Esthétique
La Science devenir de l’art

par Thierry Laurent

mis en ligne le 06/10/2010

De façon générale, les télescopes modernes permettent de montrer l’invisible de la lumière. Car la lumière que capte la rétine humaine n’est qu’une infime fraction des couleurs du spectre électromagnétique, plus simplement, du champ total de la lumière issue du soleil et des étoiles. Par des procédés de captation numérique, les lumières invisibles (rayons gamma, X, ultraviolets, infrarouge ou lumière radio) peuvent être convertis numériquement en couleurs visibles. Bien des clichés d’étoiles et galaxies ne sont que des reconstructions informatiques d’images prises en lumière invisible par des télescopes modernes. Là encore, la science moderne s’attache à rendre visible l’invisible et obéit à un processus esthétique. A titre d’exemple, on sait que les clichés de l’univers primordial opérés par le satellite Cobe dans les années 1990 constituent une fiction chromatique destinée à impressionner les journalistes et les convaincre visuellement des infimes variations de densité de l’univers. Les premiers rayonnements du cosmos sont perceptibles dans des longueurs que l’œil humain ne capte pas. La fiction esthétique vient ici au secours du vrai. L’astrophotographie est devenue l’art de mettre en image les corps célestes repliés dans les confins de l’invisible. On sait qu’une nouvelle génération de télescopes (WMAP, PLANK) se livre en ce moment à l’observation du ciel lointain. L’outil de l’artiste scientifique n’est plus le pinceau ou le ciseau du sculpteur, mais les dispositifs de plus en plus sophistiqués d’imagerie spatiale qui sondent l’invisible.

On a parlé d’un nouvel espace de la Renaissance, matérialisé sur la toile et obtenu grâce à la connaissance de la géométrie, un nouvel espace cubique de Picasso, un nouvel espace d’art conceptuel avec les ready-mades, on peut évoquer maintenant une nouvel espace cosmique retransmis en lumières numérisées sur écran informatique. Et cette fois-ci, les grands artistes sont les équipes d’astrophysiciens capables de télécommander un télescope dans l’espace, et d’ajuster du sol les milliers de paramètres nécessaires à la « fabrication » d’une image du cosmos, là où l’œil est totalement aveugle.

Dans l’espace, l’humain est en effet un aveugle total. Plus de 99% de notre univers demeurent totalement invisibles. On sait qu’il est composé de 27% de matière et de 73% de pure énergie du vide. La matière elle-même est composée pour l’essentiel (95%) d’une matière noire, aujourd’hui encore inconnue et invisible. On sait simplement que cette matière existe parce que sans elle nos galaxies et amas de galaxies seraient incapables de conserver la moindre cohérence. Le réel demeure ici une pure création de l’esprit, de l’Idée au sens hégélien du terme. Si l’art doit aboutir à la révélation de l’Idée hégélienne, alors la science ne serait-elle pas l’aboutissement logique de l’art ? Lorsque la science sera parvenue à identifier la matière noire, puis à montrer des images de celle-ci, (ce qu’elle réalise déjà partiellement grâce aux effets de « lentille gravitationnelle »), elle aura accompli un processus esthétique complet : montrer ce qui d’abord fut un pur produit des équations.

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