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[verso-hebdo]
12-03-2020
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Cézanne et les maîtres - Rêve d'Italie, Alain Tapié & Marianne Mathieu, musée Marmottan Monet / Editions Hazan, 240 p., 39, 95 euro.

Bien qu'il ait toujours aimé jouer au niais et à l'inculte devant ses amis impressionnistes, Paul Cézanne était loin de l'être. Mais le problème soulevé par les commissaires de cette exposition est un peu plus complexe. Nous savons que Cézanne a pastiché certaines oeuvres connues de la Renaissance, comme l'avait fait par ailleurs Edouard Manet (il suffit de songer seulement au Déjeuner sur l'herbe). Mais reste à savoir jusqu'à quel point il a voulu aller dans la parodie de l'art ancien. N'ayant pas laissé des carnets où il expose sa démarche, nous sommes en grande difficulté devant certaines de ses oeuvres. Les commissaires, eux, n'ont pas hésité, et souvent sans preuve tangible. D'autre part, ils comparent des tableaux qui sont d'auteurs peu connus ou qu'un amateur de notre époque ne connaîtrait pas nécessairement. Bien sûr, pendant la Haute Renaissance, il existe déjà une littérature sérieuse sur l'art de cette période magique en Italie, à commencer par Le Vite de Giorgio Vasari. Les concepteurs de cet événements se sont appuyés sur les critiques qui étaient faites à des artistes, ou parfois même aux réflexions qu'ils faisaient les uns sur les autres, par toujours amènes.
Je n'arrive pas à comprendre le lien qu'on pourrait établir entre Les Voleurs et l'âne (circa 1870) de Cézanne et Le Bon Samaritain (1550) de Jacopo Bassano. En revanche, le rapprochement entre La Femme à l'hermine (1885-1886) et Le Portrait de jeune femme du Greco est plus évident, qu'il ait choisi cette oeuvre particulière ou une autre. Mais l'hermine nous amène forcément sur les traces de Léonard de Vinci - d'où le conflit évident entre le sujet et son traitement. Il est aussi assez problématique de savoir su sa Femme étranglée (1875-1876), une petite esquisse jamais élaborée, se rapproche d'une belle Descente de croix du Tintoret ! Je dirais plutôt que l'artiste a traité des sujets que Francisco Goya avait exécutés le premier. Mais les a-t-il seulement vus ? En son temps, on ne parlait guère de ces ouvrages « mineurs » de Goya. Toutes ces comparaisons me semblent bien approximatives et, je le répète, sans l'ombre d'une preuve. Il n'y aurait au fond que des connivences stylistiques.
Le chapitre consacré à Naples semble encore moins crédible que le précédent. Seule la Toilette funéraire (1869) pourrait avoir une quelconque affinité avec La Déposition du Christ (1625) de José de Ribera, mais c'est une pure conjoncture ! Maurice Denis, qui a été le premier à écrire sur Cézanne, a bien vu son désir de saisir la nature comme l'avait fait Nicolas Poussin. Cela paraît confirmé par un petit groupe d'oeuvres de sa jeunesse. Mais aller au-delà me semble encore une fois excessif et sans fondements sérieux. Dans La Pastorale (1870), il parodie Le Déjeuner sur l'herbe de Manet (1863), cela n'est que trop évident. Et quand il peint une Nature morte avec crâne et chandelier, on ne peut le rapprocher de Salvador Rosa et sa Vanité de 1640 qui a une tonalité dramatique très poussée, alors que Cézanne traite ces éléments comme n'importe quel autre, sans emphase, sans une tonalité religieuse, même avec neutralité totale.
A la fin de l'exposition on découvre des artistes italiens du XXe siècle qui se sont vraiment inspirés de Cézanne et cela est très pertinent étant donné la méconnaissance que le public français a de l'art italien du début du XXe siècle, de Carlo Carrà à Mario Sironi. Je ne suis pas certain que le visiteur en saura plus en sortant de l'exposition ou qu'il s'instruira à son propos dans le catalogue. Mais je pense que les erreurs commises par les commissaires peuvent avoir un rôle certain dans l'appréciation de Cézanne. Ce qui était valable (et très visible) en ce qui concerne Manet, ne l'est pas dans son cas. Mais il est sûr que comme tout peintre de son époque, il ait eu en mémoire des oeuvres qu'il a vues au musée ou dans des ouvrages avec des reproductions, consciemment ou non. Cette question est sans doute à retravailler dans une autre perspective, mais existe dans sa recherche. Ce catalogue devrait au moins nous apprendre à ne pas prendre trop rapidement des vessies pour des lanternes.




