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[verso-hebdo]
10-10-2024
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La chronique de Pierre Corcos |
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L'hybris de Coppola |
« J'ai fait cette nuit un rêve abracadabrant, confus et alambiqué dans lequel il était à la fois question d'urbanisme moderne et de Rome antique, de temps arrêté, d'utopie, de rivalités, d'amour et de je ne sais plus quoi d'autre encore... Et là j'ai mal à la tête ! Je crois que notre dîner trop copieux et les vives discussions de la veille ont produit ce rêve, ou cauchemar, indescriptible » : ce qui vient d'être dit, pure invention, pourrait bien rendre compte du dernier opus de Francis Ford Coppola (85 ans), le si bien nommé Megalopolis... Sauf qu'un rêve n'aurait pas coûté un sou, alors que le film « testamentaire » du cinéaste américain - pour mémoire réalisateur d'Apocalypse Now et de la trilogie du Parrain -, c'est quelques 120 millions de dollars ! Coppola a dû hypothéquer une partie de ses vignobles pour investir dans ce film inclassable. Cette (in)qualification (mais pas seulement elle) a irrité maints critiques et découragé un large public. Et donc ce film de mégalomane subit un megaflop aux États-Unis. Le dissensus dans la critique, sévère en majorité, donne à penser que la prévalence de tel ou tel critère d'appréciation a joué... Mais de quoi s'agit-il en fait ?
L'histoire se passe dans un mixte de Rome antique et de New York futuriste (la saga de Star Wars nous a habitué à ces miscellanées d'époques), New Rome, la Ville, qui s'avère, comme dans Sin City de Miller et Rodriguez, le personnage central du film... Sur l'avenir de cette Megalopolis s'affrontent César Catilina (fascinant Adam Driver), architecte et urbaniste visionnaire, inventeur d'un matériau réparateur et éternel (une image de l'Artiste démiurge ? Coppola lui-même ?), Franklyn Cicéron (Giancarlo Esposito), le maire de New Rome, conservateur, imbu de son pouvoir, pusillanime, Hamilton Crassus (John Voight), banquier richissime, grand oncle de César, un puissant sur qui l'on doit compter, Clodio Pulcher (Shia LaBoeuf), petit-fils de Crassus, cynique, vicieux et jaloux, rêvant d'abattre son cousin César... Histoires de famille et bagarre machiste de puissants : on reconnaît bien là l'auteur du Parrain ! Mais il y a aussi les femmes : Julia Cicéron (fille de Franklyn) qui, nonobstant l'amour et l'admiration pour son père, très possessif (allusion inconsciente aux liens passionnels entre Francis Ford Coppola et sa fille Sofia ?), est tombée follement amoureuse de César et veut vivre et faire un enfant avec lui ; Wow Platinum (Aubrey Plaza) bimbo vénale, épouse du vieil Hamilton Crassus et ex-maîtresse de César, tentant de récupérer le second et dépouiller le premier... Sans compter les personnages secondaires contribuant à secouer davantage ce panier de crabes ambitieux et cupides, duquel heureusement se dégagent les figures de César (le Créateur) et Julia (l'égérie aimante). Voilà. Il faut démêler le passif des uns et les intérêts des autres, ce qui déjà n'est pas facile !
Mais le réalisateur, d'une boulimie très américaine, veut aussi traiter beaucoup de thèmes dans ce même film que l'obésité menace : le défi surhumain du Temps, le futur des mégalopoles à l'ère écologique, notre fragilité commune face à l'avidité insane de quelques-uns, la grandeur et la décadence des civilisations (chute de l'empire romain/déclin de l'empire américain ?), le plaidoyer convenu en faveur de la beauté et de la nature, l'Amour comme puissance salvatrice qui rend au final optimiste... Pour aborder tous ces thèmes, dont le nombre évoque la frénésie d'un premier roman (sauf qu'il s'agit peut-être ici d'un dernier film), Coppola n'hésite pas à (ab)user de citations ou de dialogues philosophiques, de symboles très lisibles (les nuages qui filent dans le ciel = la fuite du temps) ou alors de scènes ayant valeur de paraboles. Certaines sont éblouissantes, notamment au début du film ; d'autres, ampoulées, kitsch, restent prisonnières des effets spéciaux. Une question se pose : ces sujets passionnants et variés ne se battent-ils pas aussi, à leur façon, dans un autre panier de crabes, intellectuel celui-là ? Le spectateur peut éprouver devant ce film à thèses le même tournis que face à un conférencier éloquent, volubile, et au mode d'exposition foisonnant à la façon d'un Mac Luhan.
Mais ce qui va surtout condamner cette fantasmagorie pour beaucoup de spectateurs et/ou critiques, c'est qu'outre ses multiples personnages, ses nombreux thèmes, ses moyens variés, elle va participer de différents registres ou genres : le péplum, le film de S.F. (dystopie et uchronie), la parodie, la fable, la tragédie, la comédie ou plus précisément la farce... Comment évaluer cet objet culturel hors normes ? L'embarras qui accompagne la question incline au jugement négatif, à la sanction. Or justement Coppola, se voulant visionnaire, revendique un cinéma hors normes. Dans une interview (Le Monde du 24/9/2024), il dit clairement : « Le cinéma que feront vos arrière-petits-enfants n'aura rien à voir avec celui d'aujourd'hui. Le cinéma n'a pas de règles, il les casse ». N'est-ce pas le rôle du critique de juger d'une oeuvre à partir du (libre) propos que s'est fixé l'artiste, comme l'affirmait Sartre ? Et dans ce cas, il sera permis d'apprécier vraiment ce concept (plus ou moins testamentaire donc émouvant) de « cinéma total » et délirant, tout en marquant des réserves sur une désagréable impression de catalogue, sur la pesanteur de certains effets ou clichés, enfin sur ce drapé bien plus grandiloquent que romain enveloppant Megalopolis.
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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