Esthétique
La Science devenir de l’art

par Thierry Laurent

mis en ligne le 06/10/2010

Enfin, dernier exemple. Grâce aux mesures opérées par télescopes sur les galaxies, on sait que notre univers est pour de bon en expansion. Toujours est-il que cette expansion découle des équations de la relativité formulées dans les années vingt par Friedmann et Lemaître, avant même que l’astronome Hubble ne la constate de visu sur le télescope du Mont Wilson en 1929. C’est dire que la théorie du Big Bang a commencé sous forme d’équations échafaudant de toutes pièces un espace-temps en expansion. La théorie du Big Bang revêt d’abord le statut de fiction mathématique, de pure invention, de poésie scientifique. On peut évoquer à cet égard les magnifiques diagrammes de Lemaître, dessinés en 1927, relatant divers scénarios possibles d’expansion cosmique. Là, il s’agit vraiment d’une authentique œuvre d’art conceptuelle, un dessin laissant voir des fictions d’univers. (1)

Cette expansion résulte d’une gigantesque force, au demeurant inconnue, une «  énergie noire » ou «  énergie du vide » dont l’effet ultime est de dilater l’espace-temps et de repousser les galaxies vers les grands larges du cosmos. C’est Albert Einstein qui met le premier en équation le vide comme force de répulsion de l’espace-temps. Mais Einstein renonça aux équations du vide, baptisé « constante cosmologique ». Ici il n’est pas question de reprendre le débat sur l’évolution de l’univers, d’abord considéré comme fixe, puis en expansion rapide. Seulement, on peut retenir qu’Einstein décida de rejeter un temps la constante cosmologique, avec des arguments purement esthétiques : « Depuis que j’ai introduit ce terme, j’ai toujours eu mauvaise conscience. Je n’arrive pas à croire qu’une chose aussi laide se trouve dans la nature ». Pour Einstein, la vérité est d’abord un phénomène esthétique. Finalement, il rendra hommage aux théories de Lemaître en faveur de l’expansion de l’univers, non en mettant en avant leur exactitude, mais en soulignant leur beauté intrinsèque : « C’est l’explication de la création la plus belle et la plus satisfaisante que j’aie jamais entendue».

Bien des hypothèses sont avancées pour expliquer cette mystérieuse force de répulsion du vide, qui sont autant de magnifiques échafaudages conceptuels, qui pour le moment attendent d’être vérifiés. On sait que les expériences en matière d’accélération de particules élémentaires (CERN) seront propices à la validation de ses schémas qui utilisent la physique quantique.

Dans les années 1950, un artiste comme Yves Klein s’attache à exposer le vide entre quatre murs d’une galerie d’art, en organisant un vernissage assez mondain. La question se pose : en déplaçant le champ de l’art vers l’exposition d’entités purement immatérielles ou conceptuelles, l’’art contemporain n’a-t-il pas par la même occasion démontré qu’il s’attache à une vaine destinée ? Montrer le vide entre quatre murs d’une galerie peut paraître désuet par rapport aux procédés scientifiques qui s’attachent à la même mission.

Car, oui, l’énergie du Vide, on peut la voir, à travers les traces éphémères de particules et antiparticules enregistré dans les grands accélérateurs.

Reproduit p.317-L’Univers chiffonné. Jean-Pierre Luminet. Ed folio essais. Ed fayard 2000 et 2005

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