Muholi, a visual activist, sous la direction de Biba Giachetti, 24 Ore Cultura / Mudec photo, 72 p., 19 euro.
Muholi est née en 1972 à Umlazi, en Afrique du Sud, non loin de Duban. A dix-neuf ans, elle va vivre à Johannesbourg. Elle y exercice diverses professions et commence à créer des oeuvres. Elle fait la connaissance de David Goldblatt, qui est une des principaux protagonistes de la photographie dans son pays. Muholi entreprend des études. Il devient son mentor. Elle s'intéresse bientôt au monde du crime et aussi à l'étrange univers des queers. Elle se lance dans l'action militante à partir de 2002. Si elle s'intéresse surtout ) la vie quotidienne de ses compatriotes, elle la traduit à sa façon, en n'ôtant rien de sa vérité, mais e, la traitant parfois dans une optique surréaliste. Elle ne commence à exposer ses clichés qu'à partir de 2010 à la Biennale de San Paulo.
Deux ans plus tard (l'année où on lui a volé ses fichiers contenant toutes ses créations non publiées), elle a l'idée de devenir son propre modèle. Ella a alors produit une longue série d'autoportraits qu'elle a baptisés Somnyama Ngonyama. Il ne s'agit pas pour elle d'exalter sa beauté ou, au contraire, de la rendre plutôt laide ou grotesque. Cependant, elle aime introduire une constante dose d'humour ou de fantastique dans la plupart de ses compositions : elle peut se vêtir de tuyaux de toutes sortes, porter des bijoux extravagants avec des éléments d'origine industrielle et porter des coiffures bizarres digne d'une scène de théâtre ou d'opéra. Quand on les observe, on se rend vite compte que la composition, la lumière, toujours savamment agencée, le cadrage : ils sont extrêmement soignés. Ce qui peut y avoir de ludique dans ses portraits est contrebalancé par le sérieux avec lequel elle les réalise. Ainsi peut-elle jouer sur une ambiguïté qui accentue sa négritude, mais ne la sublime pas, pas plus qu'elle ne la rend ridicule.
Elle la rend étrange et Personne ne saurait rester indifférent dans son visage auquel elle fait jouer mille rôles différents. Cette mascarade sans frein lui sert à mettre en avant ce qu'elle est vraiment et aussi ce qu'elle paraît aux yeux d'autrui. Ses fantaisies esthétiques s'allient à une grande rigueur architectonique. Il serait difficile d'échapper au charme et à la bizarrerie de ses photographies. Sans avoir voulu aller à la recherche d'une trouvaille époustouflante, elle est néanmoins parvenue à donner vie à une galaxie visuelle d'une originalité absolue. C'est une réussite patente. Si vous ne pouvez aller visiter cette exposition d'ici le 30 juillet au Mudec de Milan, procurez-vous ce catalogue. Vous ne serez en rien déçus.
José Quiroga, peintre de l'imaginaire, Patrick Mauriès, sous la direction de Jean Bollery, Editions du Regard, 240 p., 39 euro.
Les Editions du Regard ont déjà publié un ouvrage sur cet auteur en tant que décorateur de théâtre. Cette fois, ce volume monumental est réservé à son oeuvre plastique. Jose Quiroga (1930-2010) n'a pas fait d'études spécifiques dans le domaine des arts plastique. Mais il : elle a préfère fréquenter assidûment les ateliers de Mac-Avoy et de Zadkine. Il est devenu un cinéphile averti dès 1949 et a aimé la lecture avec passion. Il débute au théâtre en 1954 en dessinant les costumes et le décor de Narcisse pour le Théâtre de l'Empire. Un an plus tard, il réalise le spectacle A Montmartre le soir avec Nicolas Bataille au Théâtre du Tertre. Il expose entre 1962 et 1964 à la galerie Lambert lors d'expositions de groupe. Ses dessins sont de plus en plus souvent reproduits dans des revues. Il travaille de plus en plus et a une commande pour les papiers peints Nobilis en 1963.
En 1967, la télévision l'engage comme ensemblier-décorateur. En 1969, il fait évoluer la technique de ses dessins, souvent publiés, et la plume remplace alors le pinceau. Sa première exposition personnelle a lieu à Lyon à la galerie L'OEil en février 1972. Il dessine les costumes des Aveugles de Maurice Maeterlinck pour le Théâtre Oblique au Grand Palais lors de l'exposition « Les peintres de l'imaginaire ». Ses dessins sont exposés l'année suivante à la cité universitaire de Paris sous l'égide du Théâtre Oblique. Il expose une nouvelle fois à la galerie L'OEil (une troisième aura lieu en 1982). En 2004, il illustre Les Rougets d'André Pieyre de Mandiargues. Impossible de rappeler ici toutes les collaborations de cet artiste qui n'a cessé d'osciller entre le théâtre et le dessin. Mais sa production est loin d'être indifférente.
