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[verso-hebdo]
23-06-2016
La lettre hebdomadaire
de Jean-Luc Chalumeau
Rimbaud et la souveraineté de la peinture
Le poète de génie à 17 ans, qui fut aussi négociant-trafiquant ancien mercenaire et déserteur vingt ans plus tard, n'a guère fréquenté les peintres de son temps. Il nous reste le célèbre Coin de table de 1872, dans lequel Fantin-Latour campe le jeune Arthur tournant ostensiblement le dos aux autres poètes et n'ayant d'yeux que pour Verlaine assis à côté de lui. La rupture n'a pas encore eu lieu et Rimbaud n'a pas encore écrit « j'ai aimé un porc » dans sa Saison en enfer. Nous avons aussi son portrait en buste par un certain Garnier, une huile sur carton de la même année réputée assez ressemblante et enfin, en 1873, l'huile sur panneau d'acajou dans laquelle le belge Jef Rosman montre Rimbaud alité après avoir été blessé par le pistolet de Verlaine, sous le titre ironique « Epilogue à la française » (le tableau, contesté, est peut-être apocryphe). Il y a aussi quelques rares photographies, à partir desquelles Ernest Pignon-Ernest a inventé un portrait de Rimbaud qui semble d'une criante vérité, la vérité d'un être sombre qui, selon les mots de François Mauriac « jette vers la pureté perdue un cri déchirant » et qui prophétise que « voici le temps des assassins »... Ce n'est aucun de ces Rimbaud qu'aborde Jean Gaudaire-Thor dans l'exposition qu'il lui consacre actuellement, intitulée Trafiquer dans l'inconnu , à la mairie du 8e arrondissement de Paris (3 rue de Lisbonne, jusqu'au 25 juin).

Ce n'est pas, en effet, le portrait de Rimbaud qui intéresse d'abord Gaudaire-Thor, bien que son visage apparaisse en palimpseste dans plusieurs œuvres, c'est tout autre chose, qui se révèle être un puissant stimulant pour sa peinture. Tout se passe comme si Gaudaire-Thor avait fait sien un programme défini par Rimbaud lui-même, et qu'il faut citer intégralement : « Nous arracherons la peinture à ses vieilles habitudes de copie pour lui donner la souveraineté. Le mode matériel ne sera plus qu'un moyen pour évoquer les expressions esthétiques. On ne reproduira plus les objets, on imposera des sentiments grâce à des lignes, des couleurs et des schèmes pris au monde extérieur simplifié et dompté : une véritable magie. » La méthode de Gaudaire-Thor a consisté en de longs voyages, depuis dix ans, sur les traces de l'aventurier-trafiquant, avec notamment un séjour au Harar, en Ethiopie. La série des Awash, en 2007 (des peintures carrées de 180 cm de côté), à dominantes vertes et rouges, a inauguré avec verve cette odyssée plastique.

Aussitôt après, l'artiste installe son atelier au nord de Sens, sa ville natale, près de la vallée de l'Oreuse. Les souvenirs des plateaux et collines du Harar se mêlent alors dans son esprit avec la topologie des environs de l'Oreuse qu'il a sous les yeux. Il invente un lieu fictif devenu espace peint où les procédés du calque et du collage font naître la série Harar sur Oreuse. La poésie d'Arthur Rimbaud est toujours sécable : les mots, les phrases et les strophes se déplacent dans un jeu permanent et instantané qui organise une tension et explose la syntaxe, un jeu qui invente la modernité en littérature. « Je réalise ces peintures dans cette optique, explique le peintre : en pratiquant une infinité de coupes, d'interruptions, de glissements, de perspectives rabattues... » C'est ainsi que les tableaux Harar sur Oreuse doivent être vus : comme des métaphores plastiques à la fois des paysages du Harar, de la vallée de l'Oreuse et de la poésie de Rimbaud. Ce dernier voulait « fixer des vertiges ». C'est bien ce que fait Jean Gaudaire-Thor, qui réussit ainsi à « arracher la peinture à ses vieilles habitudes » et à lui rendre une forme de jeunesse. Avec lui, voici le monde extérieur effectivement simplifié et dompté. Il me semble que c'est une bonne nouvelle.
J.-L. C.
verso.sarl@wanadoo.fr
23-06-2016
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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Christophe Cartier

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