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[verso-hebdo]
28-01-2021
La chronique
de Pierre Corcos
Page, ville blanches
« Sur le vide papier que la blancheur défend »... Combien de créateurs pourraient sans doute murmurer ce vers de Mallarmé, extrait de Brise marine ! Le moment suspendu, si nécessaire à l'inspiration, échappe à la continuité du temps normal segmenté, biographique ou de l'actualité. Et rencontre cette vacuité, blanche de tous les possibles. Mais ce ne sont pas seulement les créateurs qui éprouvent périodiquement ce besoin d'une fuite, d'un ailleurs, d'une parenthèse, d'une échappée vivifiante. Ils sont nombreux tous ceux qui, pour ne pas devenir « âmes mortes » (Gogol) c'est-à-dire totalement habituées, aspirent momentanément à échapper à leur quotidien, à leur entourage, aux conventions dominantes.

Dans la vingtaine de films composant l'oeuvre du cinéaste Alain Tanner (né en 1929, premier réalisateur suisse à avoir su s'imposer hors de son pays)), on trouve le plus souvent des personnages qui s'échappent de leur espace-temps habituel pour se refaire une enfance, une virginité, ouvrir une page blanche. Dans le focus actuel sur le cinéma suisse proposé par l'application gratuite TV5 Monde Plus, il est possible de (re)voir deux chefs d'oeuvre d'Alain Tanner : Charles mort ou vif (1969) et Dans la ville blanche (1983). Si la fugue de Charles Dée, patron à l'aube de la retraite et héros du premier film, vaut comme critique du système capitaliste et de ses aliénations, tout comme la marginalité de Rosemonde (La Salamandre 1971), c'est que la valeur Évasion, prônée par le cinéaste, reste encore imprégnée de l'esprit 68 - contestation et utopie - marquant Jonas aura 25 ans en l'an 2000 (1976). Mais le héros de Dans la ville blanche, Paul (Bruno Ganz), ne récuse pas le système, il se contente juste, à l'occasion d'une escale à Lisbonne, de suspendre son retour prévu en Suisse auprès de sa compagne Elisa. Un temps d'arrêt pour ce marin technicien (part autobiographique : à 21 ans, Tanner s'est engagé comme écrivain de bord sur les cargos de la marine génoise), une échappée coïncidant avec la découverte éblouie, enthousiaste d'une ville du sud. Et l'occasion d'un amour sensuel avec Rosa (Teresa Madruga), la serveuse d'un bar-hôtel, incarnant tout à la fois la vitalité et la fragilité de cette liaison que l'on pressent pathétique et sans lendemain. Paul a peu de bagages, il tient à ses notes, son harmonica, son lecteur de cassettes, et surtout à sa petite caméra Super-8 avec laquelle il tourne des films courts, qu'il envoie régulièrement, par colis, à sa compagne. Donc, pour le spectateur, deux régimes de filmage s'instaurent et, en se heurtant, créent une profondeur : les prises de vue muettes, subjectives, immédiates et un peu floues de Paul sur Lisbonne, sa chambre d'hôtel ou bien Rosa, suscitant la mélancolie du futur souvenir, et puis le filmage ample du cinéaste qui englobe aussi bien les protagonistes que Lisbonne. Amoureusement filmés (Tanner refuse la notion de « décor » mais veut pleinement habiter, ressentir le lieu du tournage), les azulejos, les vieux murs, les petits trams jaunes, les ruelles ombragées, le marché aux poissons, le linge pendu aux fenêtres, les cafés pleins d'hommes, les nuits chaudes des quartiers populaires, la splendeur bleutée du Tage ou les interminables escaliers de l'Alfama exaltent, chantent Lisbonne. Un chant que, douze ans plus tard, Wim Wenders reprendra dans Lisbonne Story... Mais « la ville blanche », chez Tanner, vaut plus que pour ses charmes indéniables. Elle représente aussi un ailleurs exotique et sensuel pour celui qui étouffait dans une Suisse éprouvée comme terne, neutre, aseptisée, ennuyeuse ; mais surtout elle symbolise le blanc du possible, l'espace où « le temps s'est défait » (sic). Dans l'une des premières séquences du film, Paul remarque une curieuse horloge dans le café-hôtel où travaille Rosa. Cette horloge marche à l'envers... Mais non, dit finement Rosa, elle marche à l'endroit, c'est le monde qui marche à l'envers ! Et si Paul est comparé à un axolotl par son patron, c'est que cette larve étrange, selon Julio Cortázar (citation envoyée par sa compagne), « abolit l'espace et le temps par une immobilité pleine d'indifférence ». Paul écrit et répète à Elisa qu'il ne fait rien et qu'il s'en réjouit, elle ne comprend pas. D'autant plus que la compagnie affrétant le cargo lui a signalé la défection de Paul. Ce rejet de la vie sociale se paye cher : Rosa aussi ne comprend plus ce contemplatif sans projet, la situation se complique et l'argent vient à manquer. Le retour s'impose...

Mais peu importe, « la ville blanche » a métamorphosé Paul, a libéré les couleurs en lui, virtuelles comme en tout blanc. Le technicien naguère affairé devant ses machines est devenu poète ou, en tous cas, l'être sensitif et sensuel dont Alain Tanner, à défaut d'utopie politique, espère l'avènement. « Je n'en sais pas plus qu'avant », constate Paul, mais là n'est pas la question. Il s'agissait de voir/filmer ces rideaux rouges que gonflait la brise tiède, d'écouter les mille bruits de « la ville blanche », de se mêler à de vieux joueurs de dominos, d'arpenter sans cesse Lisbonne le nez au vent, et de tout ressentir comme un être neuf.
Et si la leçon de « la ville blanche », de la page blanche, du blanc (et du cinéma d'Alain Tanner par la même occasion) était là ? Pouvoir s'échapper enfin de ce qui est déjà écrit, annoté, raturé, pour renaître à la virginité de l'esprit neuf ?
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
28-01-2021
 
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Verso n°136

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