Otto Freundlich, la révélation de l'abstraction, Christophe Duvivier & Sakia Ooms, Editions Hazan / musée de Montmartre / jardins Renoir, 160 p., 19, 95 euro.

D'Otto Freundlich (1878-1943) qui est issu d'une famille juive allemande convertie au protestantisme, nous ne savons que peu de choses en France. Il y a pourtant passé une bonne partie de son existence. Il a fait ses études artistiques, littéraires, philosophiques à Berlin. Il a entretenu une correspondance suivie avec Herwarth Walden ainsi qu'avec son cercle d'amis réunis dans le Verein für Kunst. Fin 1905, il a fait un voyage en Italie et a visité Florence. Il y est retourné l'année suivante. Il est retourné étudier à Berlin dans des écoles d'art privées. Il a fait un premier séjour à Paris en 1908. Il s'est installé au Bateau-Lavoir. Il a fait la connaissance de Picasso, son voisin de palier, puis avec Georges Braque et de Guillaume Apollinaire.
Au mois de juillet, il est rentré à Munich et y a écrit ses premiers articles. Il est revenu à Montmartre en 1909 et Clovis Sagot lui organise sa première exposition personnelle. Un an plus tard, il a décidé d'installer son atelier à Berlin (c'est là qu'il a réalisé ses premières oeuvres en volume constructivistes) et a alors rejoint la Berliner Secession. Il a des liens avec les expressionnistes, en particulier Schmidt-Rottluff. Mais il est de retour à Paris dès l'automne. Il sculpte la Grande tête qui est abstraite en 1912 (un an après l'impressionnant Masque, qui est encore figuratif). L'année suivante, Apollinaire l'a cité dans un de ses comptes rendus écrits pour la revue Der Sturm. Malheureusement, il ne reste quasiment rien de cette période pourtant fondamentale. En 1914, il est de nouveau à Montparnasse. Et participe au premier Salon d'Automne à Berlin. Il a choisi de ne pas choisir entre Berlin et Paris : pour lui ce va-et-vient est fructueux. La guerre va tout bouleverser. Il est affecté aux services sanitaires.
C'est alors qu'il rencontre Raoul Hausmann. Il a pris part à la première exposition dadaïste à Cologne avec Max Ernst et collabore aux revues dadaïstes, comme Der Ventilator, Die Erde, etc. En 1920, il refuse la proposition de Gropius d'enseigner au Bauhaus. Il adhère en revanche au Novembergruppe et a rejoint les artistes anarchistes de Kommune. En 1921, il est invité à l'exposition Grosse Berliner Kunstausstellung. Il est présent dans de nombreuses expositions d'avant-garde et pas seulement en Allemagne : en 1923, il est présent au Salon des Indépendants de Paris. Il a connu pendant les années 1920 le succès pour ses peintures comme pour ses sculptures. Il a réalisé des tapisseries et des vitraux. Il a achevé en 1929, sa première sculpture monumentale Ascension. Mais les temps changent. Il a adhéré à l'Association des Artistes Révolutionnaires. Il a aussi écrit un article dénonçant la fermeture du Bauhaus par les nazis. En 1934, il a rompu avec le groupe Abstraction-Création. Il a participé l'année suivante au Salon de l'art mural et à celui des Indépendants. Sa Grande tête a figuré sur la couverture de l'exposition « Entartete Kunst ». Mais son succès ne se dément pas dans le reste de l'Europe. Il a participé à la première exposition des Réalités Nouvelles.
En 1939, il est interné comme sujet allemand. Libéré en février 1940, il a participé au Salon des Indépendants. Il est de nouveau interné entre avril et juin. Il va s'installer dans les Pyrénées à Saint-Martin-de-Fenouillet, où il peut se cacher. Dénoncé en 1943 par un habitant du cru, il est arrêté par la gendarmerie nationale. Il a séjourné au camp de Gurs, puis dans celui de Drancy et est envoyé au camp de Sobibor, où il est mort la même année. Voilà, brièvement résumée, l'existence d'un grand artiste allemand qu'on s'est empressé de passer aux oubliettes. Le passionnant catalogue nous montre de superbes compositions de l'entre-deux-guerres (dont d'ailleurs certaines sont figuratives) qui sont une véritable révélation. Il nous fait aussi découvrir de splendides gravures. Cette belle exposition devrait nous faire changer un peu d'optique sur l'art abstrait pendant cette période et nous contraindre à réhabiliter dignement ce grand créateur qu'on s'est empressé d'oublier avec les dizaines et centaines de milliers de morts sans nom de Sobibor. A ne manquer à aucun prix.




