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[verso-hebdo]
15-11-2012
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La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau |
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Arroyo et Delacroix, deux monstres sacrés |
La lutte de Jacob et l’Ange est le titre de l’exposition d’Eduardo Arroyo à la galerie Louis Carré & Cie (jusqu’au 1er décembre). Elle fait donc référence à l’épisode du Livre de la Genèse (chapitre 32, versets 26-31) qui fascina Rembrandt, Gustave Doré, Gustave Moreau, Paul Gauguin parmi d’autres, et surtout Delacroix à la fin de sa vie, quand il accepta en 1861 (il allait mourir épuisé deux ans plus tard) le défi de la célèbre fresque de l’église Saint Sulpice. Quand il entame ce travail, l’ancien chef de file du romantisme est un véritable monstre sacré. Ses principaux tableaux ont tous été les enjeux d’énormes polémiques, on ne compte plus les batailles dans lesquelles il s’est engagé, l’une des dernières ayant été son soutien au jeune Edouard Manet, qui vient de triompher, enfin, au Salon de 1861. Eduardo Arroyo est lui aussi un monstre sacré depuis qu’il a eu l’incroyable culot, avec ses complices Aillaud et Recalcati, de démolir le mythe Marcel Duchamp du vivant de ce dernier, en 1965, avec la fameuse suite de huit tableaux Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de M.D., aujourd’hui au Centro Reina Sofia de Madrid, temple espagnol du modernisme, où elle voisine avec le Guernica de Picasso.
Au questionnaire du Who’s Who, demandant notamment à quoi il s’intéresse, Arroyo a répondu « la boxe ». Et de fait, ses interprétations de la lutte de Jacob obligé de se mesurer à l’ange virent au noble art. Dans les deux versions du Gué de Jaboc, c’est bien un boxeur qui se prépare à combattre, sous le regard de son prochain adversaire céleste. On remarque que Bécassine traverse chacun des deux tableaux, allusion bien dans la manière humoristique du peintre qui rappelle ainsi les bretonnes de Gauguin dont on sait qu’elles avaient été vivement frappées par un sermon sur le thème biblique en question. Arroyo pratique l’humour, souvent hermétique, mais il est peintre aussi et surtout. D’où son commentaire après avoir cité les propos adressés par Gauguin à son ami Van Gogh concernant son tableau breton : « Pour ce qui concerne ma scène imaginaire où lutte et paysage sont des protagonistes essentiels, je ne retiens de la toile de Gauguin qu’une image parfaite et mystérieuse… » Une image destinée, en l’occurrence, à illustrer une affiche pour un match de boxe. Arroyo n’oublie jamais son centre d’intérêt principal.
Mais revenons à Delacroix, omniprésent dans l’exposition non pas seulement en raison des références à la fresque de Saint Sulpice, mais parce qu’Arroyo a interrogé le célèbre Autoportrait au gilet vert et les autres représentations de l’aristocratique visage du fils bâtard de Talleyrand, qui, conscient de son génie, cultiva sa différence avec soin tout au long de sa vie. Un ami peintre avec qui j’évoquais la série des huit portraits de Delacroix par Arroyo m’a déclaré, sûr de son fait, qu’il s’agit bien entendu d’autoportraits. Le monstre sacré du XXIe siècle s’identifierait donc à son confrère du XIXe. « Vert de rage », voyant « rouge », broyant du « noir » ou éprouvant une colère « bleue », ce serait à chaque fois Delacroix et Arroyo qui seraient évoqués. Autant que l’on sache, tous deux ont en effet un sale caractère, mais tous deux ont du cœur et s’emploient à aider les jeunes de talent, et tous deux encore méprisent les imposteurs de leur temps qui se font passer pour des artistes alors qu’ils ne sont que des faiseurs médiocres. Depuis le meurtre métaphorique de Duchamp jusqu’à la présente et réjouissante exposition, Eduardo Arroyo n’a jamais cessé de se battre. Si bien que ce n’est peut-être pas par hasard qu’il cite (et sans doute fait sienne) cette phrase de l’auteur de La Liberté guidant le peuple : « D’où vient que ce combat éternel, au lieu de m’abattre me relève, au lieu de me décourager, me console et remplit mes moments quand je l’ai quitté ? »
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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