Le Louvre, Coffret l'essentiel, Edouard Bertinot, Edition Hazan, 240 p., 35 euro.
Quand j'étais lycéen, ma mère m'emmenait le dimanche (en premier lieu parce que c'était son jour de repos, mais aussi parce que l'entrée était gratuite ce jour-là.) Je me souviens que l'énorme bâtiment était plutôt désert et la Grande Galerie, où se trouvaient, entre autres Le Radeau de la Méduse de Théodore Géricault et L'enterrement à Ornans de Gustave Courbet (tellement noirci qu'on distinguait à peine les figures) et je rêvais d'y revenir pour faire du patin à roulettes ! Ce musée était comble de chefs-d'oeuvre et il avait l'aspect d'un endroit désuet et poussiéreux (ce qui n'était pas le cas, mais il en donnait l'impression). C'est là que j'ai découvert l'art ancien.
Bien sûr, c'était une approche un peu désordonnée et ma mère n'avait pas les connaissances pour m'instruire en ce domaine. Mais c'était tout de même un plaisir et un premier apprentissage. Depuis lors, le Louvre s'est transformé, il a été entièrement remodelé et la disparition du ministère des Finances a permis l'installation des sculptures. Aujourd'hui quelques dix millions de personnes le visitent chaque année et l'édification de la pyramide de l'architecte américain d'origine chinoise Peï a accru l'attraction de cet ancien palais dont Philippe-Auguste avait commencé la construction, ont fait que rendre ce lieu l'un des bâtiments les plus visités au monde.
Mais il a perdu dans cette rénovation sa poésie et aussi s'est changé en un labyrinthe où l'on se perd assez vite. La muséographie moderne est devenue une industrie. Je me souviens des copistes installés dans les salles sous l'oeil distrait des gardiens. Ils n'ont pas disparu, mais on ne les remarque quasiment plus dans cette foule qui, en général, n'est là que pour voir La Joconde ! On y a aussi introduit l'art contemporain avec des expositions d'un intérêt parfois discutable et aussi un plafond peint par Cy Twombly. Cette singulière façon d'introduire à tout prix la modernité alors qu'existent désormais le musée d'Orsay consacré au XIXe siècle et le Centre Pompidou qui présente l'art moderne et l'art contemporain est une maladie qui ne cesse de se répandre. Ce sont les conservateurs qui ont cru bon d'intromettre le présent dans un temps du passé.
Il est vrai que le Louvre, depuis ses origines royales, quand ses collections étaient réservées aux rois et à leurs cours, contenaient les oeuvres des artistes de l'époque des souverains en plus d'ouvrages de la Renaissance, et ensuite de l'amorces d'objets provenant de l'Antiquité. Quand il est devenu un musé ouvert au public en 1793, il recevait déjà le Salon qui était le grand événement artiste de l'année dans le Salon carré. Puis Napoléon n'a eu de cesse de l'enrichir avec l'aide d'un conservateur d'une rare qualité, Vivant Denon.
Ce magnifique coffret présente un choix assez large des peintures, des sculptures et des trésors de toutes sortes qu'il contient au point d'être le plus vaste musée du monde. C'est une manière très plaisante de le découvrir et d'en apprécier la richesse insondable. Dans le livret qui accompagne le volume en accordéon, avec soixante reproductions, Edouard Bertinot raconte très bien l'histoire de ce qui a d'abord un château-fort, puis un palais où ont vécu les souverains jusqu'à Louis XIV. C'est un cadeau appréciable à faire à ses proches ou à ses amis et même un cadeau à se faire !
Le Bonheur dans la littérature et la peinture, Pascal Dethurens, Editions Hazan, 192 p., 35 euro.
