Albert Bitran est un grand peintre abstrait français. Il est digne de cette place aux côtés de Pierre Soulages et de Geneviève Asse. L’exposition présentée par le Centre d’Art Contemporain Raymond Farbos de Mont-de-Marsan a permis de mettre en scène une riche sélection de ses tableaux des dix dernières années, ainsi que des œuvres sur papier des cycles « atypiques ». Son univers s’organise principalement autour d’une contradiction entretenue avec soin entre le noir et le blanc, où le gris devient en fin de compte la couleur dominante. Des signes ou des plages souvent réduites d’une couleur vivace, parfois éclatante, métamorphosent la composition en lui attribuant un point de fuite fictif mais prégnant. Cela ne l’a jamais empêché de faire des toiles ayant une dominante rouge ou bleue par exemple. Jamais il ne s’est arrêté à une formule : c’est un artiste exigeant, qui mène une quête permanente d’un au-delà de ses présupposés plastiques, n’hésitant jamais à prendre des risques, à mettre sa construction picturale en péril alors qu’elle est déjà d’une architecture fragile (c’est le paradoxe d’Albert Bitran : en partant d’une structure assez déséquilibrée, il parvient à construire un tableau solidement charpenté) car ce qu’il entreprend ne peut s’accomplir que sur le fil du rasoir. Son abstraction est plus qu’atypique. Elle est presque blasphématoire aux yeux des puristes. Il utilise des signes, des traits, des enchevêtrements de couleurs quelquefois des architectoniques (je fais allusion à la suite des Arcades, qui n’était pas présente dans l’exposition, mais qui marque une date importante dans sa création), des écritures au crayon, de petits dessins presque imperceptibles. En somme, il offre une œuvre à double détente : il engendre d’abord un effet d’ensemble, parfaitement équilibré alors que tout y semble à première vue aléatoire, et puis une lecture rapprochée, qui se joue dans la découverte de détails peu évidents. C’est une œuvre forte, mais aussi complexe, raffinée tendue. On y voit aussi des compositions inspirées par des écrivains (Arthur Rimbaud et ses « Voyelles », Patrizia Runfola et ses Leçons de ténèbres) et une série de beaux papiers en noir sur blanc un peu plus anciens, qui met en valeur ses dons pour un dessin raffiné et construit avec une science à la fois impeccable et insolite. Cela faisait longtemps que ce peintre qui a enrichi l’Ecole de Paris, faisant apparaître d’une autre manière d’envisager l’espace plastique n’avait pas eu une exposition de cette ampleur en France, où il vit pourtant depuis 1949. Il faut aussi ajouter que l’ancien grenier à blé du XIXe siècle où s’est installé le CAC sert à merveille la présentation de ses ouvrages. L’exposition des œuvres les plus récentes se trouvait en bas de l’édifice, alors que les merveilleux dessins à la mine de plomb et la série des Mains (avec les empreintes de ses amis philosophes, écrivains et critiques) étaient au premier étage. www.grosvenorgallery.com/artists/bitran-albert/
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