Les Ottomans par eux-mêmes, sous la direction d'Elisabetta Borromeo & Nicolas Vatin, Les Belles Lettres, 480 p., 26,50 euro.

Il existe dans notre pays de nombreuses histoires de l'Empire ottoman. Mais cet empire gigantesque qui a régné pendant plusieurs siècles sur trois continents n'existe pas dans nos livres d'histoire scolaires. Jamais on ne nous a parlé du siège de Vienne et à peine de la prise de Constantinople en 1453, sans autre explication. On enterre l'Empire byzantin (dont d'ailleurs on ne sait pas beaucoup de choses) et l'on nous dit que c'est une date marquante pour le destin de l'Europe. Mais on oublie de nous dire que ces Ottomans ont possédé quasiment un tiers de l'Europe ! Ils réapparaissent furtivement si l'on découvre le tableau d'Eugène Delacroix, Le Massacre de Chio. On les retrouve chez Lord Byron et un peu dans Les Orientales de Victor Hugo. Mais ces grandes oeuvres, auxquelles il faut ajouter Le Bourgeois gentilhomme de Molière et de Lully et une pièce de Racine ne sont pas en mesure de combler cet énorme vide historique. Et cela vaut pour les temps qui courent.
On ne veut rien savoir et oublier l'humiliante défaite des Dardanelles ! Pourtant, tous ces siècles où ont régné les sultans ottomans ont été le prolongement direct de ce qu'avait été l'Empire romain. Les mêmes règles s'appliquaient aux pays soumis et aucune obligation de se convertir à l'Islam. Et demeure pour moi le mystère de cette volonté de faire partie de l'entité européenne, se détachant de tous les peuples turcophones de l'Asie centrale. La Turquie n'a-elle pas été le premier pays à frapper à la porte de l'Union européenne ? Mais cet ouvrage-ci n'est pas une histoire à proprement parler. C'est un choix de textes évoquant la manière dont les sujets ottomans se sont considérés au fil du temps ou comment ils ont été vus par les peuples qui se trouvaient sous leur domination. Le plus singulier de tous, à mes yeux, est celui où le patriarche, Maxime III fait des recommandations aux chrétiens orthodoxes après la conquête, en 1477.
Personne n'ignore que, comme les Romains, les Ottomans n'ont pas imposé l'Islam à tous. Ils se sont limités à exiger un impôt à tous ceux qui pratiquaient un autre culte. Maxime tient des propos assez modéré, incitant à accepter les nouvelles croyances, tout en soulignant le fait que les croyants devaient être encore plus solidaires de leur pasteur et de leur foi. Il fait un certain nombre de mises garde, parfois sévères, mais tout en indiquant aux fidèles de ne pas s'opposer aux nouveaux possesseurs de l'ancien monde byzantin. Plein de sagesse sur le plan politique, Maxime III se méfie dans cette déclaration de ne pas se laisser aller à trop de connivences avec les musulmans. Un autre texte, du XVe siècle,doit retenir notre attention, c'est celui qui raconte les origines des Ottomans. Son intérêt n'est pas franchement historique puisqu'il ne respecte pas la vérité historique. Mais il possède deux aspects intrigants : le premier est de donner une vision ottomane de ces sources, et la seconde est de nous montrer qui a pu être Osman Gazi, auquel un derviche aurait prédit qu'il deviendrait bientôt le maître d'un vaste empire. C'est d'abord une tentative de généalogie et aussi la fondation d'une légende sur le destin des Osmanli. Ce qui est passionnant dans ce fort volume, c'est que les textes sont classés selon différents thèmes, comme la justice, les règles régissant la vie des sujets non musulmans (on découvre, par exemple, une chartre pour le peuple arménien), l'administration des provinces, la naissance d'une conscience nationale, etc.
Beaucoup de ces écrits remontent au XIXe siècle, à l'époque des réformes, de la modernisation, etc. Mais il n'empêche qu'ils peuvent parfaitement éclairer les quelques quatre siècles qui ont suivi la prise de Constantinople avec d'excellentes présentations, complètes, mais jamais ésotériques. Ce volume n'est pas ennuyeux un instant, même quand il est questions de problèmes des conversions ou celui des relations entre les différents peuples et le pouvoir. Il ne s'adresse pas exclusivement aux seuls spécialistes. Il peut intéresser ceux qui, comme moi, s'efforcent de mieux connaître cet univers et cette culture et de pas avoir pour seule référence l'Histoire de la Turquie d'Alphonse de Lamartine (1851) - texte remarquable et jamais réédité.