Patrick Mauriès ouvre ce volume par une brève (peut-être trop brève) histoire de l'oeuvre de cet artiste travaillant en dehors des sentiers battus en ce qui concerne le dessin. Cela ne signifie pas que sa démarche est décousue, bien au contraire. Mais elle n'est pas liée aux mécanismes élémentaires d'une carrière d'artiste de la seconde moitié du XXe siècle. Figuratif, il aime beaucoup pénétrer dans sphère du fantastique. Il crée par exemple une Suite Edgar Poe en 1988. Il a fleureter au début des années soixante avec l'abstraction, mais est revenu à une forme de figuration qui a retenu les leçons de cette parenthèse fructueuse. Dès lors, ses paysages sont loin d'être naturalistes. En réalité, il joue sur deux plans, mais privilégie la figure, plus évidente à nos yeux. Cet ouvrage nous fait découvrir un dessinateur original qui n'a jamais eu peur de s'engager dans des voies qui échappaient à toute définition. Il n'était l'héritier de personne et ne se rapprochait d'aucun courant connu. Sa solitude ne lui a pas pesé un instant/ Poursuivant ses deux carrières parallèles, il n'a pas souffert de sa singularité, même si elle l'a éloigné de succès faciles. A nous par conséquent de prendre la mesure de la valeur de son art, qui ne saurait laisser indifférent.
Les Ingénieurs du chaos, Giuliano da Empoli, Folio, 240 p., 8, 10 euro.
Ce livre a d'étrange de n'être pas écrit comme un essai traditionnel. C'est entre l'article de presse et le roman. Pourtant, l'autant fait état d'une situation politique (et géopolitique) et d'une réalité qui concerne internet et qui fait que les partis, les hommes qui les dirigent et toutes sortes de figures les plus imprévisibles sont parvenus à s'installer dans les réseaux sociaux et à y jouer un rôle crucial. Depuis plus de deux décennies, tout le monde peut le constater, les règles anciennes de la vie politique ont été bouleversés de fond en comble. Des personnages plus ou moins fiables et surtout assez inquiétants, comme Donald Trumpo ou Jair Bolsonaro, pour ne citer que ces exemples, sont parvenus à se hisser au pouvoir de façon légale tout en professant des idées très radicales et viser un pouvoir sans partage. Parfois, ils n'ont pas hésité à franchir la ligne rouge de la démocratie. L'auteur a choisi de nous dépeindre surtout la situation italienne, qu'on peut sans risque de se tromper qualifier de baroque. Gouvernement après gouvernement, tous les partis s'installent au pouvoir à tour de rôle, les alliances changent sans arrêt et les amis d'une saison deviennent les ennemis de la suivante. A l'heure actuelle, c'est une coalition de droite qui a remporté les élections avec Forza Italia de Silvio Berlusconi, La Ligue (qui n'est plus lombarde !), guidée par Matteo Salvini, et qui se présente même en Sicile !) avec Salvini et enfin Fratelli d'Italia, émanation du MSI, parti néo-fasciste, avec Giorgia Meloni, qui devient présidente du conseil en un clin d'oeil.
Ce qui est intéressant dans cette étude, c'est que Giuliano da Empoli met toujours en relation les grands thèmes d'un programme politique et l'usage des réseau sociaux, qui sont de plus en plus prégnants. Il insiste beaucoup sur le Movimento Cinque Stelle, fondé par un comique, Beppe Grillo - une organisation qui semble ne pas avoir de structure et qui n'a pas de plan précis pour l'avenir. Tout donne l'impression que ce sont les adhérents qui votent des décisions, mais c'est en réalité Grillo qui décide de tout, même si c'est toujours Grillo qui a le dernier mot, alors qu'il a déclaré quitter le groupe ! Son faire-valoir, Giuseppe Conte, s'est lancé dans une croisade furieuse contre la nouvelle alliance.