Le titre de cet essai rappelle les dissertations de la classe de terminale ou encore l'examen de philosophie du baccalauréat. Le bonheur, nous l'avions étudié quand nous avons commencé à étudier les oeuvres de Spinoza, car le bonheur, au contraire de tous les grands auteurs qui l'ont précédé, le bonheur était à ses yeux, le but suprême de sa pensée : les menées politiques et spéculatives de l'humanité ne sauraient avoir d'autre issue que la conquête du bonheur. Dans une interprétation plus large, le bonheur se révèle être une donnée très vaste, qui embrasse une foule de sentiments, de sensations, de plaisirs ou de moments intimes. Personne ne pourrait être surpris que l'auteur ait chois un tableau de Pierre Bonnard pour commencer à développer son point de vue : il s'agit de La Terrasse à Vermonnet (1939) où le peintre fait découvrir la jouissance plénière de l'être par le biais d'un certain paysage, de ses couleurs et d'une relation apaisée et plaisante avec la nature.
Pascal Dethurens s'efforce d'explique cette notion par l'exemple plus que par un discours de caractère théorique. Il nous offre pour exemple un tableau de Jan Steen, La Fête de saint Nicolas (vers 1665-1668). Le bonheur n'est peut-être pas son sujet, mais il en est un élément essentiel. Mais l'auteur éprouve presque aussitôt une difficulté à situer l'idée de bonheur dans l'histoire occidentale. Par exemple, il ne fait pas allusion à l'abbaye de Thélème de François Rabelais. Il cite toutes sortes d'écrivains, de Dante à Shakespeare sans expliquer en quoi ils apportent quelque chose de pertinent à cette quête de la félicité.
Et puis les Anciens ne sont pas convoqués (il se contente d'une citation d'Aristote. Il ne parle du Bonheur de Cicéron). De Jean-Jacques Rousseau à Emile Zola, en passant par Saint Just (qui a été le théoricien du bonheur pendant la Révolution), on ne parvient pas à se faire une idée de l'évolution des idées ni d'ailleurs ce que peut recouvrir ce terme. Il fait état de l'Olympe des dieux païens et puis de l'Âge d'or (en particulier le tableau de Cranach). Mais peut-on y voir des lieux de bonheur ? Cela n'apparaît qu'à l'époque des symbolistes, par exemple Maurice Denis ou Paul Signac. La confusion de ces lieux idyllique et mythique, ou théologiques, comme le paradis chrétien ou musulman et un concept qui n'a pas cessé de changer de sens et d'importance au fil des siècle rend la démonstration problématique.
Heureusement, l'iconographie donne des repères plus convaincants, surtout avec les impressionnistes. Je pense qu'il faut laisser de côté le discours de l'auteur au bénéfice des illustrations qui posent mieux que ses écrits ce que peut signifier le bonheur. On comprend surtout que le bonheur est un objectif plus ou moins abstrait selon les uns et les autres et qu'il demeure une interrogation, même si beaucoup le voit comme un désir de l'homme sous des formulations souvent très différentes. Laissez de côté les thèmes de Dethurens pour aller glaner dans les tableaux ou dans certaines des citations qu'il a choisies pour commencer à s'interroger sur ce mot qui est aussi un idéal. Et là, il faut commencer avec Pindare et Virgile ou encore d'autres grands poètes de l'Antiquité afin de remonter le fil du temps et comprendre de quelle façon le siècle des Lumières puis l'ère révolutionnaire ont pu lui donner une autre orientation, chaque fois en modifiant profondément la réalité.
Face au soleil, un astre dans les arts, sous la direction de Marianne Mathieu & de Michael Philipp, Editions Hazan / musée Marmottan, 240 p., 35 euro.
Il s'agit ici du catalogue qui se déroule actuellement au musée Marmottan jusqu'au 29 janvier 2023. Le point de départ est le célèbre tableau de Claude Monet Impression, soleil levant, que le peintre a peint au Havre le matin du 13 novembre 1872. Ce tableau a été exposé un an plus tard, et a inspiré à un critique malveillant le terme d' « impressionnisme ». Depuis lors, il est devenu l'oeuvre la plus emblématique de ce mouvement qui a révolutionné la seconde moitié du XIXe siècle.