Vie à vendre, Yukio Mishima, traduit du japonais par Dominique Palmé, « Du monde entier », Gallimard, 272 p., 22 euro.

De tous les romans de Yukio Mishima, mon préféré demeure Le Pavillon d'or. Mais cette Vie à vendre me semble le plus curieux de tous. Il a d'ailleurs paru dans des circonstances bien particulières, sous forme de feuilleton dans Shûkan Playboy en 1968 (vingt-et-une livraisons !). La construction de l'histoire a dû sûrement jouer un rôle fondamental dans l'esprit et l'originalité de cette fiction (aucun autre ouvrage de l'auteur ne peut s'en rapprocher). De quoi s'agit ? Un homme, Hanio Yamada, est las de son existence. Au point de vouloir la quitter brutalement. Mais il ne parvient pas à se suicider. Alors lui est venue l'idée de passer une petite annonce dans un journal pour s'offrir contre rétribution à qui voudrait bien de lui pour n'importe quelle tâche. Un homme le contacte assez vite et lui propose de se débarrasser de son épouse. Notre héros accepte. Mais rien ne se passe comme prévu, il pose même déshabillé avec cette femme pour un artiste, et dès lors, toutes sortes d'aventures rocambolesques s'enchevêtrent jusqu'au moment où il comprend que cette femme a bel et bien été assassinée, mais pas par ses soins.
La fois suivante, c'est une femme qui fait appel à lui. Celle-ci ne lui garantit pas de s'en sortir vivant. Elle lui apprend qu'elle est bibliothécaire de son état et qu'elle a fait l'acquisition d'un ouvrage rare sur les coléoptères. En consultant cette encyclopédie parue en 1927, elle apprend qu'il existe un hanneton rare qui a des pouvoirs somnifères dangereux. Puis l'on sait qu'elle a des relations avec des personnages un peu inquiétants impliqués dans des trafics. Elle cherche à leur échapper. Le récit ne cesse de changer d'optique. Maintenant, il s'agitait d'agents de l'ACS. Hanio est fascinée par ce que cette femme lui relate. Il tente de recomposer le puzzle presque inconcevable et surtout invraisemblable. A un certain point, il s'éprend tout d'un coup de cette vieille fille. Mais cela le conduit à une autre tentative de suicide avec un révolver, qui échoue également.
La nouvelle de la mort de la femme l'avait ébranlé nerveusement. Plus tard, il rencontre une jeune fille dans le quartier de Shinjuku et la suit jusque dans un bar. Elle s'appelle Machiko. Quand il rentre chez lui, il y trouve un étudiant. Celui lui demande de s'occuper de sa mère. Hanio, après quelque temps, s'aperçoit que cette dame est un vampire. Il se trouve à l'hôpital peu après, et il apprend que cette femme, qui était maléfique, était décédée dans un incendie. Quand il sort de l'hôpital, il se trouve emporté dans une histoire d'ambassade et d'espions assez emberlificotée. Plus on avance dans son parcours, plus les choses s'accélèrent et deviennent obscures, parfois invraisemblables. Avec une autre femme, qui désire choisir avec lui sa dernière demeure, il vit des aventures encore plus échevelées et embrouillées. Hanio ressort vivant de toutes ces péripéties, éberlué et incrédule. Les histoires n'ont aucune logique et on comprend que l'écrivain s'est beaucoup diverti à jouer avec des genres qui sont bien loin de ce qui est au coeur de sa littérature. C'est là une curiosité assez divertissante à lire.