Bref, la République italienne ne cesse de modifier les paramètres de sa politique. Jusqu'où ? Impossible de prédire. Ce qui fait tout l'intérêt de ce recherche très claire et souvent judicieuse, c'est que la politique traditionnelle, en perte de vitesse, ne saurait être dissociée de ces moyens nouveaux de propager l'information (et aussi les fausses nouvelles avec une rapidité incroyable, chacun d'entre nous pouvant influer sur le cours des choses. Bien sûr, il ne se limite pas à la seule péninsule. Il s'empare de leaders comme Netanyahou en Israël, Viktor Orban en Hongrie, et encore et toujours Donald Trump ! Nous sommes bien conscients que dans notre pays la droit et la gauche « classiques » ont quasiment disparus. En Italie les militants du PD, ancien PCF, devenu le parti social-démocrate, ne réussissent pas à retrouver sa base électorale et semble lui aussi condamné. On doit lire ce livre qui nous enseigne l'essentiel de ce « faire de la politique » signifie à notre époque et ce que l'auteur nous faire comprendre n'est guère réjouissant. Mais indispensable.
Benvenuti !!! (istruzioni per un viagetto a Parigi), Fausta Squarini, Fabio d'Ambrosio Editore, 216 p., 20 euro.
Fausta Squarini est une artiste qui a parcouru un long chemin dans les arts graphiques et dans les arts plastiques en général, se faisant remarquer dans les formes artistiques de l'avant-garde. Elle a été reconnue dans son pays, mais aussi dans d'autres nations, comme l'Allemagne. Elle est parvenue à se faire un nom dans ce domaine. Elle est devenue éditrice de multiples et a enseigné dans diverses académies des beaux-arts, dont celle de Milan. A partir du début des années deux mille, elle a présenté de nombreuses expositions personnelles et a participé à bon nombre d'expositions collectives.
Aujourd'hui elle nous propose un livre qui serait la mémoire d'un périple à Paris. Elle nous relate avec humour la montée dans l'avion, l'installation des passagers, les rites préparant au départ que l'auteur tourne en dérision. L'histoire se poursuit par un voyage en train qui l'a menée à la gare de Lyon, la porte mythique de Paris pour les Italiens. Fausta Squatriti devient dès lors notre guide. Mais elle ne fait pas office de révélatrice des beautés éclatantes ou cachées de la capitale française.
Elle n'imagine pas non plus des parcours fantasmé à l'égal de ce qu'ont pu faire les surréalistes en leur temps. Elle procède plutôt par associations elliptiques, nous conduisant d'un lieu à un autre par un raccourci de la mémoire. Cette visite est à la fois réelle et imaginaire puisqu'elle ne suit aucune ligne rationnelle. C'est un jeu qui est fait pour nous entraîner dans un labyrinthe. On y découvre Paris sous mille éclairages, passant d'une rue à un homme de lettres et de ce dernier à une autre rue dans un quartier différent. Au gré de ses promenade, l'auteur nous fait découvrir des antiquités ou même des objets qui ne mériteraient pas un tel prestige. C'est une reconstruction mnésique qui ne cherche pas à recoller les morceaux du puzzle qu'ont engendré ses souvenirs. Il s'agit de quelque chose qui s'articule d'une autre manière. Sans la moindre logique, mais toutefois par de nombreux lieux entre les êtres, les lieux et les choses. C'est une sorte de collage qui fait apparaître et disparaître des instants prégnants d'une existence. Tout s'articule d'une autre manière. Si le tout est relativement vertigineux car on ne sait plus très bien où l'on se trouve.
Nous la suivons volontiers jusqu'à la Maison de l'Amérique latine boulevard Saint-Gernain-des-Prés. On est fasciné par sa passion de collectionniste avisée et nous la suivons sans rechigner -, au contraire, on est séduit par cet oeil qui est perpétuellement en mouvement mais sait s'arrêter sur des pièces de valeur. On peut se demander pourquoi l'auteur revient su souvent rue de Meaux. Je le répète : on ne saurait la comparer à ce que Louis-Ferdinand Céline a pu faire dans son second roman, Mort à crédit, (une vision en accéléré des artères de la ville) ni même des digressions nocturnes de Léon-Paul Fargue. Elle a été capable de nous faire voir un autre Paris, celui qui lui appartient - à elle et à nul autre. Elle s'y révèle sans jamais faire oeuvre d'introspection. C'est une fiction qui a son charme et, en même temps, à sa façon de bousculer des images d'Epinal.
Dans ma bibliothèque, la guerre et la paix, Marc Fumaroli, « Tel », Gallimard, 540 p., 18 euro.