Dans le cas présent, il a donné l'idée aux commissaires de créer une exposition sur le thème du soleil. Il me paraît un peu vaste et un peu vague car, depuis les temps les plus reculés, le soleil a été vénéré et par conséquent souvent représenté de Bâ à Apollon, hélios, Amon (la liste est bien loin d'être exhaustive) sans oublier Aton inventé par le sulfureux pharaon Akhénaton, qui avait tenté d'imposé une théologie monothéiste en Egypte. On note que la représentation du soleil est loin d'être abandonné dans notre Moyen Âge chrétien, comme le prouve ici la Vision de saint Benoît (début du XVe siècle) de Giovanni del Biondo. Et l'étude de l'astronomie introduit un autre mode de représentation qui a évolué au fil des découvertes. Plus tard, sa lumière devient un élément important chez Caspar-David Friedrich, Claude Gelée dit Le Lorrain ou chez Claude-Joseph Vernet. Cette quête picturale est magnifiée par Turner.
Par ailleurs, la signification magnifiée et humanisée de l'astre du jour, ne serait-ce que dans les figurations avantageuses et politiques de Louis XIV. Ce n'est d'ailleurs que la prolongation des arts de la Grèce ancienne et de la Rome impériale. Et le soleil ne disparaît pas de l'iconographie chrétienne en adoptant des significations parfois différentes. Le problème auquel on se heurte bientôt, c'est que l'exposition et donc l'ouvrage se transformes en une énumération de types de symboles ou de métaphores. Ce n'est bien sûr pas tout à fait dépourvu d'intérêt - loin de là - mais Claude Monet n'est plus ici qu'un pur prétexte à une longue digression sur toutes les formes pour représenter le soleil à travers l'histoire. La section exclusivement dédiée à la peinture occidentale est elle-même pléthorique par définition, et l'on doit se contenter de quelques exemples, comme la toile extraordinaire qu'Edvard Munch a pu signer entre 1910 et 1913). Et, en plus de Vincent Van Gogh, on découvre des compositions de Charles-Marie Dulac (Soleil levant à Assisse) ou l'étonnant Coucher de soleil, Fontainebleau (1900) de l'artiste danois Scheyheyber-Muller. Pour ce qui est l'art moderne, on peut découvrir d'Otto Freundich, daté de juin 1922 ou Le Coucher de lumière (arc-en-ciel cosmique), les Contrastes simultanés de Sonia Delaunay, peu,ou encore le curieux Soleil levant d'Otto Dix (1913). Les auteurs n'ont pas oublié Les Constellations de Joan Mirò mais ont cru bon de nous accabler de nombreux tableau de Gérard Fromanger, disparu voici peu, qui n'est pas l'artistes que nous aurions espéré dans cette « collection imaginaire ».
En dépit de ces défauts flagrants, cet événement vaut le déplacement et le catalogue nous offre pas mal d'éléments pour découvrir l'iconographie du soleil depuis la haute Antiquité jusqu'à nos jours, et aussi des curiosités en la matière. Et les tableaux, même si leur nombre est assez limité, nous régalent de plaisante ou saisissantes poétiques visions de la luminosité du soleil selon les heures ou les saisons.
D'autres étoiles, un conte de Noël, Ingvild H. Rishøi, traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud, « Bibliothèque étrangère », Mercure de France, 176 p., 17 euro.
Je dois avouer ne rien savoir sur cet auteur qui a déjà été souvent publié en France. Elle s'est faite surtout connaître par ses nouvelles, qui sont la plupart du temps des contes. Ce livre est un roman. Il se caractérise par des chapitres courts et parfois très courts, et aussi par une écriture très simple, très pure et pleine de charme. L'histoire, qui est surtout la vision d'un milieu familiale assez singulier que l'auteur nous dépeint avec beaucoup de poésie, comme s'il s'agissait d'une fable. C'est l'hiver et tout le récit tourne autour de la vente des arbres de Noël. Mais le caractère un peu naïf de ce qui nous est raconté ne saurait dissimuler le destin des protagonistes.
