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[verso-hebdo]
06-11-2014
La chronique
de Pierre Corcos
Celui qui refusait de choisir
8 337 000 habitants, New York, fabuleusement cosmopolite, déploie une diversité de visages, apparences, physionomies qui donne le vertige... Et celui qui se prend à photographier ces foules disparates, ces torrents humains, finit par égarer dans le flot hétéroclite de ces figures le projet esthétique initial (s'il en avait un), tant la poussée énorme de cette diversité submerge, désarticule la moindre cohérence ou hiérarchie.
En plus, il n'est pas sûr du tout que le New-Yorkais Garry Winogrand (1928-1984) soit allé à la rencontre de ses contemporains avec une démarche artistique préalable. « Le monde n'est pas bien rangé, c'est un cafouillis. Je ne cherche pas à le rendre lisse », avoue-t-il. Et ce débordant cafouillis nous saute aux yeux lorsque nous visitons, au Musée du Jeu de Paume, l'exposition consacrée à Garry Winogrand, la plus complète à ce jour. Et particulièrement la première partie sur New York de 1950 à 1971, Du Bronx à Manhattan.

Regardons un peu... Voici un personnage saisi lors d'une étonnante cabriole lui donnant l'air d'être suspendu en l'air la tête en bas, et vous vous dites : bon, voilà un photographe qui, comme tant d'autres, cherche le singulier, l'inattendu. Oui, mais voici, pas loin, une autre scène de rue, banalissime, qui annulle votre première impression. Ailleurs, telle photographie semble conter une histoire, et vous vous y accrochez, mais telle autre, purement factuelle, reste mutique, insignifiante. Alors ?... Winogrand ne disait-il pas : « Les photographies n'ont aucune capacité à raconter. Vous ne savez pas ce qui s'est passé une seconde avant ni une seconde après » ? Sans doute alors, l'unité se trouve-t-elle au niveau de la forme. Et un certain nombre de photographies, contrariant les verticales, suggèrent on ne sait quelle esthétique moderne de l'oblique. Mais beaucoup d'autres clichés démentent cette généralisation, et Winogrand ironise, dans une interview, sur l'idée d'une transgression de l'horizontale, laquelle reposerait sur l'axiome de la primauté absolue de l'horizontalité. En désespoir de cause, vous vous dites : pas d'homogénéité du contenu (à part les Américains en ville, mais c'est vague), pas de cohérence formelle ; alors sans doute l'unité d'une démarche. Et là, il semblerait que l'on s'approche de quelque chose de consistant, qui tient la distance.

Garry Winogrand confiait ainsi : « Parfois, c'est comme si [...] le monde entier était une scène pour laquelle j'ai acheté un billet [...]. Un grand spectacle qui m'est destiné, comme si rien ne se produirait si je n'étais pas sur place avec mon appareil ». Si le monde entier est une scène qui nous est offerte à la condition que nous la prenions en photo, il n'y a pas véritablement de choix (« Je dis toujours oui », disait Winogrand, désinvolte). Cette attitude existentielle d'ouverture totale se confirme quand on voit qu'au début des années 60, le photographe privilégiait l'objectif grand-angle, permettant d'intégrer plus de personnages, et donc moins les sélectionner ; quand on découvre que non seulement Winogrand ne tirait pas forcément les images cochées sur ses planches contact, mais encore que vers la fin, à partir de 1978, il ne sélectionnait plus rien ! Plus de 6600 rouleaux que jamais il n'a examinés !... Et du coup, c'est Léo Rubinfien, un ami photographe, commissaire d'exposition, qui a relevé le défi, en se plongeant dans ces pléthoriques archives (durant sa vie, Winogrand a utilisé 26 000 pellicules), de choisir dans l'opus de celui qui... refusait de choisir. Ainsi les quatre cinquièmes des photographies présentées dans la dernière section de cette immense exposition n'ont jamais été vues par Winogrand ! Lesquelles aurait-il gardées ? Mais, on l'a compris, cette question n'est plus pertinente pour un photographe davantage intéressé par l'expérience d'immersion de l'acte photographique, par la rencontre avec les New-Yorkais, les Américains, que par la cohérence d'un corpus (rien à voir avec Diane Arbus) ou la rigueur d'une démarche formelle (rien à voir avec Saul Leiter). Arbus, Leiter, deux photographes qui l'ont soutenu...

Parvenu à ce constat, le visiteur a le choix entre deux attitudes : soit il se rassure en se contentant du Winogrand photo-reporter de l'Amérique trente ans durant (la deuxième section s'intitule d'ailleurs C'est l'Amérique que j'étudie), intéressé par la vie urbaine (New York, Dallas, Los Angeles), les lieux de transit (les aéroports), la vie politique comme spectacle, etc., soit il se laisse déranger par cette démarche anesthétique, mais non inesthétique, qui abandonne au fait saisi, comme ça, sans a priori, l'épaisseur de son mystère (il dit : « il n'y a rien de plus mystérieux qu'un fait clairement décrit »), une attitude qui laisse le monde proliférer dans son chaos, ses rebuts, son incohérence, sa démesure incontrôlable.
En 1984, après son cinquante-sixième anniversaire, Winogrand apprend que ses jours sont comptés car il est atteint d'un cancer incurable... Comme c'est étrange : le cancer, maladie de la prolifération incontrôlable.
Pierre Corcos
06-11-2014
 
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Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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