Il s'agit ici du dernier livre que l'écrivain préparait pour son éditeur. Il l'a terminé pour l'essentiel, ne lui restant plus à faire que les ultimes corrections. Marc Fumaroli s'est consacré pour l'essentiel à l'étude la culture du Grand Siècle et du début du XVIIIe siècle en France (dans sa bibliographie), on ne découvre qu'une exception avec une étude sur Chateaubriand. Ce qui le distingue de bien d'autres érudits spécialisés dans une période de l'histoire, il ne s'est pas limité à une discipline, mais a embrassé l'essentiel des disciplines et a aussi pris en considération l'histoire qui est fondamentale ici pour comprendre son propos. Tout en étant l'archétype du savant, il a toujours été capable d'écrire ses ouvrages avec une grande clarté, sans tomber dans le travers de la vulgarisation. Ce qui fait aussi la richesse de son exploration en profondeur de cette époque qui a été si riche dans tous les domaines, a été de mettre en évidence les relation les arts, la littérature et d'autres domaines de la création et de la connaissance.
Dans la première partie de ce fort volume, il a tenu à montrer de quelle façon ont pu se développer des oeuvres picturales comme celle de Fragonard ou celle de Watteau, non seulement dans leur spécificité plastique, mais aussi en fonction des réactions qu'elles ont pu susciter, des amateurs cultivés et souvent de renom ayant tenu à soutenir les efforts de ces artistes qui ont marqué une rupture dans la peinture d'alors. Ce faisant, il a souhaité faire valoir la culture qui était alors de mise à la cour, dans les salons et aussi par l'éducation donnée aux plus jeunes issus de ces familles pour qui l'éducation était primordiales. Il prend par exemple le cas du jeune comte Anne-Claude-Philippe Caylus de Tubières de Grimoard de Lévis(1682-1765), Il est devenu un archéologue de premier plan et a laissé des écrits fondamentaux sur la question. Mais il a désiré aider des artistes, comme le graveur Mariette ou le peinture Watteau, qui a introduit les « fêtes galantes » et dont il a été l'ami, écrivant La Vie de Antoine Watteau, qui a paru posthume en 1837. Il a aussi fréquenté Crozat, architecte et peintre sous la Régence, alors que cet univers cultivé se retrouvait au Palais Royal, et a aussi fréquenté les Lundi de Mme Geoffrin. La culture était tout un apprentissage au sein de la vie mondaine qui était souvent le prétexte à la rencontre de grands esprits. On ne peut que s'émerveillant en parcourant ces pages de découvrir cet incroyable mélange de peintres, de poètes, de savants, de musiciens et de philosophes. Ce n'est pas une encyclopédie, mais un voyage dans un monde où les personnages évoluant sur ces scènes élégantes sont en réalité en train de préparer l'avènement du Siècle des Lumières tout en apportant leur science ou leur talent à une fin de siècle qui avait été si brillant sous l'impulsion d'un roi qui était lui-même un artiste (Louis XIV était un danseur émérite). Ce n'est pas un ouvrage à lire tout d'une traite, mais pas séquence, selon le bon vouloir de l'auteur, qui n'a pas chercher un modèle discursif et rationnel. Mais il va vite devenir indispensable à touts ceux qui cherche dans le passé de enseignements et des plaisirs que la modernité ne saurait effacer. D'ailleurs l'apprentissage de l'un peut éclairer l'expérience de l'autre. C'est absolument magnifique et nous allons désirer rester en compagnie de Jean La Bruyère, l'auteur de Les Caractères, de François Fénelon, même de Jacques-Bénigne Bossuet, l'évêque de Condom, de François de Couperin et Carle Van Loo ou de son frère Baptiste. Sa bibliothèque est bien différente de celle de Montaigne et pourtant joue un rôle qui présente quelques similitudes : celle de nourrir une passion sans limite pour l'extrapolation d'une culture qui est la sienne, mais aussi la nôtre si nous parvenons à échapper à des conventions bien usées et source de stéréotypes troublant le libre exercice de l'entendement de ces « anciens » qui demeurent nos proches.
Dalì, Magritte, Man Ray e il surrealismo, capolavori del museo Boijmans van Beuningen, Rotterdam, sous la direction d'Els Hosk, 270 p., 32 euro.
