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[verso-hebdo]
19-01-2012
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La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau |
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Art et immigration |
« J’ai deux amours, mon pays et Paris » chantait Joséphine Baker en 1931. C’était l’année de l’exposition coloniale, à l’occasion de laquelle fut construit le Musée des colonies de la Porte dorée, aujourd’hui rebaptisé Cité nationale de l’histoire de l’immigration. J’ai deux amours est le titre donné par Hou Hanru et Évelyne Jouanno à une exposition présentant l’essentiel de la collection d’art contemporain du musée, légitimement orientée vers l’expérience migratoire en tant que facteur d’innovation et de création. À en juger par le résultat, il n’y a guère d’amour dans cette affaire, ni pour Paris qui n’apparaît que sous l’apparence de ses banlieues les plus déshéritées, ni pour les pays des artistes immigrés, qui en montrent certaines misères sans complaisance. Titre à l’humour amer, donc : plus question d’évoquer des paradis nostalgiques, comme naguère, notent les commissaires, dont les choix font apparaître des artistes qui ont entrepris de résister « à la prédominance des politiques et économies néolibérales, au recul de la société civile, à la division entre les riches et les pauvres, à la montée de l’injustice sociale et des conflits géopolitiques, ainsi qu’aux difficultés quotidiennes, à la violence et à l’isolement. »
Choix justifié, hélas : il y a bien eu renversement de perspective en trente ans en France concernant les immigrés. « On est passé de Faut les aider à Faut les virer » ironise l’un des invités vedettes de l’exposition, le photographe Mohamed Bourouissa, né en Algérie en 1978. Dès l’entrée, on est accueilli par l’impressionnant Road to exile du grand Barthélémy Toguo (né au Cameroun en 1967) : une barque en bois surchargée de ballots de tissus muticolores. Ce bateau est celui de l’exode, qui « nous plonge dans l’épreuve de la traversée en haute mer, sur la houle précaire d’une vague de bouteilles vides ». Ces bouteilles vertes ordinaires, alignées de manière concentrique autour de la barque et fortement éclairées par des spots habilement dirigés, provoquent un effet saisissant. La barque de l’exil est bien sur l’eau, et elle est en danger. De Toguo, on retrouve aussi des exemples de ses fameux tampons géants en bois qui illustrent de manière à la fois drôle et poignante le calvaire des immigrés obligés de suivre les méandres de circuits administratifs kafkaïens (Carte de séjour, Mamadou, France, Clandestin, 2010 ). Mais les artistes ne sont pas tous immigrés : Mathieu Pernot, parisien né à Fréjus en 1970, s’est intéressé en été 2009 aux Afghans clandestins dans le Xe arrondissement, à proximité du square Villemin dont ils venaient d’être expulsés. Les voici dormant sur des bancs publics ou sur le sol, entièrement dissimulés par une couverture ou un sac de couchage. L’artiste n’a pas voulu les réveiller, ne les a jamais vus, et s’est contenté de la beauté paradoxale de ces plis et de ces drapés sculpturaux. À la surexposition médiatique, il a opposé abstraction et silence dans de grands tirages jet d’encre d’une douloureuse simplicité (Les Migrants, 2009).
J’ai encore retrouvé avec intérêt Melik Ohanian, né à Lyon en 1969 de parents arméniens, dont la vidéo The Hand de 2002 m’avait frappé au MAC/VAL : il était allé à la rencontre de travailleurs au chômage dans le pays de ses ancêtres. Neuf moniteurs disposés au sol diffusaient les images de neuf paires de mains clapant au rythme d’une orchestration coordonnée. Émouvantes mains sans emploi. Melik Ohanian a continué de mêler images et sons avec Peripherical Communities dont il existe plusieurs versions, réalisées dans diverses villes. C’est celle de Dakar, enregistrée en 2005, qui a été acquise par la Cité de l’Immigration. Ohanian est allé, cette fois, à la rencontre de poètes urbains racontant en slam, par la musicalité de la langue, des histoires personnelles ou collectives. Chaque déclamation sonore est diffusée dans un casque que le visiteur doit prendre pour une écoute solitaire alors que l’image double, vue par tous, est celle de slameurs qui apparaissent sur deux écrans en bois. Ohanian transpose ainsi le slam, modalité narrative inspirée par les griots africains, apparue aux Etats-Unis dans les années 70. D’une manière générale, l’exposition démontre qu’en observant les milieux du hip hop et des arts de la rue, entre autres, on peut découvrir les voix les plus significatives de la jeunesse de notre temps. Il faut aller à leur écoute Porte dorée (jusqu’au 24 juin).
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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