par Thierry Laurent
Bien sûr, on ne niera pas que seule la conformité avec le réel,
issu des observations, donne sa valeur scientifique à une théorie
mathématique. Il n’en demeure pas moins vrai que la science
s’échafaude comme une œuvre d’art. Les calculs de
Copernic, améliorés par ceux de Kepler, obéissaient
au statut de jeu mathématique, d’invention purement intellectuelle.
Cela est précisé dans la préface de l’ouvrage
de Copernic, où il est écrit que « les hypothèses
n’ont pas besoin d’être vraies ni probables ».
C’est d’ailleurs pour cette raison que les thèses de Copernic
n’ont pas encouru les foudres de l’Eglise. Sa théorie
se voulait une invention mathématique qui ne prétendait pas
forcément avoir valeur de vérité. Il en fut de même
pour le système de Kepler. Personne n’accorda crédit à ses
trajectoires en ellipse, dont le statut était celui de modèles.
En revanche, quand Galilée en 1610 se met à observer « de
visu » les astres –en l’occurrence, les satellites de
Jupiter, ainsi que les phases de Vénus- son ambition est de montrer,
preuve visuelle à l’appui, que l’héliocentrisme correspond
d’abord à la réalité. L’arme suprême
de Galilée n’est plus la seule beauté des équations
mathématiques, mais une invention toute récente, la lunette astronomique.
L’héliocentrisme combattu par l’Eglise passe du statut d’échafaudage
conceptuel, somme toute peu menaçant, à celui de réalité scientifique
qu’il importe de démanteler. Pour Galilée, l’œil
vissé sur sa lunette, si Jupiter s’accommode de satellites, la
preuve par le réel est donnée que la terre n’est plus le
centre du monde, et qu’elle peut tourner autour du soleil. D’où la
colère de l’Eglise qui demande à Galilée d’abjurer
sa démonstration. Galilée est un observateur du ciel. Son lieu
d’intervention est le réel. Copernic est d’abord un esthète,
un artiste, un bâtisseur d’équations.
La science peut donc avoir aussi valeur d’œuvre d’art. L’outil de l’artiste scientifique n’est pas le pinceau ou le ciseau du sculpteur, mais le langage de la géométrie et des mathématiques. Le scientifique ne prétend pas forcément au vrai, mais à une sorte de cohérence, voire une pure beauté logique, et force est de constater que le système héliocentrique de Copernic, modifié par Kepler, est infiniment plus « beau » que le géocentrisme de Ptolémée.