Les oeuvres frappées du label surréaliste font partie désormais des « classiques » du XXe siècle. Ils peuvent encore nous surprendre un peu, nous intriguer, mais plus nous renverser et nous scandaliser. Les musées en sont pleins dans le monde entier. Et je ne parle pas des collections privées, ni des expositions. Mais celle-ci, qui présente l'essentiel de ce que le musée Boijmans de Rotterdam possède est une bonne façon de revoir les choses avec un peu de distance et aussi de découvrir des artistes qui nous sont inconnus (ou très mal connus). On ne verra dans cet ensemble aucune pièce célèbre, mais des oeuvres de qualité et représentative.
Le commissaire a misé sur trois artistes, qui lui ont semblé les plus représentatifs : Salvador Dalì, René Magritte et Man Ray. Mais bien d'autres sont présents et bien représentés, comme Marcel Duchamp, dont on peut voir la couverture du catalogue de l'exposition que André Breton a organisée en 1947, le livre qui a été fait en 1934 à partir des documents choisis par l'artiste en guise de commentaires de son Grand Verre, La Mariée mise à nu par ses célibataires même, On peut aussi voir ses Rotoreliefs de 1935 et La Boîte dans la valise, éditée en 1952. De Dalì, nous trouvons La Vénus de Milo avec tiroirs (1936 et tirée de nouveau en 1964), le Rêve d'une jeune fille qui voulut entrer au Carmel (1930) un tableau peu connu, La Table solaire (1936) Spagna (1936), Le Grand paranoïaque (1936), Le Visage de la guerre (1940), Impressions d'Afrique (1938), vraisemblablement inspiré par le livre de Raymond Roussel. des catalogues d'expositions, des livres.
Plus curieux à mon goût le choix de Man Ray, dont on a présenté surtout des peintures et des « objets », alors que la photographie n'est pas mise à l'honneur. Bien sûr, nul ne se plaindra de voir Le Témoin (1941 et réalisé en 1971) ou La Fortune III de 1973. Le tableau (une huile) Quant à René Magritte intitulé Mon premier amour, peint en 1952 est une belle surprise car abstrait. Quant à René Magritte, ont été élues des toiles comme Le Miroir vivant (1928), La Jeunesse illustrée (1937) ou encore Au seuil de la liberté (1930). Et est à remarquer sa composition, Reproduction interdite de 1937. Une gouache retient l'attention : Le Saignement (1938-1939). Le titre de l'exposition et donc du catalogue ne me semble pas une bonne idée, car il y a bon nombre de collages de Max Ernst, extraites de son Histoire naturelle (1926), de sa Semaine de bonté et des Sept éléments capitaux (1934). Des auteurs plutôt connus comme Meret Opppenheim, Roberto Matta, Yves Tanguy, Victor Brauner, Félix Labisse, Paul Delvaux, Joseph Cornell, Hans Bellmer n'ont pas été oublié de cette vision panoramique. Enfin, bon nombre de créateurs peu exposés la plupart du temps, et peu discutés sont également présents, comme Eileen Asgar, Unica Zürn (la compagne de Bellmer, Krstina Tonny, Jan Schlechter Duvall, Philip West, Piet Outborg, etc.
Ce catalogue ne peut pas faire office de livre d'histoire d'un mouvement, mais met en valeur les aspects multiples de cet art rebelle. Ce fort volume est parfait pour faire comprendre les mille façons dont le surréalisme a été utilisé depuis sa création en 1924 avec le Manifeste d'André Breton.
Surréalisme au féminin ? sous la direction d'Alix Agret & de Dominique Païni, musée de Montmartre, jardins Renoir, 176 p., 29 euro.
Il n'est pas un mois où ne paraisse un livre sur le rôle des femmes dans l'art, la littérature, les sciences, etc. On a l'impression que ces dames ont été mises à l'écart de groupes, de mouvements, de sociétés savantes, du monde littéraire... Or rien n'est plus faux. Il y a bien eu des injustices, mais ce n'est pas le fruit d'un dessein délibéré. Je prendrai toujours l'exemple de Madame Elisabeth Vigée-Lebrun qui a été le peintre le plus célèbre et le mieux payé mieux payé de son temps.
