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[verso-hebdo]
18-09-2025
La chronique
de Pierre Corcos
Une monstrueuse singularité
Individualistes visionnaires ? Illuminés ? Bricoleurs délirants ? Chamanes ? Magiciens obsessionnels ? Mégalomanes ? Irréguliers de l'art ? Spirites ? Créateurs autistes ?... Comment fichtre les appeler, ces non-professionnels de l'art qui, n'appartenant à aucune école et indemnes de culture artistique, ne se référant à aucun style ou manifeste, poussent entre les pavés de l'Institution, mauvaises herbes, orties folles et chiendent bizarre qu'on s'évertue à classer, alors que non, ils échappent aux nomenclatures des historiens d'art ! Ils ont une foi naïve, mystique, absolue dans leur Création, protectrice, nourricière, salvatrice, sorte de placenta où se niche leur régression... Des artistes dont la nature n'est pas conforme à leur espèce. Quelque part des monstres. Et c'est bien là leur être propre, cette monstrueuse singularité ! Les oeuvres, orphelines, que fébrilement ils produisent, échappent aux codes, valeurs, catégories esthétiques. Ils ont tout d'abord passionné des psychiatres (Prinzhorn), puis André Breton, ensuite le peintre et intellectuel Jean Dubuffet (baptisant « art brut », à la louche, la généralité de ces exceptions), enfin des galeristes, des collectionneurs. Tel Bruno Decharme, qui a débuté sa collection en 1970, rassemblé depuis 45 ans plus de 5000 pièces, fondé en 1999 le pôle de recherche ABCD (Art Brut Connaissance & Diffusion) dirigé par Barbara Safarova, fait il y a quatre ans une donation de 1000 oeuvres au Centre Pompidou, et enfin nous a permis d'apprécier cette remarquable exposition (Art Brut jusqu'au 21 septembre) de 400 pièces au Grand Palais.

Remarquable, cette exposition à la scénographie superbe, rutilante, l'est d'abord par le choix varié des oeuvres : non seulement de créateurs bien connus dans ce domaine à la marge (Corbaz, Crépin, Darger, Lesage, Tripier, Wilson, Wölfli, etc.), mais encore une sélection d'art brut contemporain d'origines diverses (la collection de Bruno Decharme couvre plus de 30 pays !) ; remarquable ensuite par la qualité des commentaires proposés : clairs, pertinents, pédagogiques, accessibles à tout le monde, et accompagnés de films brefs (Barbara Safarova, chercheuse et enseignante à l'École du Louvre, et Bruno Decharme sont les commissaires de l'exposition) ; remarquable enfin par la gravité, l'ampleur des questions posées : à l'art bien entendu mais aussi à l'humain saisi philosophiquement. Barbara Safarova dit par exemple : « Nous tous, humains, avons plus ou moins les mêmes préoccupations : le mystère de la création, le rapport à Dieu, à la mort, la soif de paix, etc. Et, à l'évidence, les artistes de l'art brut les partagent, mais ils en donnent des interprétations, une lecture radicalement différente de celle des artistes dits « culturels » pour reprendre la référence à Jean Dubuffet ». Onze thèmes ont été judicieusement choisis, dans chacun desquels l'on pourra constater l'écart, la déviation de ces (an)artistes par rapport au sillon normal, convenu (s'écarter du sillon = étymologie de « délirer ») où se coulent manières, pratiques et représentations culturelles. Comment, pour qui vraiment et pour quoi écrit/dessine Harald Stoffers par exemple, né en 1961 à Hambourg, atteint de graves problèmes psychiques et interné à 22 ans ? Dans son échange épistolaire avec sa « Liebe Mutti » (chère maman) qui tient de la partition musicale, du graphisme et de la missive géante (6,5 mètres de long parfois !), et déchirée soigneusement à certaines occasions, il bouscule toutes nos catégories... La perception/reconnaissance en déroute, voici que l'imagination s'emballe : ne dirait-on pas des fils avec des oiseaux ou des relevés sismographiques ou encore des lignes de vagues noires ? Expressivité de la lettre - au double sens du mot « lettre » -, mixage écriture/ligne, cartographie émergeant du texte... Comme avec tant d'autres oeuvres ahurissantes présentées, le visiteur entre alors dans une sorte de confusion dissolue propre aux rêves, où catégories et frontières se brouillent, se perdent, mais dans l'imposition d'une évidence. Car ces oeuvres sans paternité ni assise conceptuelle sont brutalement là, avec un fort degré de présence même, dû à l'éclat incisif, virulent de leur singularité. Au coeur de l'autisme ou de l'autarcie, nées d'une pression cathartique urgente, et furieusement, éminemment expressives, elles ne visent en rien à plaire. D'où l'ambivalence de certaines réactions dans le public : ignorés, certains se sentent heurtés, tandis que d'autres s'enthousiasment pour cette authenticité absolue. Tellement rare ! L'exposition attire en tous cas beaucoup de monde, d'âges et de milieux différents... Mais il ne s'agit pas ici des ravissements esthétiques habituels, en groupe. Chacun, à un moment donné, va piler au feu rouge de telle ou telle « chose » ou oeuvre. Fasciné, bouleversé, il a soudain entrevu le noyau de sa propre folie, ou les gouffres inavoués de sa plus profonde solitude.
Mais, dans le même temps, cette solitude et cette folie, bien loin des parades sociales, des jeux stérilisants de pouvoir et de reconnaissance, se font promesses d'une créativité infinie. Adolf Wölfli, le plus emblématique d'entre tous ces créateurs hors-normes, en rupture, s'écriait : « Il y a tant de choses à faire ! Vous ne pouvez absolument pas vous imaginer comment on doit se fatiguer la tête pour ne rien oublier. Si on ne l'était pas déjà, on deviendrait fou à coup sûr ».
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
18-09-2025
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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