part d'ombre de Peter ?), ou bien d'une scène de ménage entre Peter et Ann, sa compagne en quête d'une sexualité plus sauvage, d'une jouissance bestiale, la grande question au final demeure : comment, sans créer le malaise, faire véritablement civilisation ? Éviter qu'être civilisé reste juste un vernis, une pellicule ?... Le WASP (White Anglo-Saxon Protestant) ne dissimule-t-il pas un « outlaw » à la gâchette facile, et son épouse une amazone, lascive, cruelle et, au final, castratrice ? Et que valait toute la culture des universitaires américains de Qui a peur de Virginia Woolf ? quand elle n'a pu restreindre, un minimum, la bassesse, la violence, l'obscénité du déballage auquel ils se livrent, s'abandonnent avec ivresse, exultation ?
Le théâtre d'Albee, composé à la façon d'une musique, avec son accélération de rythme jusqu'à l'explosion finale, repose essentiellement sur les interprètes. Si les acteurs ne sont pas crédibles, tout est fichu... Jean-Marc Bourg, Xavier Gallais, Fabienne Périneau restent véridiques et jettent le trouble dans l'esprit du spectateur, qui se sent d'un coup voyeur ou même complice de transgressions coupables. Les acteurs évoluent dans un décor extrêmement simple pour que leur jeu expressif ne soit pas entravé, ni que le spectateur ne s'installe dans un théâtre naturaliste. En fait, La Maison et le Zoo fonctionne comme un miroir grossissant dans lequel, au lieu de sourire à se trouver si beau, le spectateur découvre avec horreur son poil hirsute, ses babines et ses crocs. Sans parler de toutes celles qui ne contempleront plus la jolie princesse blonde, dans ce fichu miroir, mais seront surprises par une chienne pantelante ! Théâtre cathartique, « acting out », défoulement thérapeutique...

Mais que se cache-t-il derrière cette violence ? Derrière le bovarysme contemporain, hystérique d'Ann, on perçoit en creux une existence plutôt médiocre, ennuyeuse, sans investissement réel, et sans doute une échappatoire, non par des romans sentimentaux, mais grâce à des séries télé exaltant un érotisme sauvage, peu ou prou mythifié, dont elle veut aussi avoir sa part avec son compagnon... Derrière la réaction soudainement agressive de Peter, on peut aisément imaginer qu'il est en fait profondément seul, d'une solitude que ni ses collègues ou amis, ni même Ann ne peuvent rompre... Derrière les provocations plus ou moins homosexuelles de Jerry, on pressent qu'il n'a en fait pas de place dans une société majoritairement conformiste et puritaine. Le théâtre d'Edward Albee, machine de guerre contre l'ordre établi de l'American Way of Life, utilise la violence cathartique des psychodrames pour sensibiliser les Américains à leurs aliénations. Mais sa portée, bien plus large, tient en ce qu'il montre, derrière la violence soudaine de nos réactions, une peur, une angoisse, une déréliction que soigneusement nous refoulons.
A propos de l'une de ses oeuvres, The American Dream, Edward Albee exprime un souhait : « J'espère que ma pièce transcende le personnel et le privé et a quelque chose à dire sur notre angoisse à tous ».
Pierre Corcos
18-06-2015
 
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Verso n°136

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