Depuis la Renaissance, des femmes se sont imposées dans les arts, comme Sobonisba Anguisola, la Tintoretta ou Artemsia Gentileschi (au détriment de son père, qui a été un grand artiste), jusqu'à Rosa Bonheur pendant le dernier tiers du XIXe siècle et à Berthe Morisot et à Mary Cassatt. C'est désormais une lame de fond ! Il est vrai qu'il y a eu moins de femmes célèbre (sauf dans le domaine du roman et de la poésie), mais il semble aujourd'hui que c'est une valeur ajoutée d'appartenir au sexe faible. Pour en revenir au surréalisme, il est vrai que son maître à penser, André Breton, tout en faisant l'éloge de la femme, et en l'idéalisant, l'a assez peu prisé dans la sphère de la création. Reste maintenant à faire le point sur cette discrimination qui, dans le cas présent, est malheureusement est bien réelle. De très grandes artistes, universellement prisées. On peut citer Leonora Carrington, Meret Oppenheim, Toyen, Unica Zürn, Dorothea Tanning, Valentine Hugo (je ne cite pas Dora Maar, qui ne me paraît pas appartenir à cette catégorie). Aucune d'entre elles, quelques soient leurs qualités respectives, n'a pu tenir la dragée haute à Joan Mirò, à Salvador Dalì, à Max Ernst, à Marcel Duchamp dès qu'il cesse de faire de la peinture.
Un exemple : Toyen(Marie Cerminovà1902-1980), qui a su se révéler une créatrice de premier plan quand elle a inventé ave son compagnon, Styrsky quand il ont créé le mouvement de l'Artificialisme, n'a pas su ou pu renouveler son art dans le cadre du surréalisme dont elle est demeurée un épigone parfois de talent. Seuls une poignée de tableaux demeurent mémorables. On pourrait être plus indulgent avec Dorothea Tanning et Leonora Carrington, qui sont les deux meilleures représentantes du monde anglo-saxon. Quant à Leonor Fini, on ne saurait nier son talent, mais ont peut toutefois regretter ses mièvreries et ses sujets félins. Eller avait les qualités pour faire des choses notables, mais s'est vite repliée sur des idiosyncrasies dignes de magazines féminins. Ella a approché de trop près le kitsch ! Claude Cahun (1894-1964) est sans doute la créatrice à retenir parmi ce cénacle.
Dans ce catalogue, Michel Draguet nous parle des femmes surréalistes en Belgique. Très bien. Mais la conclusion n'est pas merveilleuse. Sans doute, les compositions Jane Graverol ne sont pas à dédaigner même si elles sont un peu tardives, mais les compositions de Rachel Baes (1912-1983) contiennent pas mal de poncifs. En fait, aucune région de l'Europe ne nous apporte quelque satisfaction esthétique dans cette optique. Reste maintenant à voir ce que nous apporte les figures inconnues de ce panorama. En réalité, aucun de ces peintres ne réussissent à nous convaincre. Pourquoi ? Probablement par ce que le surréalisme, avec son adoration de l'onirisme, a proposé souvent des images mièvres et des collages mielleux. Personnellement, je ne sauverais que les gravures d'Unica Unica Zürn (1916-1960), qui a été un graveur aussi doué que son compagnon, Hans Bellmer, et aussi fantasque, Hans Bellmer, mais aussi un écrivain de valeur. Cependant, je ne peux que conseiller aux amateurs d'art et aux esprits curieux de visiter cette exposition (ouverte jusqu'à la fin du mois de septembre) et de se plonger dans la lecture de ce catalogue, qui peut nous aider à comprendre pourquoi les femmes ont été si peu remarquables, alors qu'elles ont su s'imposer avec force dans le domaine de l'abstraction.
J'aime beaucoup le titre de cette exposition, qui insinue le doute et force le lecteur à s'interroger. A mon goût, il n'a jamais existé qu'un grand artiste surréaliste féminin et c'est Frida Kahlo et nulle autre. Elle est absente de ce vaste panorama. Son oeuvre de nature autobiographique est véritablement un voyage dans les zones terribles de la souffrance et des hallucinations qui montre le corps tel qu'en lui-même dans ses douleurs infinies...
Manet, Françoise Cachin, « Découvertes », Gallimard, 176 p., 14, 70 euro.
Edouard Manet (1832-1883) n'a pas seulement été l'un des peintres frais les plus importants du XIXe siècle, mais aussi l'un des plus étranges. Dès ses jeunes années, il s'est opposé à son père, haut magistrat. Quand il s'est vu refuser d'embrasser la carrière artistique, il a décidé de s'embarquer comme mousse sur un navire se rendant en Amérique du Sud. De retour à Paris un an plus tard, son père finit par céder et veut le voir s'inscrire à l'Ecole des Beaux-arts.