Il y a un aspect noir dans ce qui pourrait passer pour une sorte de rêve merveilleux même s'il est un peu étrange. Je reconnais qu'on se laisse prendre à ce jeu de l'esprit et qu'on abandonne toute réticence à ce genre qui est loin du roman traditionnel. Notre auteur a été en mesure de mettre en place un double jeu, qui donne une saveur particulière à D'autres étoiles. Bien sûr, ce genre peut ne pas plaire car il exige du lecteur de retrouver son âme d'enfant pour être captiver par ce livre. Toutefois, j'ai le sentiment que cette littérature qui oscille entre Charles Dickens et les frères Grimm ne saurait laisser indifférent ceux qui se laissent, comme moi, prendre au piège, de la narration. C'est là un jeu littéraire surprenant au plus haut point, mais aussi séduisant.
Nous sommes bien loin de James Joyce ou de Fédor Dostoïevski. En revanche, on pourrait rapprocher le roman à l'esprit de certaines nouvelles de Franz Kafka. Aucune comparaison ne serait être satisfaisante, mais ce n'est cependant pas une bizarrerie sans nom. C'est plutôt une autre façon de concevoir un récit qui demande une autre approche de cette forme de fiction de notre part.
Chemins d'Eden, Jacques Brou, Tinbad, 210 p., 20 euro.
Dans cette fiction, Jacques Brou a eu l'ambition de réécrire la Genèse. Il campe les deux protagonistes de ce drame de l'origine de l'humanité sont imaginé d'une manière curieuse : Eve est une assez vieille femme allant qu'Adam est à peine plus qu'un enfant. Chassés du paradis terrestre, ils se trouvent devant plusieurs routes possibles. Ce rude cheminement dans des contrées inconnues leur inspire des réflexions, souvent douloureuses et amères. Leurs réflexions et leurs courts dialogues peuvent être considérés comme l'apprentissage de la rude existence de l'être qui a perdu la protection divine et les délices d'une vie d'où tout danger est écarté. C'est plus qu'un voyage à tâtons dans un univers qui pourrait être menaçant, mais l'amorce d'une conception de ce qu'est la réalité tangible où règne la matérialité. Mais il n'y a rien à faire : leur découverte de ces lieux où dominent une végétation immense et une faune qui est d'abord un danger, les conduit à certaines réflexions qui ont un caractère spirituel, même si elles semblent bien éloignées de notre façon d'interpréter le monde, même dans les termes théologiques hérités du passé.
Au début, nous sommes largement sceptiques devant cet artifice. Mais, à mesure que progresse nos héros, on est bien obligé d'admettre qu'il trace avec difficulté mais également avec une intuition remarquable, qu'ils sont amenés à construire l'architecture complexe de ce rapport aux éléments, aux choses, aux paysages, aux autres vies qu'ils rencontrent. En fin de compte, on se laisse porter par leur fuite tragique et par ce qu'ils doivent s'efforcer à tout prix à faire l'expérience. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le livre se termine par une longue et pénétrante méditation sur la mort dont ces deux figures égarées ne savent rien. Ils apprennent aussi qu'il y a autre chose que la vérité tangible de ce qu'ils perçoivent. Ils inventent une sorte de métaphysique. C'est sans doute le coeur de leur malédiction. Ce qui lie la mère à l'enfant est un lien puissant, mais fragile car il peut se rompre à tout instant. Et l'un ou l'autre peut disparaître à jamais (la logique voudrait que ce soit la mère, plus âgée).
Jacques Brou a su assez bien imaginer ce parcours initiatique et le rendre passionnant. C'est un roman, sans être un roman. C'est une plongée dans les tréfonds de l'âme humaine qui est narrée avec beaucoup de subtilité et une évidente révolte qui remet en cause et la tradition judéo-chrétienne et aussi l'homme qui se veut le conquérant de tout ce qui l'entoure.
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