Laura est nue, Eric Rondepierre, Mareste éditeur, 288 p., 19 euro.

Eric Rondepierre est romancier, essayiste mais aussi artiste. Son oeuvre, depuis longtemps, a trait à la photographie et au cinéma. Il ne fait pas partie des écrivains à la mode car, à Paris, on a pris la fâcheuse habitude de lire des ouvrages plutôt médiocres, traitant de sujet à la mode, et écrit dans un français plus que réformé, pour ne pas dire dégradé (le subjonctif y est interdit, entre autres choses). Il faut ajouter que les bons écrivains qui nous restent, à l'exception d'une poignée qui est célèbre - guère plus (on peut les compter sur les doigts d'une main), ne font pas recette et sont même inconnus. C'est un signe sinistre des temps.
Le roman qu'il nous propose aujourd'hui possède une beauté étrange et rare. De quoi s'agit-il ? Au début tout commence par une enquête : un notaire suisse, maître Hérault, charge de retrouver une jeune femme, Laura Berger, indirectement pour une affaire de succession. L'affaire ne semble pas être d'une grande difficulté pour ce spécialiste. Son nom était associé à celui de Fabrice Morelli, qui avait écrit un « roman » (mais s'agit-il vraiment d'un roman ?) où il raconte sa liaison avec la mystérieuse Laura. Il ne tarde pas à trouver des pistes : Fabrice Morelli a bel et bien publié un livre en 1998. Quant à Laura, elle figure sur l'affiche d'un film tourné par Vincent Niével, intitulé Laura est nue.
Avant ça, elle a travaillé pour la revue Tous en scène. Salmon ne tarde pas à retrouver le cinéaste et à le rencontrer. Il lui dit ne plus rien savoir de Laura, qui n'a plus eu de présence dans le milieu cinématographique. Il est au courant de sa liaison avec Fabrice Morelli, un universitaire. Il lui raconte aussi l'essentiel de la vie de son père, qui était autrichien et qui a eu une existence assez malheureuse et compliquée. A mesure que l'investigation avance, Salon trouve des documents qui nous informent sur les protagonistes, mais le récit prend peu à peu une autre tournure. D'une part, il s'agrémente de maintes réflexions sur les relations entre la littérature, le théâtre, le cinéma, même la philosophie. Il change donc de tonalité. D'autre part, on commence à entrer dans l'intimité de Laura et de Fabrice, ce qui en fait une histoire labyrinthique et qui révèle toutes les facettes de la personnalité. Cela devient prismatique et fascinant. Des figures éminentes font leur apparition dans les échanges, comme Alain Robbe-Grillet et Antonin Artaud, Hegel, Diderot, par exemple. On a le sentiment que le roman se métamorphose progressivement en introduisant des modalités diverses. Les spectacles qu'ils voient, les films qu'ils voient ensemble, se mêlent à des évocations livresques, tout cela métamorphosant l'esprit de l'histoire.
Plus on avance, et plus ses personnages prennent consistance et se trouvent les véhicules d'une pensée, alors que, simultanément, nous découvrons d'autres aspects prismatiques de leur sensibilité, de leur pensée, de leurs sentiments. L'un et l'autre se façonnent une vision du monde et des arts, qui n'est pas identique, mais qui laisse subsister une dialectique. Mais après un séjour en Suisse, leurs rapports se sont dégradés. Elle lui intime d'autres rapports sexuels, plus ritualisés et plus en sa faveur. Toutefois, leurs controverses sur le cinéma, en particulier, ne cessent de prendre plus d'importance. Plus leurs intériorités respectives se définissent au sein de leur couple, plus l'on découvre la nature de leurs goûts et de leurs méditations, plus la fiction se fait intense et déroutante. Laura a tendance à disséquer avec une précision maniaque les films qui l'ont marquée profondément Plus leur histoire se prolonge, plus l'érotisme et la connaissance paraissant faire partie d'un tout indissoluble. En juin 2000, elle s'emploie à rédiger un mémoire. La séparation étant toujours une épée de Damoclès suspendue au-dessus d'eux. Mais leur colloque permanent demeure ce lien qui tenait lieu de l'amour puisque le désir n'était jamais bien loin.
L'ouvrage s'achève par une sorte de mystère sur ce qu'il est advenu d'eux...Rarement un roman contemporain français possède cette densité et cette originalité. Ce que je vous en ai dit n'est qu'une réduction maladroite, car la chose est bien plus subtile et sophistiquée. Mais le fait est là : Laura est nue demeurera un livre qui compte.