Mais le jeune homme ne veut pas de cet enseignement académique. Il entre alors dans l'atelier de Thomas Couture, qui s'était fait remarquer avec un tableau intitulé Romains de la décadence, exposé au Salon de 1847. Les rapports avec son maître n'ont pas été simples, mais Couture s'est démontré plutôt bienveillant avec cet élève assez peu discipliné et qui n'hésitait pas à dire ce qu'il pensait. La méthode de cet artiste qui n'était pas jugé académique alors a beaucoup apporté à Manet. Par ailleurs, Manet fréquente beaucoup le musée du Louvre et s'est pris de passion pour le Tintoret, et il s'est intéressé à Boucher, à Vélasquez, au Titien, à Boucher. Il s'est rendu à Amsterdam pour visiter les musées hollandais et s'est rendu deux fois en Italie. IL a copié les fresques d'Andrea del Sarto dans le cloître de la basilique Santissima Annunziata à Florence. C'est là tout le paradoxe de cet artiste à la fois rebelle et amoureux de l'art du passé. Françoise Cachin a très bien su résumé le parcours audacieux et pourtant si sage de Manet, qui a été tout le contraire de Gustave Courbet qui voulait révolutionner l'art de peindre.
Il a été le véritable fondateur de l'impressionnisme en organisant les réunions du mardi au café Guerbois et pourtant il n'a lui-même que très peu expérimenté de cette nouvelle et révolutionnaire conception de la peinture. Ce qu'il a recherché, c'est une manière toute personnelle de traduire le visible par l'artifice des couleurs et des formes. Il a poursuivi une voie qui n'appartenait qu'à lui et n'a fait scandale d'abord que pour avoir pastiché ses illustres prédécesseurs de la Renaissance avec Le Déjeuner sur l'herbe et l'Olympia. Mais il a surtout gravement choqué ses contemporains, et même ses fidèles défenseurs (comme Théophile Gautier), quand il a abordé la peinture religieuse avec le Christ aux outrages en 1863 et en 1864, le Christ aux Anges. A l'époque où paraît La Vie de Jésus d'Ernest Renan, qui a provoqué un scandale immense, ses compositions donnent le sentiment de remettre en cause les fondements de la religion.
Ces toiles vont le mettre définitivement au ban de la vie artistique du Troisième Empire et même au-delà. Déjà ses « espagnolades » qui introduisaient beaucoup de noir dans ses scènes (il ne faut pas oublier qu'il a été un grand amateur de Goya) et aussi de la grande peintre espagnole, comme celle de Murillo, il a souhaité changer de manière radicale la palette dont il s'est servi pour créer ses tableaux. Il a refusé les belles harmonies claires des artistes académiques, mais aussi la lumière qui a joué un rôle primordial chez les impressionnistes. Il est aussi vrai qu'il a aimé créer des toiles avec des teintes avec une grande fraîcheur de tons, comme dans Chemin de fer, où il fait poser pour la dernière fois Victorine Meurent. A la fin de sa vie, bien malade, il peint surtout des bouquets de fleurs qui sont de petites merveilles bien que ce ne soient que des oeuvres modestes. Et, comme toujours, les documents réunis à la fin de de ce volume sont très utiles.
L'Argent, l'argent dans l'art, sous la direction de Jean-Michel Bouhours, Monnaie de Paris / Editions in fine, 186 p., 35 euro.
Le propos de cette exposition n'est pas banal, mais il est surtout très instructif car peu traité. En effet, l'argent n'est pas un sujet pour les musées et Jean-Joseph Goux fait remarquer que beaucoup sont outrés par les prix exorbitants des oeuvres d'art de notre temps. Il s'est créé une relation assez étrange entre tout ce qui a trait à l'art et sa valeur fiduciaire. Bien sûr, pendant l'Antiquité classique, des oeuvres ont coûté des sommes astronomiques, comme, par exemple, l'Athéna trônant dans le Parthénon. Mais outre sa dimension considérable, elle était couverte d'or et d'ivoire. Le bronze des sculptures était également un matériau très coûteux. Les choses changent avec la peinture sur toile ou sur bois pendant la Renaissance.
Ce n'étaient plus les matériaux constituant l'ouvrage qui avaient un prix exorbitant, mais les artistes qui les utilisaient. La notoriété d'un peintre était souvent associée à ce qu'une création de sa main pouvait valoir autant que de ses qualités esthétiques. C'est d'ailleurs à partir de cette époque que les artistes ont commencé à exiger un statut plus élever, à souhaiter sortir des contraintes imposées par les confraternités (surtout celle de saint Luc) qui faisaient d'eux les homologues des artisans, et ont voulu être reconnus à l'égal d'un poète. La reconnaissance du statut de l'artiste fait désormais partie des débats innombrables qui ont lieu au sein du monde de l'art. Et ce statut se traduit nécessairement par une rétribution digne de cette élévation dans la hiérarchie mondaine.
Et c'est à peu près à cette époque que l'argent en tant que tel (comme objet de représentation) est entré dans la peinture flamande et hollandaise. On voit de nombreux portraits de peseurs d'argent en train d'exercer leur métier dans une boutique et dans un marché, comme on peut le voir dans le tableau de Quentin Metsys, Le Prêteur et sa femme (1514). Marc-Alain Ouakin raconte avec beaucoup de discernement les origines bibliques de la monnaie. Il rappelle un épisode de la Genèse où Abraham veut acheter une caverne pour y enterrer sa femme, Sarah. Et Dieu a créé l'homme à son image à l'aide d'un sceau.
La monaie est frappée comme ce sceau. C'est dans cet histoire du sacrifice d'Abraham let puis dans l'expression « il pour oeil » que se trouve la mot « argent » Ce n'est pas un thème très souvent employé et il n'y a guère que la Danaé du Titien qui puisse le rende aussi spectaculaire. Jean-Michel Bouhours s'est ingénié à retrace l'histoire de la monnaie depuis les temps anciens et nous fournit dans ce catalogue des exemples plutôt rares. Il inclut le culte du Veau d'or et d'autres métamorphoses formelles et symboliques qui ont fini par conduire à la monnaie telle que nous la connaissons, puis à l'usage de l'assignat et du billet de banque. L'Allégorie de la Foi et du mépris des richesses de Simon Vouet (vers 1640) est une manifestation assez peu répandue de la condamnation de l'ostentation des biens matériels. Malheureusement, son raisonnement historique est un peu maigre et elliptique. On aurait pu se pencher sur les origines de la Réforme et de la vente des indulgences qui a tant outré Martin Luther et qui a été une des causes de la Réforme. Il se développe un sujet : La parabole des mauvais riches.L'avarice est parfois stigmatisée, comme c'est le cas dans le tableau de Matias Storner. Le XVIIe siècle privilégie ces thèmes de caractère moral.
En ce qui concerne le XXe siècle, les artistes ont jeté leur dévolu sur le jeu, comme c'est le cas de Marcel Duchamp dans Obligation pour la roulette de Monte Carlo (1924) ou pour Jetons de casino de plexiglas d'Arman (1987). Le problème est ici que s'accumulent des sujets de tous les genres dans des domaines qui ne sont pas liés aux arts plastiques, comme L'Argent d'Emile Zola. Sinon, il faut inclure les Portraits à la bourse d'Edgar Degas (1878-1879) ou s'égarer dans les écrits des futuristes, tel Pesi, misure e prezzi del genio artistico rédigé par Emilio Settimelli et Bruno Corra en 1914.
Et il faut se souvenir de portrait-charge D'Adolf Hitler par John Heartfield -, Adolf, der übermensch (1932). Après la guerre, pas mal de créateurs se sont interrogés sur la question de l'argent, de manière très directe comme Andy Warhol, avec ses billets verts transformés et accumulés, comme René Magritte qui a imaginé son propre billet de banque, comme Raoul Haussmann, dans son collage Berlin-Dresde de 1921, comme Man Ray avec sa Tirelire de 1969, comme Yves Klein, avec sa performance et les objets qui y appartiennent dans Cession d'une zone de sensibilité picturale immatérielle (1962), sans parler de ses tableaux, Valeurs or de 1960. Marcel Broadhaers a sérigraphiés des d'or en 1972 dans Museum-Museum et a réalisé 100/100 % Ordre de Bourse - La Banque en 1967. Quant à Hans Haacke, il a signé en 1986 une installation baptisée Broken R.M..Et Salvator Dalì est immortalisé comme Avida Dollar dans plusieurs compositions de ¨Philippe Halsman en 1954 et le voyage se termine avec Jacques Villeglé, Claes Oldenburg, Arman, Ben, Robert Filliou et surtout Joseph Beuys, qui a longuement disserté sur la question en ne cessant de remettre en cause les fondements théoriques (plus ou moins truqués) de ce que l'argent autorise comme transaction.
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