Les Variations de la citerne, Jan Wagner, traduit de l'allemand et présenté par Julien Lapeyre de Cabanes & Alexandre Plateau, Actes Sud, 128 p., 16 euro.

Ce poète allemand, encore jeune (il est né en 1971 à Hambourg) s'est forgé une très solide réputation dans son pays. La traduction de ce volume lui a valu de recevoir deux prix dans notre pays (le prix Nelly-Sachs et le prix Max Jacob étranger). D'après ce que nous disent ses préfaciers, Jan Wagner n'est pas un expérimentaliste. Bien au contraire. Il en est revenu à une forme de poésie qui, sans être classique ou rétrograde, met en avant la mélodie, la forme bien ciselée et épurée, en somme à une poésie qui tente de concilier l'ancien et le moderne, en tout cas dans les thèmes qu'il choisit. En réalité, la question est bien plus épineuse. S'il compose des vers rimés, il a un mode d'exposition très singulier. Ce qu'il entend nous conter a de vagues réminiscences symbolistes et parfois surréalistes. Ses poèmes ressemblent à des contes improbables. Il y a là un mélange de culture et de sacrifice aux thèmes actuels, qui donne à ses écrits une curieuse facture. De plus ses constructions sont bizarres, et obéissent à une logique qui n'appartient qu'à lui. Il s'arrime à des bribes de mythologies de vieilles cartes de géographie, des moments d'histoire aussi. Impossible de vraiment le définir, surtout pour moi qui ne lit pas l'allemand.
Manifestement, son style, son état d'esprit, ont plu ici en France où la poésie se porte encore plus mal que le roman. Ce creux de la vague de la culture française laisse place à des voix venues de l'étranger et je dois reconnaître, sans tout bien comprendre, que je trouve chez Jan Wagner quelque chose d'assez singulier et séduisant. Bien sûr on est loi de Georg Trakl, Ernst Toller, Stefan George ou Rainer Maria Rilke. Mais il a su à la fois être de son temps et plonger dans les racines de sa culture. Ce n'est déjà pas si mal. Cela vous changera de la poésie mirlitonesque de Bonnefoy ou de Butor, de Kenneth White et de leurs disciples appliqués et que nous devons trouver dans la plupart des livres d'artistes qu'on publie encore, ici et là, dans notre malheureux pays, qui ne s'est jamais remis de la perte d'Artaud et de Ponge. En tout cas, ce Jan Wagner a du talent et un imaginaire. C'est déjà beaucoup.
Gérard-Georges Lemaire
12-03-2020
 
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Verso n°136

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